Quand JoeyStarr jouait les patrons de presse

authentik joeystarr

Coup de promo génial ? Vingt ans avant PNL, Authentik, le magazine gratuit à la gloire de NTM, a révolutionné la presse rap avec des interviews d’André Pousse ou Benoît Poelvoorde par JoeyStarr après quelques verres de rhum… Une aventure de presse bien arrosée ! Et racontée en exclusivité à Technikart par ses deux fondateurs : le journaliste Sear (Get Busy) et le Don Draper du rap Vrej Minassian (Epic / Sony).

 LAISSE-PAS TRAINER TON MAG’… 

Début 1999. La décennie la plus lucrative de l’industrie musicale s’achève. Le chant du cygne des gros bonnets du disque. Réunion hebdomadaire dans les locaux parisiens de Sony Music. Paul- René Albertini, nouveau vice-président Europe, est entouré de ses équipes et des patrons de label affiliés chez le géant américain, Virginie Auclair chargée du marketing international est là aussi, comme Christophe Lameignère, qui vient de récupérer le prestigieux catalogue du label Epic désormais entre ses mains (Michael Jackson, George Michael, Polnareff…). Albertini fait les comptes, feuillette le document financier du compte d’exploitation d’NTM, fer de lance d’un mouvement effervescent qu’il peine à comprendre, mais surtout grosse machine à billets. Moins d’un an après sa sortie, le quatrième album du duo, Suprême NTM, dépasse les 500 000 ventes. Il veut savoir combien a coûté ce succès à Sony, si les marges sont bonnes. Mais un détail cloche. Albertini s’interroge: « Je ne comprends pas, le budget publicité tv n’apparaît nulle part ». Lui qui connaît les rouages de l’industrie, sait qu’on n’atteint pas un tel score sans un matraquage publicitaire audiovisuel massif et coûteux. « Il n’y en a pas eu » répond Lameignère. Les rappeurs les plus subversifs du 93 squattent les sommets du hit parade sans passer par la case TV ? Lameignère explique la stratégie atypique de promotion mise en place pour l’album : du street marketing façon label indé, des radios associatives, et un magazine édité et distribué à 150 000 exemplaires gratuitement chez les disquaires, appelé Authentik, en référence au premier album d’NTM. « Mais l ’idée de génie, dans ce lancement, c’est ça ! C’est Authentik ! » s’enthousiasme Albertini. Reste qu’Authentik était tout sauf un titre dédié uniquement à la promotion d’NTM.

 

« LA PUB DES CONCURRENTS »

C’est Nicolas Nardone qui lance l’idée d’un magazine, à la rentrée 1997. Profil HEC, passé par le luxe. Avec Sébastien Farran et leur société Lickshot Entertainment, il manage des carrières d’artistes comme Raggasonic et NTM. Nicolas est un personnage bavard qui va de digression en digression – ce qui a le don d’agacer Bruno Lopes, alias Kool Shen. Mais il est surtout un fin stratège à la capacité d’analyse phénoménale. « Quand il nous annonce que NTM est fâché avec la presse rap, on se dit que ça va être la merde » se souvient Vrej Minassian, chef de projet du label Epic en charge de la sortie de Suprême NTM à l’époque. Mais le manager a une idée pour compenser : faire un magazine aux couvertures uniquement dédiées au groupe, gratuit, pour accompagner la sortie de l’album prévue en avril 1998, façon Grand Royal, équivalent californien édité par les Beastie Boys entre 1993 et 1997 avec le photographe et futur réalisateur Spike Jonze aux manettes. Vrej est aux anges : « Grand Royal, c’était un magazine de qualité, qui parlait de toute la culture transversale au hip-hop, du cinéma en passant par le sport et le graffiti. La presse rap à l’époque, elle est vendue aux maisons de disques : aucun magazine n’est capable de dire cet album c’est de la merde. Nous, on a revendiqué notre subjectivité mais surtout on a fait bien pire puisqu’on a financé le mag avec la pub de nos concurrents, dont Virgin et EMI » s’amuse Vrej.

 « ON A FINANCÉ LE MAG AVEC LA PUB DE NOS CONCURRENTS. » 

Joey et Shen sont plus que partants : ils veulent avoir leur droit de regard sur le contenu et participer aux interviews. Si NTM n’a aucun respect pour la presse rap de l’époque, un seul fanzine est crédible à leurs yeux, Get Busy, tenu par l’illustre Sear au début des années 90, compagnon des débuts de NTM connu pour sa plume cassante et graveleuse. « Dans Rock & Folk, tu avais Philox qui s’amusait à démonter tous les disques de rap, se souvient Sear. Quant au Parisien, ils avaient fait une carte des bandes violentes dans lesquelles il y avait NTM et Les Little, c’était ridicule. Ou Guillaume Durand qui avait envoyé des reporters façon guerre du Liban au premier concert de Public Enemy au Zénith de Paris, avec un compte rendu tous les quarts d’heure pour savoir si les noirs n’avaient pas mangé les blancs. Naïvement on s’était dit que le seul moyen d’avoir un contre-pouvoir, c’était de le faire nous-même. » L’esprit du mag, ce sera lui, ou rien. Sear poursuit : « C’est des histoires de mec de Saint-Denis quoi. On était partis, Shen et moi, en Angleterre à la fin des années 80, j’étais proche des gars d’IZB avec Angelo Gopee (ndlr – aujourd’hui président de Live Nation France). Et puis, Grand Royal, sans être fan des Beasties Boys, c’était génial. J’étais tombé sur huit pages sur Bruce Lee. Un mag culturel hip-hop qui parle de tout ce qui a construit notre culture ». Vrej est hésitant mais tombe sous le charme à la lecture d’anciens numéros de Get Busy : « Je me marre comme rarement en lisant ses éditos. Mais il fallait quelqu’un de carré, capable de tenir les délais. Au tout début, j’avais des doutes avec Sear. »

Pour s’assurer du bon déroulement des opérations, Sony fait appel, dans un premier temps, au journaliste rock David Dufresne (les fanzines Tant qu’il y aura du Rock et Combo !, le magazine Best…). Le franc-tireur est déjà pris, et propose Yannick Bourg à sa place, compagnon de route de Combo !. « Yannick, personne ne le connaissait, il venait de la presse rock mais était curieux, se souvient Vrej. NTM, c’est aussi punk, et c’est ce qu’il aimait. » La maquette du premier numéro est confiée à Dream On, agence qui partage ses locaux avec Reservoir Prod, la boîte de Jean-Luc Delarue. L’animateur, tout excité par le projet, fait même quelques propositions derrière l’épaule des graphistes…

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 LAVER SON LINGE_ 
Sear et Vrej se marrent, vingt ans après l’aventure Authentik. Ca n’a pas toujours été le cas…

Début avril 1998, deux semaines avant la sortie de Suprême NTM, 150.000 Authentik envahissent les Fnac, les Virgin Megastore, les comptoirs des disquaires indépendants… Au sommaire, un édito fulgurant de Sear, une interview croisée de Djamel Bensalah et Jamel Debbouze, un entretien avec Dupontel après son Bernie, Dieudonné en résistant au FN… À Julia Channel, JoeyStarr présente son petit frère lors de l’interview pour le dissuader d’arrêter ses études et de se lancer dans le X… La sublime ex-hardeuse, retraitée depuis deux ans, parle de ses fans collants, de son succès auprès des mecs de banlieue, de sa peur du Sida… Ailleurs dans ce premier numéro, Joey et Sear taclent copieusement MC Solaar ou encore Mathieu Kassovitz, surnommé « Ma queue face aux bitches »… Le ton est acerbe, d’une franchise rarement lue dans la presse. « Joey adorait faire ça. C’était la récréation au milieu du tourbillon NTM. Shen, lui, préférait les interviews de sportifs. Il ne lisait que l’Équipe » explique Sear. Avant même la sortie de l’album, le numéro est en rupture de stock…

La Fnac réclame à Sony de rééditer le numéro, mais c’est un refus. Très vite, l’idée d’en faire un deuxième est lancée. Yannick Bourg ne reste pas. De plus, Vrej et Sear ne partagent pas vraiment d’affinités. Sear : « Vrej, je le trouvais con, méprisant, un vrai mec de maison de disques sorti du Celsa avec la science infuse. Sa femme, Claire, qui s’occupait de la pub, pareil : un vrai couple de connards. Pour eux, je suis une figure imposée par NTM. » Claire Dabrowski, à l’époque âgée de 25 ans, en garde à peu près le même souvenir: « Avec Sear, c’était chaud, il avait une posture agressive… Le premier numéro est sorti dans la douleur, je me souviens de réunions où on se regardait en chien de faïence. Mais on a fini par se respecter une fois le magazine sorti. J’ai beaucoup admiré Sear. » En l’absence de Yannick, Sear propose de faire le numéro 2 seul, mais veut doubler son salaire, soit 80.000 francs par numéro. Vrej refuse. « Je lui dis : “ton mag tu te le fous dans le cul et je claque la porte”. » Au téléphone, Kool Shen finit par convaincre son chef de projet chez Epic : « Mais qu’est-ce que tu nous fais chier, c’est pas ton argent, donne-lui ce qu’il veut. »

 

BIÈRE ET RHUM

Vingt ans plus tard, assis à une terrasse de café dans le 8ème, les deux hommes s’en amusent. « Tu étais plein de préjugés parce que je venais de la banlieue » lance Sear. Vrej ne le contredit pas : « Il venait d’un milieu que je ne connaissais pas et j’avais la sortie d ’Epic la plus importante de l ’année à gérer. Trouver un imprimeur, respecter les délais, tous les trucs chiants, c’était moi qui m’en occupais. » Mais les animosités sont vites oubliées. Six mois après les 150.000 exemplaires écoulés du premier essai, l’album Suprême NTM occupe toujours la tête des classements, et un tube, « Ma Benz », vient s’ajouter au palmarès du groupe. Pour accompagner la tournée qui s’annonce monumentale, un deuxième numéro est imprimé à la mi-octobre 1998 : celui-ci sera diffusé dans les salles de la tournée. Les annonceurs se bousculent au portillon, les pages de publicité sont vendues entre 30 000 et 60 000 francs. Le tourneur lui aussi met la main à la patte. Claire précise : « On a été extrêmement couillus. C’était très prétentieux, on leur disait : Vous pouvez être dans ce mag qui est fait avec le coeur, la seule condition c’est que nous ferons nous-même la création de votre publicité. Vos trucs de chez Publicis on n’en veut pas. Le discours était tellement déstabilisant, ça les a bluffé. »

 « LE SEUL MOYEN D’AVOIR UN CONTRE-POUVOIR, C’ÉTAIT DE LE FAIRE NOUS-MÊME.» 

Parallèlement à la sortie de ce deuxième numéro, Sony publie un EP, 93 Party, qui permet de financer le magazine au contenu toujours aussi corrosif. Dans une interview de Benoît Poelvoorde, le comédien, qui jouit alors d’une renommée culte avec C’est arrivé près de chez vous (1992), et Les Carnets de Monsieur Manatane sur Canal, minimise ses talents d’acteur : « des mecs qui savent faire deux trois trucs, comme moi. » En coulisses, c’est plus électrique. La terrasse du café bruxellois où JoeyStarr, Sear, le photographe et Vrej ont pris place est vite assaillie. « Poelvoorde et Joey qui discutent, c’était voyant. Ils étaient bourrés tous les deux. À la bière pour l’un, au rhum pour l’autre. Ils ont été obligés de se réfugier à l’intérieur se souvient Vrej. Sear et Joey ne préparaient rien, c’était hyper subversif, ça pouvait partir en vrille à tout moment. » Interrogé par Sear, le maire du Raincy (93), Eric Raoult, va faire les frais de cette spontanéité. « Il me dit que NTM n’a rien fait pour la banlieue. Je lui réponds, “ mais comment vous pouvez demander à un groupe de rappeurs de régler ces problèmes alors que vous êtes le ministre de la Ville et de l’Intégration ? ” Et là, ce con, il me sort que Frank Sinatra, lui, a fait des choses ! Il me parle d’un mafieu quand même… » Comme lui, Fodé Sylla, président de SOS Racisme et pris dans une affaire d’emplois fictifs, est passé au peigne fin sans ménagement. Sear : « On allait plus loin que les autres. La seule contrainte c’était une interview d’NTM par numéro, pendant qu’ils faisaient tous la queue chez Sony pour l’avoir ! Mais ça n’empêchait pas la concurrence de la presse rap de nous chambrer… »

Authentik Technikart
 PARIS SOUS LES BOMBES_ 
La connaissance du milieu :
Sear et NTM ont profité de leurs réseaux dans le milieu du graffiti pour trouver des pépites et se les faire envoyer en photo.

 

INTERVIEW DE CASIMIR

En coulisses, les dissensions entre Joey et Shen annoncent une fin de plus en plus probable alors que le groupe est au sommet de sa carrière. La tournée mouvementée de cette fin 1998 est immortalisée par Alain Chabat et Sear lui-même, caméra au poing. Le film Authentiques, un an avec le Suprême sortira en DVD deux ans plus tard, avec son lot de scènes cultes et évocatrices de l’atmosphère qui règne au sein du groupe. Sear filme tout, dont une interview avec des journalistes de France 2 « murgés, fatigués », qui insistent lourdement dans leurs questions sur l’argent amassé par les deux rappeurs. La discussion s’envenime et le reportage n’est finalement pas diffusé. Entre temps, la gifle de Joey à une hôtesse de l’air défraie la chronique. Sear : « C’est un cas d ’école. Ils repassent les images montées de façon à montrer que Joey est violent. C’est flagrant à quel point c’est pervers. » La nécessité d’un troisième numéro s’impose au milieu de l’année 1999. Il sortira au même moment que le double album NTM Live en mars 2000, retraçant la folle tournée de l’année précédente. Plus triste, ce troisième numéro va s’écrire sur un champ de ruines laissé par Joey et Shen, dont les conflits ont fini par tuer le groupe. À la lecture, rien ne transparaît : interview tout en respect du rappeur east-coast Ice-T, une mise à l’amende du maire de Montfermeil, Pierre Bernard – opposé à la scolarisation des enfants d’immigrés – et un entretien d’anthologie entre le comédien André Pousse et Joey, encore lui. Vrej était présent : « On dîne dans son restaurant (Le Napoléon Chaix, Paris 15, ndlr), Joey on dirait un petit garçon, hyper agité, stressé, il n’arrête pas de lui couper la parole. Pousse s’arrête un moment et lui dit, “mais tu vas fermer ta gueule !”. J’ai cru que ça allait partir en vrille. Pas du tout, Joey se fait tout petit, “je suis désolé, mais je suis tellement content de vous rencontrer !” » Plus improbable encore, l’interview de Casimir (Yves Brunier) mené par Sear et Joey, décidément le duo le plus actif d’Authentik. « Le leitmotiv, c’était: on est hip hop, et partout ou on va aller ça sera hip hop parce qu’on l’a décidé. Joey, il est prisonnier de son personnage dans les médias. Mais dans la vie, c’est un mec drôle, intelligent, cultivé, et sensible. »

Sensible, JoeyStarr ? Après l’interview du boxeur Marvin Agler à Milan, dans l’avion qui les ramène à Paris, celui que l’on surnomme à l’époque Jaguar Gorgone a un coup de blues. Son binôme, Kool Shen, vient de lui annoncer la fin d’NTM. Il s’effondre en pleurs sur l’épaule de Sear. Le divorce entraîne dans son sillage la mort du magazine après trois numéros épiques. Et avec lui, il emporte ce doux rêve d’une presse musicale française libre, acerbe, cruelle et drôle à la fois. N’est pas Authentik qui veut.

 

Retrouvez l’émission de Sear, Get Busy, sur Clique.Tv

Par BAPTISTE MANZINALI

PHOTOS : FLORIAN THÉVENARD

The Beatles Monthly Book

 THE BEATLES MONTHLY BOOK 

The Beatles 60’s

Un magazine qui survit au groupe auquel il est dédié… c’est peu commun. Entre 1963 et 1969, ce mensuel est au coeur de la beatlemania pendant 77 numéros…et réédité de 1977 à 2003. Fait unique: ce sont les roadies du groupe (Neil Aspinall et Mal Evans) qui ont écrit les meilleurs articles.

absolu claude francois

 ABSOLU 

Claude Francois 70’s

En 1974, Cloclo est intouchable. Il rachète une revue de charme, Absolu, concurrente de Lui et shoote lui- même des jeunes filles – parfois mineures – sous le pseudo François Dumoulin. Deux ans plus tard, il arrête les frais avant que le scandale n’éclate.

motorbooty big chief

 MOTORBOOTY 

Big Chief 90’s

À Detroit, Big Chief (Sub Pop) s’est essayé à la presse musicale satirique. Entre 1987 et 1999, neuf numéros ont vu le jour. Drôle, méchant (avec leur tête de turc Henry Rollins) et très beau (Mark Dancey, guitariste du groupe, en assurait la partie graphique avec brio).

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 PASTELISM 

The Pastels 90’s

À Glasgow underground dans les 80’s, les fanzines sont plus importants que le NME. Pourquoi ? Parce qu’ils sont aux avants postes des nouveaux courants. Dans Pastelism, les lecteurs ont pu lire les portraits de Lee Hazlewood, Jonathan Richman ou Jad Fair. Culte !

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 GRAND ROYAL 

Beastie Boys 90’s

Mettez Thurston Moore, le basketball, la religion, Lee Perry, Vincent Gallo et Bruce Lee dans un magazine… et vous avez la culture hip-hop façon Beastie Boys. Entre 1993 et 1997, ils sortent six numéros irrévérencieux et drôles via leur label du même nom, Grand Royal. Un classique.