LES LANVIN, BLUES-MEN : « LA BELLE AVENTURE ! »

gérard lanvin technikart

L’un est connu pour ses rôles de musicos à la traîne, l’autre s’est construit un solide pedigree blues-rock en vingt ans de carrière. Et quand le fils compose pour son père, ça donne un album bluesy et à fleur de peau. Rencontre au studio.

Manu, vous avez profité du confinement pour enregistrer un album avec votre père. Vous vouliez mettre en avant ses talents de parolier ?
Manu Lanvin : Un soir, je l’écoutais refaire le monde avec un de ses amis, et je me suis dit que les gens avaient besoin d’entendre ses mots, ses réflexions… Je l’ai toujours vu griffonner ses idées dans des carnets, et grâce à la musique, ces mots vont rester. Mieux, ça voyage !
Gérard Lanvin : J’ai surtout la chance d’avoir quelqu’un qui me connaît bien, et en qui j’ai totalement confiance, non pas parce que c’est mon fils, ça c’est autre chose ! J’ai assisté à l’éclosion de son talent, j’ai vu sa rigueur, et c’est bien pour ça que je l’ai fait avec lui. Il ne me serait franchement jamais venu à l’idée de chanter, comme il ne m’était jamais venu à l’idée d’être acteur. Ce sont les circonstances qui décident, parfois. J’ai reçu un appel un jour pour me dire qu’il s’était endormi la veille en rêvant qu’il enregistrait un album avec moi, c’est bien, il a dû bien dormir, mais c’est moi qui ne dors plus maintenant !

Cette habitude Gérard que vous avez d’écrire dans des carnets, comment l’expliquer ?
G.L. : J’entends, je lis, je vois et ça m’inspire des puzzles ! Avec Coluche, au-delà de trouver dix blagues par jour et de les raconter au petit dej’ – ce qui n’était franchement pas facile, des fois il était mal luné le mec – j’ai pris l’habitude de me balader partout avec mon dictionnaire d’histoires drôles dans la poche, même dans la salle de bain… C’est à ce moment que j’ai commencé à tenir des carnets de note, histoire de ne rien oublier, et la preuve est que ça sert !

Manu, vous avez, à 46 ans, une discographie riche de sept albums. Comment un gamin né à Suresnes tombe-t-il dans le blues ?
M.L. : J’ai dû rapidement m’en éloigner même si le blues a toujours été mon premier amour. Je pense que c’est une musique que je n’aurais pas pu faire à 17-18 ans, car j’estime qu’il faut avoir subi quelques mésaventures… À l’époque, tu te pointais en maison de disques en parlant de blues, on te mettait dehors en te demandant de revenir avec des chansons pour midinettes. Ça m’a pris du temps, les maisons de disque ne voulaient plus de moi, alors je suis parti en bagnole avec mon batteur, on a joué pour que dalle dans des centres naturistes, des campings et des pizzerias… La première année, ça a été hard, mais un jour Claude Nobs, le fondateur du Montreux Jazz Festival, m’annonce qu’il veut me programmer dans son festival. Ça a été le vrai point de départ du blues pour moi.

À la fin du concert, Claude Nobs vous propose de jouer pour Quincy Jones.
M.L. : Tout à fait ! Il m’annonce que Quincy Jones donne un after-show dans un club de jazz et là je flippe. Je lui avoue que je suis un escroc, pas du tout le bon musicien pour ce projet. Mais il insiste, « tu fais exactement ce que tu viens de faire, en quinze minutes ce sera parfait ! » Je débarque là-bas, le bar s’appelait le Funky Club Nobs et je n’ai pas joué pendant quinze minutes mais jusqu’à six heures du matin ! Après ça, Quincy Jones m’a invité plusieurs fois aux États-Unis… À partir de là, tous ceux qui ne voulaient plus de moi ont décidé de retourner leur veste pour me booker à de plus gros festivals. La belle aventure !

gérard lanvin Technikart
Here’s looking at you_
Quand un père et son fils, biberonné au blues-rock, se retrouvent, de quoi se parlent-ils ? De blues-rock, pardi !


Est-ce que la vie « on the road » ça peut faire rêver, voire rendre jaloux, un acteur de cinéma ?

G.L. : Le grand souci, c’est de ne pas être apte à l’exercice. La guitare, j’en ai fait quatre accords dans Marche à l’ombre. J’ai fini les doigts en sang. Le saxophone, c’était impossible aussi. J’ai essayé l’instrument, mais la vie m’a orienté vers autre chose. Le cinéma, il y a un rapport humain énorme, mais le rapport à la musique me manque dans le métier que je fais. Les musiciens, eux, ont de l’émotion après un concert !

À 11 ans, Manu, vous récupérez la guitare de Marche à l’ombre.
M.L. : Absolument ! J’étais attiré par d’autres instruments comme la batterie mais ça faisait beaucoup trop de bruit, et cette guitare traînait là, dans notre maison de Boulogne. Gérard m’a guidé vers cet instrument en me disant que, comme une sorte de valise, il pourrait m’accompagner partout. Alors, quand j’avais rien à foutre et personne avec qui jouer, j’avais ma guitare.

Fin des années 70, début des années 80, votre mère a eu une belle carrière dans le disco sous le nom de Jennifer (le tube « Do it for me », etc.). Que tenez-vous de votre père comédien, et que tenez-vous de votre mère chanteuse ?
M.L. : Jennifer a toujours été sensible au swing dans la musique. Dans tout ce qu’elle écoute, il faut qu’elle puisse danser ! Dans le blues que je joue, je me rends compte que je veux faire danser les gens. Gérard, quant à lui, est très sensible aux mots. Il y a peut-être une influence des deux dans ma musique. Et dans ma manière de faire les choses…

Vous écoutiez quels disques à la maison ?
M.L. : La platine vinyle tournait h24 ! Je dormais avec les lignes de basse qui faisaient vibrer les murs, j’en venais même à essayer de deviner de quel morceau il s’agissait. On écoutait beaucoup de rock, de blues, de soul aussi…
G.L. : Aretha Franklin, Otis Redding, Tina Turner, Téléphone avec qui on était très liés… Puis Paul Personne qui venait souvent à la maison aussi. Ce sont d’ailleurs eux (les membres de Téléphone et Paul Personne, ndlr) les premiers à m’avoir dit : « ton fils, il a un putain de touché de guitare, il devrait continuer… »

Gérard, en 1975 – alors que Manu vient de naître –, vous participez au lancement du café-théâtre La Veuve Pichard (devenu plus tard le Point Virgule) avec vos potes Martin Lamotte et Roland Giraud. Quelle place y avait la musique ?
G.L. : On avait Jacques Delaporte – celui qui chantait « La Salsa du démon » du Grand Orchestre du Splendid – avec nous dans la troupe. Et je vivais à cette période chez Coluche et là-bas, bien-sûr, la musique avait toute sa place. Il adorait le rock’n’roll, il avait une bonne voix d’ailleurs, il y mettait le swing… Il était, je pense, un véritable chanteur frustré !


« LA GUITARE, J’EN AI FAIT DANS MARCHE À L’OMBRE. J’AI FINI LES DOIGTS EN SANG. » – GÉRARD LANVIN


Et Manu, avez-vous des souvenirs de votre père dans le rôle de Richard, le batteur, dans Mes meilleurs copains (Jean-Marie Poiré, 1989) ? Vous étiez un ado de 15 ans à l’époque du tournage.

M.L. : Carrément ! J’allais les voir répéter justement dans un petit studio à Boulogne où ils étaient tous là avec leurs instruments à essayer – sinon de jouer – d’être crédibles !
G.L. : C’est marrant car pour Marche à l’ombre (Michel Blanc, 1984), on m’avait appris à positionner mes mains et à placer mon souffle pour donner l’impression de jouer du saxophone à l’écran. Quand j’ai vu les images avec la bande-son j’ai carrément cru que c’était moi qui était en train de jouer… Avec Manu, je sors la voix que je peux, avec les intentions que j’ai et les textes que j’ai écrit. Beaucoup d’émotion !

Vous vous êtes d’ailleurs frottés à une figure imposée du blues : la chanson de zonzon (« 5m2 », coécrite avec Calvin Russell, sortie en 2009).
M.L. :
Tout à fait ! Je rejoignais Gérard sur le tournage de Mesrine : l’Instinct de mort ( Jean-François Richet, 2008), où j’ai rencontré Charlie Bauer (bras droit de Mesrine, il avait passé 25 ans en prison, ndlr), avec qui j’ai eu la chance de discuter. Il avait dans ses manières de parler une forme de poésie un peu naïve et très chantante. Ça m’a donné envie d’écrire une chanson sur le milieu carcéral. J’avais l’intention que Gérard la chante au départ, mais entre les tournages et les concerts, c’est vite devenu compliqué. J’ai finalement eu la chance de rencontrer Calvin Russell a qui j’ai proposé de poser sa voix en français. Évidemment, Gérard débarque au studio, je le soupçonne de jalouser un peu le projet, et c’est comme ça que ça s’est terminé en duo ! « 5M2 » a finalement un peu été l’amorce de notre album.

Gérard, alors que vous évitez le théâtre depuis les années 70, allons-nous vous retrouver on the road avec cet album ?
G.L. : S’il me le propose, pourquoi pas. Avec Manu, j’aurais les couilles de le faire. Mais faut pas imaginer « Gérard Lanvin à la Cigale », faut pas rêver !

www.manulanvin.com – Gel Production
Manu Lanvin and the Devil Blues en concert le 5 décembre à La Cigale.

Entretien Laurence Rémila

Photos : Julien Grignon
Stylisme : Daphné Gibbons
Muha : Alain Boinot & Pascal Tiolet

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