LUCA GUADAGNINO : « JE VOULAIS TOURNER LA LOVE STORY ULTIME »

LUCA GUADAGNINO

Pour son premier film aux États-Unis, l’Italien Luca Guadagnino retrouve Timothée Chalamet, pour une histoire de marginaux qui ne se contentent pas de briser les cœurs, mais qui les dévorent.

Vous êtes connu pour le film romantique Call me by your Name mais vous avez également réalisé le remake sulfureux de Suspiria et vous adorez le cinéma d’horreur. 
Luca Guadagnino : Le film d’horreur s’intéresse au corps, attaque et dérègle nos sens, pour le meilleur et pour le pire, joue avec notre inconscient, fonctionne exactement comme les rêves ou les cauchemars.

Bones and all s’apparente à un film de cannibales très graphique, mais c’est surtout un film d’amour, tendre et délicat. 
Dans cette histoire, deux personnages marginaux, perdus, doivent survivre à l’impossible, ils résistent, ils luttent, se posent des questions morales. Et leur rencontre va se transformer en amour, fleurir. Je voulais tourner la love story ultime, la plus passionnée que j’aie jamais filmée, l’histoire de deux âmes perdues qui errent et qui se trouvent.

C’est votre second film avec Timothée Chalamet après Call me by your Name. Pourquoi ce choix ?
Il est brillant, intelligent, c’est un acteur magnifique, avec toujours plein d’idées et de nuances sur son personnage. Il est également le visage admirable de sa génération et en plus c’est mon ami. J’ai envie de travailler avec lui encore et encore. 

Timothée était votre premier choix pour le rôle ?
Il n’était pas mon premier choix, il est la raison même pour laquelle j’ai tourné ce film. Dès que j’ai lu le script, j’ai su que le personnage de Lee était pour Tim et j’ai assuré au scénariste que je ne ferai le film que si Tim acceptait le rôle. 

Est-ce que Timothée a aidé au montage financier du film ?
Non, le film était déjà financé, mais en même temps, Timothée a été présent à toutes les étapes. Il a travaillé sur le personnage, la logistique de la post-production, et même le marketing. C’est un collaborateur précieux et un ami merveilleux. 

Parlez-nous du look de Tim dans le film.
Lee a été laissé de côté, abandonné, c’est un vagabond. Il ressemble à un animal blessé, toujours sur la brèche, constamment en mouvement. J’aime beaucoup le travail du coiffeur, Massimo Gattabrusi, et du maquilleur, ils ont sublimé son côté mélancolique et âme damnée.
 

timothée chalamet BONES AND ALL


Et qu’avez-vous pensé de son look sur le tapis rouge de Venise ?
Ce n’est peut-être pas à moi de m’exprimer sur le sujet, mais personnellement, j’ai beaucoup aimé. À mon âge, je ne suis plus beaucoup les courants de la mode. Je comprends les conversations sur sa fluidité, le genre, et j’adore la façon dont Tim joue avec son image publique, cela m’amuse toujours.

Vous aimez la mode et au fil des années, vous avez travaillé sur les campagnes de Fendi, Ferragamo ou Valentino. 
La plupart des réalisateurs bossent pour la mode. Je pense bien sûr à Martin Scorsese, Darren Aronofsky, on le fait tous. Nicolas Winding Refn a bossé pour Prada, Wes Andreson a dessiné le bar de la fondation Prada à Milan… Comme metteur en scène, vous avez la possibilité de travailler pour différents médiums. Et la mode, ça peut être intéressant et drôle. 

Comment saviez-vous que l’alchimie fonctionnerait entre Timothée and Taylor ?
Je me suis fié à mon instinct. J’adore Tim, et Taylor m’avait fait une très forte impression. J’’étais vraiment sûr de moi sur ce coup-là.

Le film est très violent, gore. Est-il vrai que vous avez dû couper nombre de scènes trop graphiques? 
Ce n’est pas tout à fait exact. Lors du montage, vous vous retrouvez toujours avec un métrage beaucoup trop long. Vous avez alors besoin de retirer des scènes, de couper. Pas seulement le sang et la violence, mais aussi des parties dialoguées, des scènes entières pour préserver ce qui vous semble plus important, l’âme du film. C’est comme cela que ça s’est passé pour Bones and all.

Votre film semble à la fois inspiré par La Balade sauvage de Terrence Malick, American Honey d’Andrea Arnold et Trouble Everyday de Claire Denis.
Je connais ces films, mais mon inspiration principale était le photographe américain William Eggleston et le film noir de Nicolas Ray, They Live by Night (Les Amants de la nuit, 1951). 

Pour se préparer, avez-vous demandé à vos acteurs de regarder certains films ? 
Absolument. Allemagne année zéro de Roberto Rossellini, Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson, Sans toi ni loi d’Agnès Varda. Je voulais qu’ils comprennent leurs personnages de l’intérieur, et non par leurs actions. Et pas de film d’horreur, bien sûr, car c’est une histoire d’amour…

Au cours du film, on entend aussi bien New Order, Joy Division, que la musique de Trent Reznor et Atticus Roos.
J’ai choisi toutes les musiques du film. Quant à Trent et Atticus, je pense que ce sont les meilleurs musiciens rock qui travaillent pour le cinéma, ils sont fantastiques. Je voulais qu’ils composent un très beau thème amoureux, pour guitare, et ils ont fait un job éblouissant. 

Peut-on considérer votre film comme l’anti-Twilight ?
Pourquoi cela ?

Twilight était une bluette commerciale pour ados, alors que votre film est viscéral, incroyablement sombre, un vrai film d’auteur. 
Merci, merci beaucoup, mais je ne peux commenter cela. J’aime beaucoup la réalisatrice Catherine Hardwick et les deux derniers épisodes de la saga, dirigés par Bill Condom, étaient bons. Et n’oubliez pas, il y avait ces deux acteurs magnifiques… Mais pensez-vous que Bones and all peut être un succès commercial ?

C’est peut-être un peu radical pour un public habitué à des produits plus standardisés ?
Je ne sais pas… Parfois le public fait un triomphe à des films différents, des films qui les challengent et qui les changent. Je suis très fier de Bones and all, du travail de la MGM et de la Warner, et je viens le présenter au monde avec un délicieux sentiment d’excitation. Et le public des avant-premières comprend que l’amour est au cœur du film.

BONES AND ALL (2022)
SECRETS DE FABRICATION_
Pour son premier film américain, Luca Guadagnino a tourné dans cinq États, dans les paysages reculés de l’Ohio, du Kentucky, du Nebraska, du Maryland et de l’Indiana. Au milieu de ciels infinis et de plaines immenses.
Credit: Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures
© 2022 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. All Rights Reserved.


Comment s’est passée la réception à Venise ?
Ça a été splendide et nous avons gagné deux prix prestigieux, le Lion d’argent du meilleur réalisateur et le prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour Taylor. Nous étions tellement fiers !

Dans les seconds rôles, il y a deux comédiens extraordinaires, Mark Rylance et Chloë Sevigny.
Mark est un des meilleurs acteurs au monde et j’ai toujours rêvé de travailler avec lui depuis que je l’ai découvert dans Intimité de Patrice Chéreau. Quand il a accepté, j’étais tellement enthousiaste et je lui en serai éternellement reconnaissant. J’ai adoré l’humanité qu’il a insufflé à ce personnage désespérément seul, qui ne communique plus avec personne depuis si longtemps. Et son aspect menaçant qui fait beaucoup pour l’attaque des sens du spectateur. Quant à Chloë, c’est une de mes grandes amies. Elle est très généreuse et je veux continuer de travailler avec elle toute ma vie. 

Vous aimez changer de genres, de médiums et vous alternez les courts-métrages, les clips, les docs et même les séries.
J’ai tourné Suspiria en 2018, ma série We are who we are, des documentaires sur la pandémie, sur Ferragamo. Puis j’ai tourné Bones and all et je viens de terminer un autre long-métrage, Challengers, avec Zendaya, filmé à Boston au printemps dernier qui sortira en 2023. Je suis occupé, peut-être trop… 

Pourquoi cette boulimie ?
Oh, je peux l’expliquer. J’aime travailler, j’adore le processus créatif, et l’artisanat qui consiste à fabriquer un film au quotidien. Entre Amor avec Tilda Swinton et A bigger Splash, il s’est écoulé six ans. J’étais comme un lion en cage, c’était vraiment trop difficile et je me suis promis de ne jamais me retrouver de nouveau dans cette situation. 

Parmi vos projets, la presse parle d’une suite à Call me by your Name.
Ce n’est pas complètement juste. Je veux travailler avec Timothée aussi souvent que possible parce que je l’aime. Pour Call me by your Name, j’adore le personnage d’Elio et j’aimerais bien suivre la suite de ses aventures. On verra bien ce qu’il adviendra…


Entretien Marc godin