L’INCLASSABLE COLA BOYY A (DÉJÀ) ENREGISTRÉ L’UN DES ALBUMS DE L’ANNÉE

cola boyy

Handicapé de naissance, inclassable artistiquement, Cola Boyy a tapé dans l’œil des meilleurs producteurs et compositeurs actuels. Ils l’ont aidé à enregistrer l’un des albums de l’année.  

Il n’est pas né avec le physique de David Bowie. Sur le papier, dans un monde dominé par l’image, la chair fraîche et les vedettes jetables, Matthew Urango faisait figure d’outsider, et pire que ça : de paria. Le cauchemar commence dès le plus jeune âge : à 2 ans, atteint d’une malformation de la colonne vertébrale, il doit être amputé d’une jambe – il porte depuis une prothèse. Destin d’autant plus cruel que son frère jumeau, lui, jouit d’une insolente santé. L’enfant malade vit dans un quartier latino d’Oxnard, en Californie. Ses parents passant leurs journées à turbiner, il est élevé par ses grands-mères. L’une d’elles chantait dans des clubs quand elle était plus jeune. En autodidacte, son petit-fils commence à suivre la même voie, gratte un peu de guitare, rejoint un groupe de punk hardcore local. Quels sont alors ses goûts ? Comme premier disque acheté, il confesse CrazySexyCool de TLC. Il dit garder une tendresse particulière pour The Point ! d’Harry Nilsson. Un mélange de groove et de pop à l’ancienne : tel sera son style.

Le problème, c’est qu’il faut gagner sa croûte. Matthew prend des boulots. Il est hélas inadapté au monde du travail et finit à l’hôpital avec pronostic vital engagé à cause d’une pneumonie qui a mal tourné – en plus de sa jambe en moins, ses capacités pulmonaires sont réduites de 25 %. Ayant prouvé qu’il ne peut pas bosser, comme tout dandy digne de ce nom, il est éligible à une pension d’invalidité. Avec ce maigre revenu mensuel assuré, il s’enferme chez ses parents et se consacre à la musique à plein temps, prenant le pseudo de Cola Boyy et donnant ici et là quelques concerts : « Un invalide au chômage est constamment rabaissé dans notre société basée sur la valeur travail. En jouant ma musique devant les gens, je me sens enfin utile sur cette Terre. » Encore faut-il être reconnu. C’est le directeur artistique César Wogue qui le découvre pour Record Makers, où Marc Teissier du Cros le signe en 2018. Depuis son premier EP, Black Boogie Neon, on attendait l’album. Il prouve que le handicap peut aider à accoucher de chansons hors-normes. 


GÉNIALEMENT BIZARROÏDE

Cola Boyy n’a pas les gambettes de Clara Luciani ? Sa créativité le porte plus loin. Sa voix nasillarde, d’abord, ne ressemble à rien de connu. Sa personnalité suit : le Danny DeVito de l’underground se déclare communiste, ce qui en 2021 est presque dadaïste. Différent, à part, Cola Boyy attire à lui la crème de la crème : on retrouve sur Prosthetic Boombox des titres sur lesquels ont collaboré MGMT, The Avalanches, Nicolas Godin, Pierre Rousseau, Myd, Bon Voyage Organisation, DJ Pone, Vincent Taeger… Certains morceaux pourraient s’écouter en boîte de nuit à 3 heures du matin, tous se savourent très bien chez soi. On passe sans cesse de l’euphorie à la mélancolie avec ce funk plein de spleen. Ah, et n’oublions pas la fin, plus psyché. Face à un disque aussi génialement bizarroïde, les esprits obtus ne sauront pas sur quel pied danser. Ce qui ne manque pas d’ironie, quand on parle d’un unijambiste.

Prosthetic Boombox
Cola Boyy
(Record Makers/MGMT Records)


Par
Louis-Henri De La Rochefoucauld