LE CHEAPOUILLE, L’ULTIME LUXE ?

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Vous aussi, vous en avez marre de ces sempiternelles collabs avec des marques de niche ultra snob ? Ne désespérez plus, les enseignes reviennent en force !

Et si on vous disait que votre prochain total-look, vous irez le chercher au McDo du coin ? La hype a un nouveau nom ces derniers jours : celui du rappeur américain Travis Scott. Sa collaboration avec McDonald’s a donné naissance à un menu spécial Travis (« The Travis Scott meal » pour 6 $) et à une collection exclusive, imaginée par le rappeur et déjà épuisée, qui proposait t-shirts, casquettes, porte-clefs et autres goodies allant de 25 à 300 $, (mention spéciale au coussin nuggets à 90 $). Une opération qui avait pour but de rameuter une « clientèle jeune et multiculturelle » – et de prouver que s’acheter un style pour une trentaine de dollars, c’est faisable.
La version frenchy – autrement dit, le même concept en moins clinquant – est incarnée par les rappeurs Bigflo et Oli, égéries de la collab’ Célio x Visionnaire (marque créée en 2017 par les frères Toulousains). Pour 40 €, on se procure un sweat, somme toute un peu ringardos… Cheap donc, mais pas très hype. On est loin de la démarche américaine qui mise tout sur la réputation de sa mascotte. Et qui marche. En revanche, ce qui fonctionne mieux au pays des Gilets jaunes, c’est (sans surprise) l’invocation du sentiment populaire.
La dernière collection Lidl, sortie en avril en Belgique et prévue pour novembre en France, est la preuve qu’on peut être Français, cool et pas trop prétentieux à la fois. La ligne de vêtements, produite en édition limitée, fait un tabac (leurs sneakers estampillées aux couleurs du magasin, vendues à une douzaine d’euros, se sont rapidement retrouvées sur eBay à 1300 euros). Pourquoi ? Parce que, pour certains, Lidl c’est le rappel de quelque chose de stable qui est là depuis l’enfance (le savon Cien, tu connais), et pour d’autres, c’est l’assurance d’une originalité premium, même si le produit ne l’est pas.
« Je n’y croyais pas, avoue Michel Biero, directeur exécutif de Lidl France, les baskets jaunes, rouges et bleus au pied, et puis j’ai vu des influenceurs, des personnalités faire la promotion de la basket. Djibril Cissé, par exemple ! Ils se font ambassadeurs de la marque sans qu’on leur demande quoi que ce soit. » Lidl, qui tente de se débarrasser de son image hard discount, a bien compris que le streetwear est la nouvelle vague sur laquelle il leur faut surfer. « D’autant plus qu’on assure un bon rapport qualité-prix. Bon, je vous conseille pas de faire un jogging avec, mais elles sont plus que confortables ! » Un succès en somme ? Oui, surtout auprès du consommateur de 15 ans. Pour le client comme pour le commerçant, c’est un win-win.
D’un côté de l’Atlantique, chez nos amis américains, on vend avec un nom. De l’autre, on vend avec un concept. Dans les deux cas, la stratégie marketing est la même puisqu’il s’agit de séduire une cible précise : l’ado à trottinette post 2000, logomaniaque (plus Tati que Nike), consommateur compulsif et dépressif. J’ai nommé, la génération Z.


HYPE SURVIVALISTES

« La Gen Z, qui a tendance à considérer le luxe comme le totem de leur engagement, est aussi celle qui se tourne le plus facilement vers le low-cost », explique Eric Briones, auteur du livre Le Choc Z et cofondateur de la Paris School of Luxury. Alors que ceux de la génération Z ont été les premiers – avec les millenials – à se ruer dans les magasins de luxe post-confinement, ce sont aussi ceux auprès desquels la fast fashion fonctionne le mieux. On résiste difficilement à la pulsion du t-shirt à cinq euros. Mais alors, plus c’est cheap, plus c’est hype ?
C’est en tout cas ce que semblent traduire les ruées vers les McDo : la rupture de stock est dorénavant caution de succès. Et, de fait, lorsque fast food et fast fashion s’allient, c’est pour le plus grand bonheur de « la Z ». La raison ? Plus qu’un simple menu, c’est aussi l’assurance de la participation à la hype en mouvement qu’ils s’achètent. En réalité, nous éclaire notre spécialiste, c’est du « neuromarketing ». Ces marques connaissent leur clientèle et savent l’attirer avec des collabs bien clinquantes. Ils visent une tribue bien particulière de la Gen Z, les « hype survivalistes, ceux pour lesquels la fin du mois et plus importante que la fin du monde. » À l’inverse de leur congénères habités par l’angoisse écologique, ces réfractaires de la génération Z « s’offrent une dose d’estime à moindre frais, continue notre spécialiste. McDo, c’est pas du premium, mais là, ça devient branché. Ils prennent des objets low-cost et leurs donnent la patine de la hype. Et c’est aux antipodes de la transparence et de la cohérence écologique. » Et tout ça, c’est aussi du bizness : des produits en édition limitée que l’on peut revendre aux « bourgeois » sur les plateformes. Qu’à cela ne tienne, pour le hype survivaliste la fast fashion c’est la même chose qu’un bon gros burger pour un vegan en fin de soirée : c’est pas bien, mais franchement, ça fait plaisir.
On voit d’ici venir les commentaires des agités du bocal. Oui, le bon marché, ça pollue, ça tue. Mais qui dit qualité, dit onéreux. Et donc réduction du rythme d’achat. Or, on voit partout les signes d’une surconsommation frénétique à laquelle les mentors de la haute-couture semblent rester indifférents. Mais séduire avec l’idée d’une mode éthique, c’est possible ? La suite au prochain numéro…

Eric Briones et Nicolas André, Le Choc Z, 224 p., 24 €

Par Violaine Epitalon