L’ALBUM DU MOIS : QUI EXISTE

Mezigue

Cet artiste mystérieux réinvente la French Touch d’antan en l’alliant à un certain esprit alternatif. La musique électronique aurait-elle donc encore un brin de fantaisie ?

C’est une énigme que même Hercule Poirot ne saurait résoudre : pourquoi rap et électro ont perdu le contact en France ? À l’origine, ces deux genres musicaux furent liés par un homme, Philippe Zdar, que l’on retrouvait à la fois comme coproducteur de MC Solaar époque Prose combat (1994) et comme moitié du duo Motorbass, responsable du mythique Pansoul (1996). Ces deux avant-gardes avancèrent main dans la main. Seul son ami DJ Mehdi a repris le flambeau, mais temporairement – il a ensuite opté pour l’électro quand Zdar prenait lui un virage carrément pop. Les morts prématurées de ces deux artistes inclassables n’ont pas aidé la cause et, malgré de rares exceptions (TTC, le Klub des Loosers), cela fait désormais vingt ans que hip-hop et musique électronique font chambre à part.

VOTEZ MÉZIGUE

Il n’y a pas de fatalité : depuis quelques années, un franc-tireur nommé Mézigue agite l’underground parisien. Il s’est fait remarquer en 2016 avec un EP contenant un morceau au titre programmatique, « Le Problème French Touch », qui sonnait comme une version cracra de The Supermen Lovers. En 2017 sort un premier album, Votez Mézigue, où l’hurluberlu apparaît masqué, mais sans le budget déguisement de Daft Punk. On dirait Trout Mask Replica de Captain Beefheart revu par un Aphex Twin en roue libre. Confirmation en 2019 avec Le Meilleur titre pour un album – oui, nous avons affaire à un farceur. Avec Qui existe, Mézigue franchit un cap. Histoire de boucler la boucle, il a enregistré ses nouveaux délires dans l’ancien studio de Zdar, en s’entourant de synthés analogiques et en renonçant aux samples. Au niveau du look, il pioche désormais à la fois chez The Residents et chez Flavor Flav de Public Enemy. En termes de musique, il mélange house et rap blanc, Cosmo Vitelli et Stupeflip. Les oreilles frileuses n’y comprendront rien, tant les notions de bon et de mauvais goût sont ici anéanties – seule compte l’urgence foutraque. Mine de rien, il y a une forme de miracle dans ce disque : Qui existe pourra plaire aussi bien aux keupons nostalgiques de Bérurier Noir qu’aux esthètes déplumés qui attendent les concerts de reformation de Air – c’est dire si les repères volent en éclats. Alternatif et dada, Mézigue n’est pas là que pour rigoler. S’il est fort quand il s’agit d’envoyer du bois (les titres « Shmesynth Eternal Pose » ou « Stuck In The Past »), il est tout aussi doué dans les passages plus mélancoliques (« The Classic G Cut »). Nietzsche ne nous contredirait pas, lui qui disait que « tout esprit profond avance masqué ». L’an dernier, Mézigue avait participé à un album hommage à Klaus Nomi, sur lequel il reprenait sa chanson « Simple Man ». Nomi n’était pas le dernier quand il s’agissait de se grimer et de se présenter comme un farfelu, alors que sa musique cachait bien autre chose. Rappelons que lui aussi avait tâté du rap, et dès 1982, en vocalisant le morceau « Six Simple Synthetisers » de Man Parrish. Voici reconstitué l’arbre généalogique de Mézigue. Votons pour lui !

QUI EXISTE
(D.KO RECORDS)


Par Louis-Henri de La Rochefoucauld