PRINCE, L’ŒUVRE AU NOIR

prince sign o the times estate

En treize vinyles ou huit CD, assortis d’un livre et du DVD d’un concert donné la nuit de la Saint-Sylvestre 1987 à Paisley Park, le nouveau coffret du Prince Estate compile les enregistrements, majoritairement inédits, ayant abouti à la publication de Sign o’ the Times, précipité de rock abrasif, de funk plombé et de blues terminal.


Treize juin 1987, Prince s’installe à Bercy pour quatre soirées affichant complet.
Le single «Sign o’ the Times», protest rap en descente du «Come Together» des Beatles et du «Fame» de Bowie, et qui évoque héroïne, crack, gangs, sida et infanticide, a baigné le printemps d’un soleil noir. Comme pour enfoncer le clou, l’artiste affiche désormais un nouveau look d’institutrice pakistanaise des plus maussades. Son histoire d’amour avec la France — il a tourné Under the Cherry Moon à Nice, habite avenue Foch, passe ses nuits aux Bains Douches et réalisera le clip de l’atroce «U Got the Look» durant sa résidence à Bercy — l’aurait-elle entraîné dans une double spirale de questionnement existentiel et d’obsession stylistique ?


OPUS PHILOSOPHAL

Précipité de rock abrasif, de funk goudronneux et de blues terminal, aussitôt comparé au White Album des Beatles, Sign o’ the Times résulte de la réduction alchimique de trois ouvrages: le double Dream Factory gravé avec The Revolution puis abandonné, le triple Crystal Ball, refusé par Warner et qui donnera son nom à un coffret différent en 1998, et le premier album, également remisé au coffre, de Camille —avatar transgenre de Prince qui y chante avec une voix déformée électroniquement— dont trois titres («Housequake», «If I Was Your Girlfriend» et «Strange Relationship») finiront sur l’opus philosophal de 1987. Avec son décor urbain, ses enseignes lumineuses, ses bagarres façon West Side Story et son coeur géant sur vérin hydraulique, le show millimétré du funkster glam le confirme en plus grand performer de l’histoire mais laisse amer: où sont passés le poney lubrique qui saillait sa «Darling Nikki», sous les lasers de la tournée Purple Rain et le Valentino jovial de Parade qui faisait chavirer 6000 cœurs au Zénith dix mois plus tôt? Pour les fans de la première heure, un concert de Prince sans The Revolution, c’est comme Mc Cartney sans les Beatles ou Jagger sans les Stones. A-t-il été contraint de muter artistiquement, une fois disséminé son électrofunk, de Sheila E. à Jill Jones en passant par The Family, quitte à perdre en charme ? Qu’importe, trente-trois ans ont passé et écouter les dizaines d’inédits de Dream Factory, de Crystal Ball et de l’album de Camille, remastérisés et compilés dans le nouveau coffret publié par le Prince Estate, procure une joie incommensurable. Rendu à sa chaleur folk, «Forever in My Life», groove comme le meilleur Bill Withers. Agrémenté de deux minutes supplémentaires, «Power Fantastic», sous influence de la Joni Mitchell de The Hissing of Summer Lawns fait toujours effet, à l’instar de l’enchanteur «All of My Dreams», des versions 1979 de «I Could Never Take the Place of Your Man» et 1985 de «Teacher Teacher», d’une fraîcheur réjouissante. Sous influence Zappa («In A Large Room With No Light»), James Brown («The Cocoa Boys»), Beatles («A Place In Heaven») ou Steely Dan («I Need A Man») ; sous atours psyché («Soul Psychodelicide»), doo-wop («Adonis and Bathsheba») ou gospel («Walkin’ In Glory»), le prodige de Minneapolis ridiculise la concurrence pop, d’alors comme d’aujourd’hui. Si l’on demeure à jamais nostalgique du Prince, vaporeux et sexy, de «The Screams of Passion» et «Wonderful Ass», force est de reconnaître qu’à l’époque de Sign o’ the Times, il transmutait encore le plomb en or.

«SIGN O’ THE TIMES »
PRINCE
Édition Super Deluxe (Warner)
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Par Eric Dahan