QUAND VOICI ÉTAIT LE MEILLEUR MAGAZINE DU MONDE

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Au mitan des années 1990, toute la France s’arrache Voici. Durant plus de dix ans, le magazine dirigé par Dominique Cellura s’impose comme le leader de l’investigation pipole, en combinant ton corrosif, infos chocs et editing au cordeau. Retour sur la fabrique d’une presse de caniveau de génie.

Légende photo :
JUSTE CIEL !_ À l’été 1995, le magazine people fait un carton plein en dépassant le million de ventes en kiosque, avec son scoop sur la relation entre Daniel Auteuil et Miou-Miou. Voici est alors au sommet de sa gloire… Model : Tanya Drouginska (Fauteuil Pierre Paulin, courtesy Idea Paris, 58 rue Greneta, 75002)

Août 1995. La France est touchée par une vague de chaleur. À Paris, l’orage a éclaté. Axel Ganz se rend au deuxième étage du 6 rue Daru (8e arrondissement), tirant derrière lui des chariots alourdis de bouteilles de champagne. Le fondateur de Prisma Presse, société éditrice de Voici, s’est déplacé pour féliciter ses 70 employés. Les journalistes, euphoriques, verront leur salaire doubler pendant deux semaines. Dominique Cellura, rédacteur en chef du titre, et Thierry Moreau, chef du service informations, savourent : leur magazine est devenu le roi du pipole. Leur dernière couverture « Auteuil et Miou-Miou » vient de dépasser le million de ventes en kiosque – hors abonnement.

Coup de génie ? Coup de chance ? « L’été était notre cœur de cible en matière de ventes, il nous fallait des gros scoops, explique Thierry Moreau, débauché du magazine Entrevue en décembre 1993 pour gérer le service info de Voici. Mi-juillet, on n’avait toujours rien à mettre en couve. Et puis, hasard total, un type me contacte : il me dit qu’il a des photos de Daniel Auteuil avec une femme. Je regarde les photos et là, je reconnais Miou-Miou. Le gars me vend ça pour une somme dérisoire… autour de 5000 francs ! (alors que ce genre de clichés pouvait aller chercher jusque dans les 300 000 francs). L’histoire Auteuil-Miou-Miou a duré quinze jours… et nous on a battu notre record ». Marc Dolisi, alors chargé de l’editing et ancien journaliste chez Paris Match tempère : « On avait la chance en aout d’avoir une audience formidable, alors on s’était préparé des semaines en avance, on avait misé sur les forces de ventes et l’excellence éditoriale ».

Depuis quelques années déjà, Voici fait jaser toute la France. Lu dans le métro parisien et sur les plages méridionales, conspué par les invités d’Ardisson et la presse « qui se respecte », le canard people traîne une sacrée réputation. Son lectorat ? Monsieur et Madame Bidochon, des CSP+ du Fig Mag et Bernard-Henri Lévy. Pendant une quinzaine d’années, entre 1992 et 2007, Voici se vend en moyenne à 800 000 exemplaires par semaine, intéresse quatre millions de lectrices (majoritairement) et fabrique une presse indiscrète et intrusive de haut vol, faite de couves choc, de liasses de billets en libre circulation dans les couloirs, d’un editing maniaque, de critiques littéraires acides, de dossiers jus de crâne et de potins tordants.

CHOC CULTUREL

Lorsque Axel Ganz, journaliste allemand francophone, formé chez Bunte et patron de Prisma Presse (filiale de Gruner & Jahr, groupe Bertelsmann) décide de lancer Voici en France en 1987, c’est d’abord un flop. « J’ai voulu en faire un magazine familial, c’était une grosse erreur, se souvient le « tigre du papier glacé », à qui l’on doit des titres comme Capital, Géo, GalaJ’ai compris que l’achat d’un magazine est un acte égoïste. Au bout de deux ans de perte, j’ai voulu faire de la presse people qu’on prendrait au sérieux. Le créneau était vacant en France. Il n’y avait que Paris Match, qui était un journal complaisant, France dimanche et Ici Paris…. » Des enfants de cœur à côté de la presse people européenne comme Eva Tremila en Italie, ou le Sun en Angleterre, des titres ultra-trash qui étalent sans vergogne la vie privée des stars et des hommes politiques.

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PARFUM DE SCANDALE_
Ciblé par les tribunaux, qui ordonnent parfois des publications judiciaires imposantes, Voici trouve toujours une façon de s’en tirer. En publiant sa Une sur sa quatrième de couverture, par exemple (en haut). Autre marotte de la presse people européenne, la couronne de Monaco. En la matière, les voisins d’Italie (Eva Tremila, en bas) sont plus sulfureux…


Il s’agit désormais de passer d’un magazine gentillet à un canard corrosif. Axel Ganz fait alors appel à Dominique Cellura. De ses années passées dans sa vingtaine à Détective, ce journaliste a attrapé comme un virus l’obsession de l’exactitude balzacienne. Ganz lui laisse carte blanche, délimitée par plusieurs lignes rouges à ne pas franchir : la maladie des stars, les adultères, la vie privée des politiques. « Malgré tout l’enthousiasme qu’on avait de faire ce journal, il fallait de la déontologie », précise Axel Ganz. Assis sur un fauteuil capitonné, dans son duplex de l’avenue du Président Wilson où il réside depuis vingt-six ans, cet Allemand se souvient des mésaventures de ses confrères. « Il y avait une vive réticence des hommes politiques vis-à-vis des tabloïds. Même Voici n’a pas franchi la ligne. Il a fallu attendre la sortie de magazines comme Closer, en 2006-2007. Je vous rappelle qu’en 2005, à Paris Match, le rédacteur en chef Alain Genestar s’était fait virer pour avoir mis Cécilia Sarkozy avec Richard Attias en couverture – alors qu’elle venait de rompre avec Nicolas Sarkozy (ami proche d’Arnaud Lagardère, propriétaire de Match, ndlr) ». Du côté des grands animateurs, le bilan n’est pas au beau fixe, mais pour le coup, Ganz refuse de céder à leurs caprices : « Je m’étais engueulé avec Patrick Le Lay, boss de TF1, parce qu’on faisait souvent les gros titres avec PPDA et Claire Chazal. »

Une fois la direction teutonne clarifiée, Voici « enfonce définitivement la porte ». Dominique Cellura, depuis le Sud où il est désormais installé, évoque les débuts : « J’ai récupéré un journal familial, plan-plan, ennuyeux comme un jour de pluie… alors, j’ai commencé à faire des trucs gonflés et qui me faisaient marrer, tout simplement. Et on m’a laissé faire… » Ganz, pour sa part, sait que le magazine, bien que « alone standing », trouvera son public. « Voici n’était pas un organe de presse destiné à attirer de la publicité, détaille Marc Dolisi, chef du service editing de 1994 à fin 1995. La philosophie de Ganz était la suivante : “Seul le lecteur compte, seule la vente compte” ».

Pour le paysage médiatique français, autant que pour les célébrités, l’arrivée de Voici dans les kiosques est une rupture culturelle. Le journal imaginé par Ganz et Cellura initie la mode Dolto dans les médias français tout en étalant le kibezki (petit inventaire des histoires amoureuses et érotiques) des princesses, animateurs et autres starlettes de cinéma. Alors que les stars s’étaient habituées à des reportages de com’ confortables et entendus sur fond de sable fin au Cap Ferret, elles voient soudainement leur intimité dévoilée au lecteur, qui, amusé, surpris et rassuré, satisfait sa part de voyeurisme. 

ADRÉNALINE ET GROS BILLETS

Les paparazzades se multiplient dans les pages du magazine qui, chaque semaine, défraient la chronique. Elles ont l’avantage de briser la mythologie barthienne de la « photo-choc ». « Chez Gala ou Paris Match, la complicité s’établit entre le photographe et le sujet, donc la star a le contrôle et le lecteur est exclu, c’est presque de la com’. À l’inverse, dans Voici, le photographe emmène le lecteur sur son porte-bagage pour le faire assister à la vie des stars », acquiesce Jean-Denis Walter, chef du service photo du mag’ de 1989 à 1998. Et si les plateaux de télévision se soulèvent immédiatement contre cette « presse de caniveau », les journalistes de Voici défendent quant à eux une vision de la vérité adoubée par le pape du voyeurisme, Helmut Newton, pour lequel la photo vraie, c’est la photo volée.

Derrière le projet esthétique et pseudo-philosophique, c’est tout un business qui se monte. Le groupe Prisma en a les moyens. « On avait un budget photo gigantesque, insiste Jean-Denis Walter. Cela nous est déjà arrivé, une fois, de dépenser 50 000 euros pour un énorme scoop, parce que c’étaient deux très grandes stars surprises ensemble. Deux autres fois, on a payé 30 000 euros. Sinon, les gros coups s’achetaient autour de 15 000 euros, et une bonne série un peu plus ordinaire autour de 300 euros. En fait, la moindre photo publiée, vu notre tirage, était chère. Même pour la rubrique tourisme, c’était 300 euros le quart de page… »

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STARS SOUS TENSION_
Durant l’été 1996, le couple PPDA et Claire Chazal attire tous les objectifs des paparazzis… au point de provoquer la fureur de l’animateur de TF1 – qui s’en prendra violemment à l’un d’entre eux.


Voici
, en prenant de l’ampleur, génère de nouvelles vocations. Une jeune génération de photographes, rêvant d’adrénaline et de gros billets, suit les pas des « seigneurs du métier ». Jean-Denis Walter : « Je me souviens d’un garçon, fils de notaire à Laval, qui avait lu le livre de Bruno Mouron et Pascal Rostaing, Paparazzi, chasseurs de stars. Il est descendu dans le salon familial et a dit à ses parents : voilà ce que je veux faire. Il avait les crocs qui rayaient le parquet. Eh bien c’est lui qui nous a apporté le gros coup de la relation entre Carole Bouquet et Gérard Depardieu. Un de ses amis était croupier dans un casino du sud de la France, il lui a raconté avoir vu Depardieu et Bouquet à la table de blackjack. Le petit jeune a immédiatement pris le train dans la nuit, planqué sous la fenêtre de leur chambre d’hôtel et les a pris en photo au matin, alors que le couple en peignoir se faisait des petits bisous sur la terrasse ». En quelques mois, les photographes se transforment en enquêteurs de pointe et Voici se met à envisager la fabrication du buzz comme un travail d’orfèvre.

QUALITÉ LITTÉRAIRE HONORABLE

C’était une dream-team. Tous en conviennent, les années qu’ils passent à Voici font partie de leurs meilleurs souvenirs. Jean-Denis Walter sourit : « Je me suis aperçu que je préférais faire Fripounet avec des amis véritables que le Washington Post avec des brises-burnes. J’adorais le côté insolent, vilain petit canard, et encore plus de le faire avec une bande de pote. Je ne regrette aucune des journées passées là bas. » Cellura, modeste, se contente de résumer : « Ce que le lecteur retrouvait le matin dans son magazine, c’était les conneries qu’on racontait la veille en réunion de rédaction ». Philippe Jaenada, embauché en tant que pigiste par Dominique Cellura en 1997, renchérit : « Le ton était travaillé, on était bien payés, et on se marrait bien ». Et pour cause, il travaille trois heures par semaines pour remplir les légendes de la pages potins. On lui demande une accroche et une chute drôles, et 400 signes entre les deux. Le tout généreusement rémunéré (au bout de plusieurs années, son salaire mensuel s’élève à plus de 7000 euros – sachant que les chroniqueurs stars de la grande époque touchaient jusqu’à 2000 euros par chronique hebdomadaire). Affaires de sous mises à part, le futur écrivain insiste sur ce point : « Sincèrement, Voici avait une qualité littéraire honorable ».

Allouant une importance considérable à l’editing et à la titraille, Cellura ne s’est pas contenté de se gondoler en conf’ de rédac. Le ton corrosif, drôle et divertissant qui fait de Voici un journal que les lecteurs lisent chaque semaine avec un plaisir renouvelé est assuré par des plumes solides, garantes de qualité. À partir de 1995 – au moment où le magazine dépasse le million de vente en kiosque – Cellura accélère le rythme et recrute des talents littéraires dont l’écho fait frétiller l’intelligentsia parisienne – qui se met donc à lire le journal. Fin 1990, début 2000, le casting est fameux : Basile de Koch assure les pages nuits, « Stars en boîte », l’écrivain Patrick Besson tient la rubrique « La Cause du people », et Frédéric Beigbeder, recruté en 1996, rédige une chronique littéraire iconoclaste. « La page de Beigbeder montrait qu’on pouvait fracasser un intouchable ou parler d’un intello hermétique et être lu avidement par un million de lecteur. », conclut Jaenada.

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DES LÉGENDES_
Comme Alain Delon, Johnny Hallyday fait partie des stars de grande envergure qui savent jouer le jeu et composer avec la presse people.


Les clopes fumées en open-space et l’apéro dans les bureaux, les sorties au Bus Palladium et les allers-retours à Saint-Tropez juste pour vérifier le nom d’un olibrius, participent au ton poil-à-gratter de Voici. Mais cette désinvolture générale n’est permise que par la rigueur imposée par la direction dès qu’on touchait à l’investigation. « Dominique Cellura voulait structurer un service info costaud, témoigne Thierry Moreau. C’est à ce moment-là que les choses sérieuses ont commencé. Il fallait qu’on soit irréprochables. Donc oui, nos méthodes étaient intrusives, condamnables, mais en revanche, le fait de s’inscrire dans une démarche sérieuse de journaliste, c’était très important. On avait des gens partout, de Monaco à la couronne d’Angleterre en passant par les États-Unis. Il s’agissait de chauffeurs de taxi, du personnel d’hôtel, des agences qui nous refilaient des tuyaux. Ce qui était révolutionnaire, c’était d’avoir un service info aussi pléthorique, et où on rémunère les gens. »

Les gros montants qui circulent parfois en cash – une information pouvait se payer jusqu’à 10 000 francs –, attisent les vices du quidam… comme du people. Un ancien du magazine se remémore : « Une grande star de cinéma était enceinte, et on voulait savoir si c’était un garçon ou une fille et d’autres détails. On a été contactés par une de ses meilleures amies qui était dans la dèche financièrement. Elle nous a balancé toutes les infos sur l’accouchement de la célébrité en question et s’est fait virer l’argent sur une banque allemande… » Loin d’être de simples racoleurs de commérages, les journalistes de Voici utilisent aussi ce budget conséquent pour fidéliser leur réseau d’informateurs et recouper les sources si besoin.

D’ailleurs, avant son départ, Thierry Moreau fait entrer une nouvelle recrue au service information. C’est une femme proprette de cinquante ans, dont l’allure fait penser à une Bernadette Chirac moldave. À Voici, elle s’adapte à une rapidité étonnante, fédère un réseau massif d’informateurs grâce à ses anciennes relations haut placées et impose son influence. Michèle Marchand est née, pour la seconde fois.

ÉCOSYSTÈME PEOPLE

À la fin des années 1990, Voici, le papelard que les Parisiens adorent détester, est devenu une référence barométrique pour les stars. Frédéric Beigbeder immortalise cette idée d’un trait resté célèbre : « Être dans Voici, c’est terrible. Ne pas y être, c’est pire ». Les stars comprennent très vite comment le système fonctionne. « C’était lucratif pour elles, précise Thierry Moreau. La France est le seul pays à avoir une législation aussi sévère avec l’article 9 du Code civil (« Chacun a droit au respect de sa vie privée… », ndlr), alors elles ne perdaient jamais leurs procès (sans compter que les stars n’étaient pas imposables sur les montants gagnés, ndlr). On recevait des lettres de mise en garde alors qu’on n’avait même pas l’intention de s’attaquer à la personne mentionnée. De notre côté, on avait deux avocats brillants, Olivier d’Antin et Luc Brossollet. Mais en réalité, même si l’on perdait toujours à cause de l’article 9, les sommes des dommages et intérêts que nous devions verser étaient dérisoires. Les stars réclamaient des montants astronomiques, mais recevaient, sauf exceptions, des clopinettes »…

Malgré tout, tout un buziness d’avocats sur le qui-vive se forme, attentif à la moindre mention des célébrités dans les pages du journal. « Les stars nous faisaient des procès pour des broutilles, ajoute Moreau. Catherine Deneuve, par exemple, n’a jamais joué le jeu. On a eu une condamnation pour avoir révélé le nom de son chat… » Dans le magazine où les journalistes sont les mieux payés de la presse écrite (la plupart des employés ont un intéressement aux bénéfices du magazine… avec des primes pouvant aller jusqu’à 40 000 euros sur l’année), les procès font partie du budget promotion. Même logique appliquée à l’infamie publique : elle participe de leur succès, d’une certaine manière.

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LITTÉRATURE DU RAGOT_
Une des raisons du long succès de Voici tient dans la sélection de plumes chic et drôles : Patrick Besson, Basile de Koch (ci-contre), Philippe Jaenada, Frédéric Beigbeder…


Car le journal déchaîne l’ire patricienne. Les anecdotes de vedettes en crise de nerf en sont légion : Sandrine Bonnaire, blanche de rage, venue déverser du fumier devant les locaux de la rue Daru et, pompon sur la Garonne, sommée de venir le récupérer ; le fils Depardieu – Guillaume – déboulant dans le hall de Voici, casque de moto sur la tête pour qu’on ne le reconnaisse pas et fracassant de colère le bras de la standardiste de 60 ans avec une batte de baseball ; Diam’s assénant un coup de boule au rédacteur en chef pour la couverture de trop… Selon un vétéran du magazine, qui a surtout connu le début des années 2000, les cris d’orfraie étaient significatifs d’une hypocrisie latente : « Il y avait de fausses pudeurs, tout le monde se lançait sur le magazine dès sa parution, y compris dans les rédactions parisiennes ».

« La grande époque de Voici a coïncidé avec deux grandes figures de la musique et du cinéma, qui s’en foutaient de ce qu’on écrivait sur elles », tranche Thierry Moreau, en évoquant Johnny et Alain Delon, qui, selon lui, avaient saisi l’importance de savoir composer avec cet écosystème. « Alain Delon avait un jour organisé une fausse paparazzade avec une agence. Ils nous avaient proposé une série de photos en Suisse, où on le voyait, Delon papa poule, avec ses enfants. Seule requête : ne pas flouter la plaque des voitures. Ça lui permettait de justifier qu’il était résident suisse ».

À mesure que les plaintes tombent, les tribunaux ont la main plus lourde sur les sanctions, et mis bout à bout, les procès commencent à coûter cher. Axel Ganz demande à Dominique Cellura de réduire la voilure. Deux étés vont marquer un tournant pour le magazine. En septembre 1996, l’affaire cra-cra Ducruet (ex-mari volage de Stéphanie de Monaco) ébranle l’Europe et la rédaction de Voici. Puis en août 1997, l’ultra-médiatisation de l’accident de Lady Diana pointe la responsabilité des journaux people. Pour Thierry Moreau, comme pour Dominique Cellura, les journées ont perdu en légèreté. « C’est devenu moins marrant. Au départ, on s’amusait à égratigner les stars, là ça commençait à devenir grave. Cela faisait plusieurs mois que Dominique et moi étions protégés par un garde du corps. Je recevais des menaces. Un jour, j’ai déposé ma fille à l’école. En rentrant, j’ai reçu un coup de fil : “Au fait, elle est super jolie ta fille avec son blouson rouge dans la cour de l’école”. Ce n’était plus tenable. »Thierry Moreau présente sa démission en 1996. Dominique Cellura, en 1999.

FIN DE L’ÂGE D’OR

« Le problème, avec les gens de talent, c’est qu’ils sont difficiles à remplacer », soupire Axel Ganz. Après le départ de Dominique Cellura, c’est Jacques Colin, son rédacteur en chef adjoint, qui prend les commandes du magazine. Seul souci, une ombre plane au tableau. Il s’agit de Michèle « Mimi » Marchand (la revoilà), qui, avec le départ de Cellura, étend son pouvoir sur la direction de Voici, au point d’éveiller les soupçons d’Axel Ganz. « Jacques Colin était trop dépendant de Michèle Marchand, il y avait déjà eu l’histoire de la fausse interview de Trevor Rees-Jones. Je n’ai pas aimé ça. J’ai convoqué Jacques Colin, et lui ai demandé d’arrêter de collaborer avec elle. Il m’a dit qu’il n’arriverait pas à faire le journal sans Mimi. Je lui ai répondu : si vous ne pouvez pas faire sans elle, le journal pourra faire sans vous. »

Le départ de Jacques Colin n’est pas le plus problématique. En revanche, celui de Michèle Marchand, devenue entre-temps la Griselda Blanco des paparazzis, coïncide avec une période de remous pour Voici. Car au même moment, Laurence Pieau, ex-reporter au Figaro Magazine et arrivée à Voici en 1995 – d’abord au service info, puis en tant que rédactrice en chef adjointe par intérim – apprend, de retour d’un congé maternité, que sa place de rédac’ chef adjointe n’est plus assurée à cause d’une restructuration. Elle quitte les locaux furibarde. En lançant Public (groupe Lagardère) en 2003, puis Closer (groupe Emap France) en 2005 – « avec l’aide de Michèle Marchand », précise notre ancien journaliste de Voici – Laurence Pieau fait sauter les verrous qui la sépare du saint des saints : la vie privée des politiques. Une de ses premières couves ? Ségolène Royale en bikini. « À l’époque, j’étais partie du Figaro magazine parce que j’étais intriguée par la photo paparazzi et que je voulais vivre une aventure de presse à Voici, explique Laurence Pieau. Mais j’avais été pétrie, là-bas, par l’interdit de Ganz concernant les politiques. Pour se démarquer, on a non seulement franchi cette ligne, mais en plus, on disait : autant Voici est ironique et égratigne les people, autant on va montrer que les stars sont proches de nous. On faisait des sujets typiquement féminins, sur Britney Spears, et on les traitait en plaignant Britney, pas en se moquant. Voici, quand même, c’était un mag’ fait par des mecs, avec un humour de mec… »

« LE PROBLÈME, AVEC LES GENS DE TALENT, C’EST QU’ILS SONT DIFFICILES À REMPLACER. »

 

Tandis que ce nouveau challenger profite de l’arrivée de l’émission de téléréalité Loft Story (2006) sur les ondes de M6 pour inonder ses pages de sujets plus trash, Voici poursuit sur sa ligne « fanzine punk, avec un ton à la 20 ans » et tient la route pendant quelques années encore, avec à sa tête le trio Patrick Cau, éditeur du titre, Hedi Dahmani à la rédaction en chef et Patrick Olivier Meyer, son adjoint. 2005 est une année maigre. Voici décide de faire une Une risquée : « Frédéric Beigbeder et la fille de Johnny ! », alors que l’écrivain chronique encore pour le journal… qu’il quitte, bien entendu, sur le champ. Un mois plus tard, Axel Ganz prend sa retraite.

En 2008, les voyants passent au rouge. Les chiffres de diffusion de Closer dépassent ceux de Voici. La pilule est dure à avaler. Face à cette nouvelle concurrence, plus provoc’, Voici, désormais dirigé par Loïc Sellin à la rédaction en chef et Philippe Labi au poste d’éditeur, lance une nouvelle formule en 2009. Ils récupèrent Frédéric Beigbeder, pour une nouvelle chronique « En route libre », qui ne tient qu’un an, font des coupes budgétaires, quittent la place des Ternes et déménagent les bureaux à Porte de Champerret. « Il y a eu une vraie dégringolade de Voici, sur plein de niveaux », regrette Philippe Jaenada, resté au sein du magazine jusqu’en 2021. « Comme Closer et Public se mettaient à écrire comme sur les sites internet les plus pourris, on nous a demandé de faire plus simple dans les formulations. J’ai réalisé que ça changeait le jour où, lorsque j’ai rendu mes potins, le responsable de ma page « potins » m’a demandé de remplacer le mot “circonstance” par quelque chose de plus simple, de plus court. Ce n’était plus possible d’écrire du second degré, c’était au ras des pâquerettes. »

Aujourd’hui, Voici est dirigé par Marion Alombert, arrivée en 2011. Depuis le rachat de Prisma Media par Vincent Bolloré, en 2021, l’uberisation du titre s’est accélérée. La grande majorité des contenus publiés sur le site web sont produits à la chaîne par des tape-clavier engagés par la société de sous-traitance ETX. Plus récemment, Myriam Ferrus, rédactrice en chef chargée du digital, a annoncé vouloir faire produire 10 % du contenu par l’intelligence artificielle. Une chose n’a pas changé. Dans le pire, c’est bien eux les meilleurs.

 

Par Violaine Epitalon
Photo Jeanne Pieprzownik