MÊME PAS PEUR : QUAND LA RÉUNION FAIT SON CINÉMA 

la réunion festival

Une taxidermiste allumée, une créature des abysses, des cyber-pirates rwandais et des accros à la mutilztion. Quand le festival de l’île de La Réunion aligne les œuvres transgressives, novatrices ou de très bons mauvais goût.

Au festival Même pas peur, dans le Sud sauvage de La Réunion, les films se suivent et ne se ressemblent pas. Parmi les courts-métrages, citons tout d’abord un objet étrange, kitsch et décalé, Stuffed, du Britannique Theo Rhys, une comédie musicale de 19 minutes sur fond de… taxidermie. Soit la rencontre d’une taxidermiste d’un bon quintal, obsédée par l’idée d’empailler un être humain, et d’un homme d’âge mûr, qui désire ne plus vieillir et figer pour l’éternité les derniers vestiges de sa jeunesse. Mais l’amour improbable entre les deux protagonistes va-t-il mettre un terme à ce projet artistique pour le moins radical ? De la belle ouvrage, drôlement morbide, avec une série de chansons simplement magnifiques.

Le Temple, du Canadien Alain Fournier, est une pure merveille, un cauchemar en 3D sur fond de tentacules lovecraftiennes. Nous sommes dans un sous-marin allemand qui sème la terreur dans l’Atlantique-Nord, lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais après une explosion dans la salle des machines, le u-boat sombre dans les abysses, tandis que la folie s’empare des soldats, et que – peut-être – une mystérieuse créature se rapproche… Incroyablement bien réalisé, le film enchaîne les morceaux de bravoure, appuie constamment sur l’accélérateur et la séquence finale sidère par sa force et sa beauté.

Du côté des longs, le film rwandais Neptune Frost vaut définitivement le coup d’œil. Sur la forme d’une comédie musicale assez brillante et énergétique, le duo Saul Williams et Anisia Uzeyman mixe pirates informatiques et afro-futuriste, moments de grâce et séquences gênantes, de belles trouvailles rap (« Martyr Loser King ») et des trucs cheap. Une sortie française est prévue pour très bientôt pour ce cyber-ovni.

Sick of myself
Sick of myself


Mais le meilleur film de la sélection reste indubitablement Sick of myself, du Norvégien Kristoffer Borgli, qui suit la drôle de descente aux enfers de Thomas et Signe, un couple beau, branché mais toxique qui se challenge constamment et se lance dans une compétition morbide. Quand Thomas accède à la célébrité, l’égocentrique Signe plonge dans la déprime et décide de tout faire – jusqu’à se défigurer – pour voler la vedette à son compagnon. C’est drôle, inconfortable, un concentré de poil à gratter entre Ruben Ostlünd et David Cronenberg quand le réalisateur plonge dans le body horror. En contrebande, le Norvégien malin balance sur le narcissisme, le vide sidéral de l’époque, des réseaux, et bientôt les stigmates de la maladie deviennent la manifestation de nos faiblesses, de nos renoncements et de notre inconsistance. Fort !

« Expérimenter de nouvelles formes de narration »

Le mot de la fin à Aurélia Mengin, grand manitou de Même pas peur. « Malgré la mort de mon père une semaine avant le festival, mon coorganisateur Nicolas Luquet et moi avons réussi avec succès la 13e édition du Festival. Les cinéphiles de tous les coins de l’île de La Réunion se sont réunis à Saint-Philippe dans le Sud Sauvage de l’île pour assister nombreux à Même pas peur ! Les projections pour les scolaires ont connus elles aussi un grand succès. Depuis sa création le festival a accueilli plus de 13 000 scolaires.

Le festival se conjugue aussi au féminin, plus d’un tiers des films de notre programmation sont réalisés ou coréalisé par des femmes. Depuis sa création, Même pas peur met en lumière des réalisatrices talentueuses et participent ainsi à féminiser le cinéma fantastique.

L’ADN de notre festival est de dénicher des films qui sortent des cases, des films ovnis, qui questionnent nos conventions sociales, des films affranchis qui expérimentent de nouvelles formes de narration sans avoir peur de déstabiliser le public. Nous avons pour ambition de sortir le spectateur de sa zone confort en programmant des œuvres qui offre au cinéphile l’opportunité de libérer son regard et sa perception en déplaçant les curseurs trop souvent coincés dans un quotidien prémâché. »

MEME PAS PEUR
www.festivalmemepaspeur.com

Par Marc Godin