REIMS POLAR : LA VIE EN NOIR

limbo reins polar

Au festival Reims Polar, les films présentent un monde – forcément sans pitié – où l’ultralibéralisme et la misère mutilent et tuent aussi sauvagement que les serial-killers.

Le polar comme révélateur de l’état du monde, de la misère et du chaos ? Pour sa troisième édition, le festival Reims Polar donne à voir une série de films sociaux, engagés, sur le lumpenprolétariat qui tente de survivre, sur l’ultra-libéralisme qui tue, des films italiens, brésiliens, chinois ou kazakhs, des films qui ressemblent parfois plus aux œuvres sociales des frères Dardenne qu’aux polars hardcore d’Olivier Marchal .

Le festival s’est ouvert avec Dernière nuit à Milan (sortie le 7 juin), en hommage au génial Pierfrancesco Favino (Le Traître, Nostalgia). Il y est question d’un flic, lors de sa dernière nuit de service après 35 ans de bons et loyaux services, qui se retrouve plongé dans un engrenage infernal où il est question de mafia chinoise, de pierres précieuses et de flics ripoux. Avec en toile de fond, un vrai questionnement sur le métier de flic en Italie, sous-payé, qui fait que certains s’embarquent dans des aventures hasardeuses et rejoignent le côté obscur de la Force pour quelques euros de plus…

Avec le grand film coréen About Kim Sohee, la réalisatrice July Jung (A Girl at my Door) pratique l’autopsie d’une société qui tue littéralement sa jeunesse au travail, d’un libéralisme assassin. Elle s’inspire d’une histoire vraie et décrit la longue descente aux enfers d’une jeune étudiante en stage dans un centre d’appel téléphonique d’une boîte de télécom. Elle découvre un univers sans pitié où elle est confrontée à des conditions de travail ahurissantes, des horaires à rallonge, avec en bonus des retenus de salaire pour objectifs non atteints. Broyée, humiliée, elle va bien sûr perdre pied et dans une deuxième partie, une femme flic, incarnée par la géniale Donna Bae (Cloud Atlas, Sense8), va mener l’enquête. Œuvre magistrale, About Kim Sohee pose une empreinte indélébile sur le spectateur. Et, bonne nouvelle, le film est sorti en salles le 7 avril…
 

DAMNÉS DE LA TERRE, FRAUDES AUX ASSURANCES ET SERIAL-KILLER

Dans le film brésilien Property, on assiste à une révolte d’ouvriers agricoles, les damnés de la terre, tandis que le réalisateur Daniel Bandeira essaie de bricoler un suspense et un pseudo-dispositif narratif, avec une femme prisonnière dans une voiture aux vitres blindées. Dans The Bone Breakers, on suit les exactions d’une bande de truands qui organisent des fraudes aux assurances en cassant les membres de victimes consentantes. Inspiré d’une histoire qui avait défrayé la chronique à Palerme, le film, tourné par un bras cassé, sombre très vite et perd ses spectateurs, malgré son pitch infernal.

A mi-parcours du festival, le gros choc est un film hongkonais, Limbo, de Soi Cheang (Dog bite Dog), qui se déroule dans une mégalopole transformée en décharge géante, avec un sans-abri serial-killer qui découpe les mains de ses victimes, avec divers objets rouillés. À ses trousses, une nouvelle recrue de la police, un flic vétéran et une jeune femme résiliente. Pur exercice de mise en scène en noir et blanc, Limbo est un concentré de métal en fusion, une œuvre apocalyptique, insoutenable, qui évoque souvent Se7en et J’ai rencontré le diable, où les trois persos principaux luttent pour survivre quelques minutes de plus, tandis que le pauvre spectateur essaie de reprendre sa respiration, cloué à son fauteuil par une succession de séquences à la fois anxiogènes et insoutenables. Du très grand art pour un film qui n’a pas de sortie française pour l’instant.

https://reimspolar.com


Par Marc Godin