MAÏMOUNA DOUCOURÉ, RÉAL’ ENGAGÉE : « C’EST UNE URGENCE POUR MOI DE RACONTER DES HISTOIRES ! » 

Maïmouna Doucouré

Multi-primée, la réalisatrice Maïmouna Doucouré revient cette année avec Hawa, une épopée réaliste dans laquelle une petite fille se met en tête d’être adoptée par Michelle Obama. Un bijou hivernal disponible ce 9 décembre sur Prime Video.

Tu as cartonné avec le film Mignonnes en 2020 et tu reviens avec Hawa. Peux-tu nous raconter ton parcours ?
Le cinéma est un univers qui m’a toujours passionné mais j’ai toujours pensé que ça n’était pas possible pour moi jeune fille noire, ayant grandi dans un quartier populaire. J’ai fait des études dans un tout autre domaine et, en secret, j’ai commencé à écrire des choses. Je me suis inscrite dans une école de théâtre au départ pour être actrice en rêvant d’un jour faire de la réalisation. En 2013, un peu par hasard j’ai participé à un concours de scénario en n’y croyant absolument pas. Quelques mois plus tard, ils m’ont rappelé en me disant que je faisais partie des lauréates. J’avais deux mois pour réaliser un film. J’avoue que j’ai eu très peur, j’étais prête à partir en courant puis je me suis dit que c’était la chance à saisir pour réaliser mon rêve. J’ai donc fait mon premier court-métrage autoproduit et là j’ai compris que les idées que j’avais pouvaient prendre forme sur un écran de cinéma. C’est une sensation magique. J’ai ensuite réalisé mon premier court-métrage professionnel, Maman(s), qui a fait plus de 200 festivals dans le monde et a remporté tellement de prix dont le César du meilleur court-métrage en 2017. J’ai ensuite réalisé Mignonnes (2020) qui a eu sa première mondiale à Sundance où j’ai remporté le prix de la meilleure réalisation et aujourd’hui, je suis fière de présenter mon nouveau film, Hawa.

Le pitch de Hawa en quelques mots ?
C’est l’histoire d’une adolescente qui vit avec sa grand-mère malade qui va bientôt mourir. Elle doit absolument trouver une personne pour s’occuper d’elle quand sa grand-mère ne sera plus là. Au départ c’est difficile puisque, pour elle, personne n’est à la hauteur mais elle finit par trouver la personne idéale qui, selon elle, pourrait l’adopter et cette personne c’est Michelle Obama. Comme Michelle Obama vient à Paris quatre jours le temps de la signature de son nouveau livre, Hawa met tout en œuvre pour la rencontrer.

Comment est venue cette histoire assez folle d’adoption par Michelle Obama ?
Je joue avec les codes du réalisme puisque que Michelle Obama est réellement venue à Paris pour présenter son livre. Je voulais un personnage réel et très inspirant qui soit un vrai role model. Quand j’étais petite, je manquais de ces figures qui me ressemblent sur les écrans de télévision. Aujourd’hui, ce que Michelle Obama incarne pour le monde entier, qu’on soit noir ou blanc, homme ou femme, c’est un modèle de réussite et d’engagement mais aussi de bienveillance.

As-tu choisi Yseult pour les mêmes raisons ?
J’étais déjà réalisatrice quand j’ai découvert Yseult. Je l’ai rencontré dans un cadre assez particulier puisque c’était dans une manifestation. C’est sa voix qui m’a énormément inspiré. Elle a une voix incroyable mais c’est son charisme et ce qu’elle représente et ce qu’elle raconte à travers ses chansons qui m’a donné envie de tourner avec elle. J’aime beaucoup les artistes qui mettent leurs blessures dans leurs chansons et qui essayent d’inspirer les autres. Elle se définit comme différente, noire et grosse donc la société ne l’accepte pas toujours pour ce qu’elle est. Il y avait une certaine logique que Hawa rencontre une femme comme Yseult sur son chemin.

Tu fais chanter Yseult en langue eton dans le film, un très bel hommage à ses parents tous deux issus de la communauté eton au Cameroun. C’est une idée que vous avez eu ensemble ?
Que ce soit quand j’ai choisi Yseult ou Thomas Pesquet, ce que j’ai essayé de faire c’est de faire des recherches sur les personnes pour trouver un moyen de les raconter en les ajoutant à la fiction. Le film reste, même s’ils jouent leurs propres rôles, une fiction. Pour Yseult, toute cette histoire de ne pas chanter dans sa langue, c’est de la fiction au service du film.

Après l’hypersexualisation des enfants dans Mignonnes, ton film pose la question de la famille, un thème fréquemment interrogé dans tes films (ici à travers le prisme de la famille d’accueil). Quel est ton rapport à la filiation ?
Le point commun dans tous mes films c’est que j’aime bien m’inspirer de ma vie. La polygamie dans Maman(s) est un cadre familial dans lequel j’ai grandi par exemple. Pour Hawa, la particularité c’est que ma fille est née avec une différence. Quand on a un enfant qui vient au monde différent des autres, on se pose forcément la question de comment ça se passera pour lui si je ne suis plus de ce monde ? J’ai voulu mettre à l’écran un personnage différent qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran. Cette histoire est aussi un hymne à la détermination car c’est ce que mon personnage de Hawa incarne. J’aime l’idée de partager avec le spectateur cette niaque, cette force de se battre pour réaliser ses rêves. Ce sont les valeurs que je veux transmettre à ma fille. J’espère que le public qui aura vu mon film n’aura qu’une seule envie : se lever et se battre pour ses rêves.

Peux-tu nous raconter ton année 2022 ?
C’est mon année Hawa ! C’est aussi l’année de la première rentrée de ma fille. C’est une année qui a été très productive, je commence déjà à travailler sur mon prochain film. Je vais réaliser le biopic sur Joséphine Baker.

Comment envisages-tu 2023 ?
Je ne sais pas trop m’arrêter, j’adore travailler puisque je suis passionnée par ce que je fais. Je me lève avec un feu sacré tous les matins, c’est une urgence pour moi de raconter des histoires. 2023 ce sera continuer, travailler sur mon nouveau film et surtout partager Hawa avec le monde entier.

Ton coup de cœur (tout domaine) de l’année 2022 ?
La rentrée scolaire de ma fille qui allait pour la première fois à l’école. C’est le moment le plus émouvant de mon année.

Tes espoirs pour le cinéma français ?
On aime beaucoup critiquer et même s’il y a des choses à remettre en question dans le cinéma français, c’est important de voir ce qui va. Je voyage beaucoup dans les festivals du monde entier et je me rends compte de la chance qu’on a en tant que Français. On a un cinéma qui est incroyable en termes de financements parce qu’on a la chance d’avoir le CNC qui soutient le cinéma d’auteur. C’est très rare, on est une exception mais qu’il faut veiller à maintenir. L’art doit l’emporter sur l’industrie parce que c’est plutôt l’inverse qui a tendance à se passer. Il y a une vraie volonté politique d’évolution sur la parité et la représentation de la diversité de la France telle qu’elle est vraiment. On n’y est pas encore mais on avance dans la bonne direction. Si je peux monter mes films aujourd’hui, c’est bien que ça a changé pour le mieux.

Hawa de Maïmouna Doucouré, le 9 décembre sur Prime Video


Par Margot Ruyter