LE ROMAN DU MOIS : LES ÉCLATS

ROMAN DU MOIS LES ECLATS

Pour son sixième roman, Bret Easton Ellis nous plonge dans un univers de luxe et d’opiacés, réinventant pour l’occasion le « campus novel sous stupéfiants ». On se retrouve au fond de l’amphi’ ?

Bret Easton Ellis est démodé. Et c’est peut-être justement ce qui fait de l’auteur de Moins que zéro un authentique classique, le phare d’une certaine époque, le père fondateur d’un courant littéraire avec une vaste descendance pas toujours au niveau, qui a trop souvent caricaturé les dogmes du maestro (name dropping, décadence de rejetons désabusés en Prada, etc.) – et c’est tant mieux, puisque cela oblige les autres à passer à autre chose, inventer de nouvelles formes. Bret Easton Ellis est démodé, aussi, quand on pense au contenu de son pamphlet White, pas franchement en harmonie avec une Amérique woke quelque part entre Savanarole et les pubs H&M – laquelle n’a, heureusement pour notre homme, pas dû remettre les yeux depuis longtemps dans les pages d’American Psycho… L’écrivain, presque sexagénaire, n’est plus le golden boy de la Génération X des 80’s, et c’est peut-être pour le retrouver qu’il s’est lancé dans Les Éclats. Un drôle de projet qu’il a d’abord lu sur son podcast, avant de trouver la forme traditionnelle du roman – mais, après tout, ne serait-ce pas la même chose qu’Alexandre Dumas avec ses feuilletons ? L’écriture ne serait-elle pas un sempiternel retour vers le futur ?

CAMPUS NOVEL

Quoi qu’il en soit, on retrouve Ellis, façon mise en abyme, cherchant à raconter, des décennies après les faits, ses souvenirs de 1981, lorsqu’il avait dix-sept ans et qu’il traînait sur les bancs de Buckley, une école très chic de Los Angeles. Il a une petite amie officielle, Debbie, mais s’amuse sexuellement aussi avec Matt et Ryan. Mais le jeune Bret a une fascination pour Susan et Thom, le couple « d’une beauté confondante » le plus glamour de l’établissement. « Nous étions des adolescents, des enfants vaguement raffinés, qui ignoraient tout des rouages du monde – si nous en avions une certaine expérience, leur sens nous échappait. Du moins jusqu’au moment où quelque chose s’est produit qui nous a propulsés – expulsés – vers un état de conscience exaltée ». Car, au-delà des excès en tous genres (pas besoin de détails), la réalité de ce petit monde sera bouleversée par les méfaits d’un tueur en série, le Trawler (comprenez « le Chalutier »), qui s’en prend aux animaux domestiques, avant de s’attaquer aux personnes (et il a ses raisons…). Ce monstre aurait-il un lien avec le petit nouveau, Robert Mallory ?

Ce diable de Bret Eaton Ellis nous plonge alors dans cet univers de luxe et de cauchemar, avec une mémoire sursaturée de chansons pop-rock, d’images marketées et, surtout, de films – New York 1997, Les Aventuriers de l’Arche perdue et, bien sûr, Shining . À ce titre, Les Éclats pourrait ressembler à un campus novel sous stupéfiants, mâtiné de James Ellroy, Stephen King et… Marcel Proust. Jouant jusqu’au vertige (et très librement) avec l’autofiction, l’auteur de Lunar Park mixe en effet avec brio et une sidérante fluidité narrative l’effroi, la paranoïa et la mélancolie. Le passé, ici, c’est l’horreur. Et le souvenir de celui-ci, c’est encore pire, car on est fatalement contraint d’y être attaché, et de l’aimer.

Les Éclats
Bret Easton Ellis
Robert Laffont/Pavillons, 616 pages 26€  


Par Baptiste Liger