REIMS POLAR : UN PALMARÈS QUI COGNE FORT

Limbo film technikart

Au festival Reims Polar, l’extraordinaire Limbo est reparti avec deux prix dont le Grand prix, lors d’une troisième édition absolument passionnante.

La troisième édition du festival Reims Polar s’est achevée en beauté avec la consécration de Limbo, récompensé de deux prix, le Grand prix et celui de la critique. Film de serial killer poisseux made in Hong Kong, Limbo, comme la plupart des œuvres au palmarès, décrit un monde sans pitié, en plein chaos, gangréné par la pauvreté, étranglé par mal et le capitalisme. Comme le magnifique film coréen About Kim Sohee, inspiré d’un fait divers, l’histoire terrifiante d’une étudiante en stage dans le centre d’appel téléphonique d’une boîte de télécom, confrontée à des conditions de travail humiliantes, ahurissantes. Si l’intrigue polar semble vaguement intéresser la réalisatrice July Jung, elle pilonne l’ultra-libéralisme (pas seulement coréen) qui broie et tue littéralement sa jeunesse. Une œuvre magistrale, en salles depuis le 7 avril, récompensée du prix du Jury…

Interrogatoire de deux immigrants espagnols par des inspecteurs des frontières américaines, Upon Entry, de facture assez classique, a pourtant récolté deux prix, le prix du public et celui de jury Police, constitué de vrais flics, qui ont voulu récompenser la vraisemblance des procédures et des interrogatoires, alors que les réalisateurs militent pour l’abolition des frontières… 

Dépressif et drôle, véritable concentré d’âme slave, Brighton 4th est quant à lui reparti bredouille. Peut-être parce que ce film débordant d’humanité semble très éloigné du polar, même quand il évoque Les Forbans de la nuit de Jules Dassin. Nous sommes dans un quartier pourri de Brooklyn, qui sent le khachapuri et les rêves brisés, à quelques pas des manèges de Coney Island. La zone où débarquent les immigrants de l’ex-URSS qui rêvent d’un monde meilleur, du rêve américain, mais qui, incapables de s’adapter ou d’apprendre l’anglais, restent prisonniers du passé et de ce microcosme russe. Bientôt, un ancien champion de lutte géorgien débarque de Tbilissi, afin d’aider son fils, joueur compulsif, menacé de mort par des mafieux. À déguster en salles depuis le 12 avril.

SERIAL-KILLER, LIMBES ET RÉDEMPTION

Le champion absolu de Reims Polar, déjà un des grands films de l’année, est une œuvre qui revient de loin. De fait, Limbo a été tourné à Hong Kong il y a cinq ans, en couleurs, et son réalisateur Soi Chang l’a converti en noir et blanc pour atténuer sa violence et tenter d’apaiser la censure chinoise. En vain ! Interdit à Hong Kong, Limbo devait directement sortir en VOD en France mais va maintenant bénéficier d’une sortie en salles cet été. Une aubaine car Limbo, plongée dans le 7e cercle des enfers, doit absolument se voir sur grand écran. Si le postulat semble classique au départ – deux policiers chinois mal assortis poursuivent sous la pluie un tueur zinzin, coupeur de mains de femmes – le réalisateur déploie une mise en scène ahurissante pour plonger son spectateur dans un cauchemar sans fin. Son film s’apparente à une expérience limite, un trip convulsif où Hong Kong est visualisée comme une décharge à ciel ouvert, une cité en apesanteur, engloutie dans les limbes. Pendant près de deux heures, on tente de reprendre son souffle, abasourdi, et Limbo provoque les mêmes sensations que des œuvres séminales comme Se7en, J’ai rencontré le diable ou certaines toiles de Jérôme Bosch. Et malgré certaines scènes extrêmes (dont un viol problématique), le personnage féminin, une junkie qui survit aux pires outrages, damnée sur le chemin de la rédemption, est un des plus forts jamais vus au cinéma.

Un film monumental pour un festival qui ne l’est pas moins…

 

PALMARÈS

Grand Prix :
Limbo de Soi Cheang (Hong Kong & Chine) – en salles cet été

Prix du jury ex æquo :
About Kim Sohee de July Jung (Corée du Sud) – en salles actuellement
Goliath d’Adilkhan Yerzhanov (Kazakhstan & Russie)

Prix Police, décerné par un jury de policiers :
Upon Entry d’Alejandro Rojas & Juan Sebastián Vásquez (Espagne)

Prix de la critique :
Limbo de Soi Cheang (Hong Kong & Chine) – en salles cet été

Prix du public :
Upon Entry d’Alejandro Rojas & Juan Sebastián Vásquez (Espagne)

Prix Sang Neuf :
God’s Country de Julian Higgins (USA)

Prix Sang Neuf du Jury Jeunes de la Région Grand Est :
At The Gates d’Augustus Meleo Bernstein (USA)


Par Marc Godin