PERMIS DE CHASTE

emmanuelle richard

Quel rapport entre le grand loser sentimental des Bronzés et les refuzniks du coït ? Notre service livres est là pour nous éclairer…

On en revient toujours à Jean-Claude Dusse. Et, en particulier, à l’une des ses plus célèbres répliques : « Je sens que, ce soir, je vais conclure. » Ca sera pourtant chou blanc pour le héros, houellebecquien avant l’heure, des Bronzés font du ski, qui finira seul. Comme après tant d’autres râteaux, malentendus, gaffes ou rendez-vous manqués. Rien, donc, pour notre homme – un comble, une source de honte parfois, dans « une société où le sexe est partout » et dans une époque où « ne pas ou moins participer revient à être tout de suite perçu comme un perdant de la dictature de jouir, un relégué du capital de la séduction. » C’est le constat effectué par la romancière Emmanuelle Richard dans sa passionnante enquête Les Corps abstinents, qui s’attache à ce tabou en mêlant très habilement la première et la troisième personne. La talentueuse auteure – très remarquée avec La Légèreté, Pour la peau et Désintégration – a en effet connu « une absence d’envie ou de possibilité », un vide sexuel « alternativement subi ou choisi » avec « un nombre infini de variantes ». De cette expérience personnelle, avec tout ce qu’elle entraîne psychologiquement, physiquement et socialement, elle a voulu tirer une réflexion plus générale, consciente qu’elle n’était pas la seule, loin de là, à connaître cette situation recoupant des réalités différentes (1). Il lui fallait, dès lors, rencontrer les autres, livrer leur parole.
L’une des forces des Corps abstinents tient dans sa structure. Emmanuelle Richard ouvre ainsi chacun des chapitres par une confession autobiographique, sans fard ni complaisance, sur sa vie amoureuse, contextualisant les mots de personnes croisées, lui livrant leur parcours. La réalité de l’abstinence révèle bien des formes et des définitions.



ACTIVITÉ SOLITAIRE

Atteinte de trouble alimentaire compulsif, Sandrine attend une future « belle rencontre » – la dernière était avec un homme impuissant. Veuve à vingt-six ans et mère de trois enfants, Afia a la trentaine souhaite donner « le bon exemple » en abandonnant « les plaisirs du corps ». Se revendiquant « très cérébrale » et accro aux anxiolytiques, Alice, vingt ans, canalise sa libido dans une activité solitaire, ce qui « n’implique pas le même degré de lâcher-prise qu’avec un partenaire ». Il y a des hommes, aussi. Stéphane, lui, aime une femme ne supportant pas qu’on puisse introduire quoi que ce soit en elle –provoquant une frustration chez lui mais refusant d’imposer quoi que ce soit. On pourrait également citer Quentin, « pas à l’aise » avec les choses de la sexualité, entre dégoût du corps et difficulté à bander. Des prénoms, il y en a bien d’autres et les mots couchés sur le papier sont forts. Au fil des aveux, on en arrive même à s’interroger sur l’essence-même de l’activité sexuelle, ce qu’elle implique, comme si ne rien faire signifiait, malgré tout, une vie sentimentale, amoureuse ou sensorielle. Et qu’importe si, parfois, il n’y a pas de coup, et pas plus que de couple.

(1) Sur un sujet bien plus général, on recommandera aussi La Fin de l’amour d’Eva Illouz (Seuil).

LES CORPS ABSTINENTS
EMMANUELLE RICHARD
(Flammarion, 296 p., 19 €)
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Par Baptiste Liger