LA RELÈVE DES PEINTRES

la relève peintre

À l’heure du tout auto-généré, la jeune garde de l’art ne se laisse pas faire. Ces jeunes peintres sont venus nous présenter leurs toiles et leur philosophie du pinceau. Au tableau !

Textes : Mathilde Delli
Photos : Arnaud Juherian
DA : Matthias Saint-Aubin

 

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SOPHIE DHERBECOURT : « NI MÈRES, NI VIERGES, JUSTE FEMMES »


Sophie Dherbecourt

Après une carrière dans la direction artistique, Sophie Dherbecourt à découvert la peinture. Son sujet de prédilection ? La féminité Art déco.

Tes débuts ?
Sophie Dherbecourt : Enfant, on m’a transmis cette attention à l’art pictural et au mouvement Art déco. Le dessin est devenu une échappatoire. J’ai commencé à peindre il y a cinq ans, pour me sauver de mes angoisses et par refuge.

Ton art ?
Je suis frustrée du manque de représentation de belles images féminines dans l’art pictural. On est trop sacralisées, donc j’essaye de proposer une imagerie nouvelle de la femme et picturalement nuancée. Ni mères, ni vierges, juste des femmes. Dans la forme, je trouve que c’est un mélange entre la déconstruction cubiste et les lumières néo-classiques.

Ta dernière expo ?
C’était en mars, avec le collectif Bisou bouche que j’ai intégré en 2020. Tout le corpus parlait d’une dépression, de la façon dont on se reconstruit… J’ai collaboré avec six artistes pour porter la force du propos par des événements. Le magazine Gaze était aussi avec nous pour parler de la guérison par l’art.

L’évolution de l’art ?
Je suis frileuse des grandes institutions, j’aimerais qu’il y ait plus de remise en question. J’aime l’idée des nouveaux lieux créatifs qui se détachent des codes de l’art parisien, car c’est encore très snob.

Tes projets futurs ?
J’ai un projet avec le musicien Béesau qui sort en mai. C’est une interprétation musicale de ma toile Pathos of thing. Et je vais reprendre la direction artistique, j’aime avoir deux casquettes. Le monde de l’art étant étouffant et anxiogène, ça me plaît de pouvoir m’en libérer parfois.

@sophiedherbecourt

ADÈLE SALAÜN MEURIOT : « EXPLORER DES FIGURES INATTENDUES »


Adèle Salaün Meuriot

À 26 ans, elle est la révélation de la pépinière de talents Le Consulat (Paris 11). Avec ses portraits munchiens, Adèle Salaün Meuriot imagine la suite.

Tes débuts ?
Adèle Salaun Meuriot : Petite, je parlais très peu. Ma mère étant psychologue, elle m’a donné les armes pour m’exprimer autrement. Donc à trois ans, j’ai commencé à peindre et c’est vite devenu une évidence.

Ton art ?
Il est lié à l’affect, à l’amour et à l’obsession. Je mets en scène mes proches dans des espaces intimes, ce qui me permet de me rapprocher d’eux. Par la peinture ils deviennent des créatures. Mon travail vient d’une urgence à voir surgir des formes qui m’étonnent.  J’ai un rapport boulimique aux images qui me poussent à chercher autour de moi des matières à peindre.

Tes inspirations ?
Le cinéma, car certains détails me donnent envie de recréer une texture de peau, une lumière, d’arriver à un aspect glossy. J’aime transformer les corps, je suis inspirée par le milieu du drag. La matière me permet d’explorer des figures inattendues, sinon je prendrais des photos.

L’évolution de l’art ?
D’un point de vue plastique et artistique, on est dans une période de mutation des techniques. Je sens que ce qui va arriver va nous surprendre.

Et l’évolution de ton travail ?
Créer avec d’autres matériaux, imaginer des cadres… J’ai une formation de céramiste, alors j’aimerais aussi mêler les deux.

Tes projets futurs ?
Ma prochaine exposition sera au festival anglais Burning woman (21 au 23 juillet à Belvoir Castle dans le Leicestershire, ndlr), puis en novembre à la Galerie du Crous (11 rue des Beaux Arts, 75006, ndlr).

@adele.sam

LISA OUAKIL : « LA MÉMOIRE D’UN ESPACE »


Lisa Ouakil

Résidente de POUSH, Lisa Ouakil, 29 ans, crée un contraste dans son art entre la géométrie des paysages et la suavité de la chair.

Tes débuts ?
Lisa Ouakil : Mes deux parents travaillant dans la musique, ils m’ont emmenée très tôt au musée et j’ai commencé à peindre à la petite enfance. Je suis entrée aux Beaux Arts après onze ans de dessin à l’école du Musée des arts décoratifs.

Ton art ?
Je travaille autour de la chair et du corps que je mets en dialogue avec la nature. Je porte une grande attention à la couleur, je broie moi même mes pigments avec de l’huile de noix. J’aime créer des grands formats pour initier un rapport physique avec celui qui regarde les toiles.

Tes inspirations ?
Elles sont en lien avec mes déplacements au bout du monde qui me font perdre mes repères et mes origines tunisiennes, espagnoles, italiennes, russes et polonaises. Pour chaque toile je veux retranscrire une sensation, ramener la mémoire d’un moment ou d’un espace. Lors de ma résidence au Mexique, j’étais à côté d’un volcan, à cet endroit où on sent la terre vivre et bouillonner.  Je me suis imprégnée ce ces lieux pour mes toiles.

L’évolution de l’art ?
Ces dernières années, il y a eu des galeries itinérantes, éphémères et on sent qu’elles reviennent dans un lieu pérenne. Je trouve que le contact humain reste très important.

Tes futurs projets ?
J’ai ma première commande publique pour la triennale de Dunkerque, c’est une  fresque se déployant sur trois façades autour de l’écologie et des liens entre corps humain et industriel. On prévoit aussi quelques concerts avec mon groupe de musique Lois Leigh.

@ouakillisa

SHUO HAO : « VIOLENT ET DOUX »


Shuo Hao

Star montante de la galerie Derouillon, Shuo Hao, 30 ans, mixe symbolique religieuse et excroissances surréalistes

Tes débuts ?
Shuo Hao : J’ai grandi à côté de Pékin et je suis venue à Strasbourg pour étudier les Arts déco. Je me suis rendue compte que le corps m’intéressait plus, donc j’ai changé et choisi l’option « illustration bande dessinée ». J’ai réalisé des livres pour enfants avant de faire de la peinture et du pastel.

Ton art ?
Féminin, corporel, animal, violent et doux.

Tes inspirations ?
Les histoires chrétiennes sacrificielles ou mythologiques. Les anciens tableaux m’intéressent plus que l’art de notre époque. Ma série de portraits de seins représente des femmes martyres historiques, comme Cléopâtre ou Sainte Agathe. Montre-moi que tu es ma mère fait référence à la Vierge Marie qui fait jaillir du lait de son sein à la demande de Saint Bernard.

Tes projets ?
Mon exposition « Love me tender » à la galerie Derouillon. Née d’une fusion entre une créature et un humain, j’ai été influencée par La Bouche de la vérité de Cranach l’Ancien, où une femme met sa main dans la gueule d’un lion pour prouver son innocence ; si elle ment au roi, elle est mordue par le lion. Sur certaines toiles, on dirait deux amants ou une personne et son intérieur.

La suite ?
Prochainement, j’ai un group show au Art Basel d’Hong Kong en 2024, et peut-être une exposition à Pékin ou Shanghai.

@haosure

CHLOE SAÏ BREIL-DUPONT : « DE L’ORDRE DE LA MYSTIQUE »


Chloe Saï Breil-Dupont

De ses ateliers à Berlin et à Ho Chi Minh City, Chloe Saï, 32 ans, use de techniques anciennes pour créer des portraits hypnotisants et troubles.

Tes débuts ?
Chloe Saï Breil-Dupont : J’ai toujours été fascinée par les images, par des scènes marquantes que j’ai eu envie de peindre. À un moment, j’ai eu besoin de me créer un monde où je pouvais exister comme je le souhaitais.

Ton art ?
Je fais de la peinture figurative avec des techniques anciennes. Mes portraits existent dans la salle au même niveau que le spectateur qui porte aussi des images en lui. Comme une sorte de mémoire collective. La façon dont on construit le futur avec cela m’intéresse.

Ta technique ?
J’ai créé « la pâte noire ». Ma peinture est plutôt lisse et peinte en glacis. La pâte noire, elle, est sculpturale, je la cuisine avec un mélange de cire, résine, de pigments calcinés, etc. Elle permet de voir autrement qu’avec les yeux, si on la touche, on peut voir avec les mains.

Tes projets futurs ?
Une exposition en mars 2024 avec Nicodim Gallery à Los Angeles. Elle sera très inspirée du mid-century esthétique de Los Angeles, mais aussi du Vietnam, où je vais travailler sur ce projet. Ce sera un monde de l’ordre de la mystique, du rêve, de l’ombre… Un monde humide, comme la mousson à Saigon !

@sai_chloe_

JULIAN FARADE : « REVENIR À UN ART ENGAGÉ »


Julian Farade

Julian a quitté l’art pour mieux le retrouver. Résultat ? Des œuvres à mi-chemin entre expressionnisme et art moderne. 

Tes débuts ?
Julian Farade : À 12 ans je suis allé au musée et je suis tombé amoureux d’un tableau surréaliste de Roberto Matta, au centre Pompidou. Je ne l’ai jamais oublié.

Ton parcours ?
J’ai d’abord fait de l’éco-gestion puis, à la suite d’un stage chez un dessinateur, j’ai décidé de faire la prépa des Ateliers de Sèvres. Ayant un rapport assez violent aux concours d’écoles d’art,  j’ai arrêté de peindre pendant cinq ans. Plus tard, pour comprendre si je voulais vraiment peindre, que c’était sérieux en moi, j’ai cherché la réponse seul.

Ton art ?
Je travaille sur ces moments de tension entre la parole et le geste, ces moments d’incommunicabilité, où on ne se souvient pas de ce que l’on a vécu, mais dont on essaye d’en sortir quelque chose. Ma peinture est colorée et expressive, il y a dix ou quinze ans, ce n’était pas la mode.

Tes inspirations ?
Le mouvement CoBrA, Louise Bourgeois, Miriam Cahn ​​et Chaïm Soutine.

L’évolution de l’art ?
C’est le retour de la peinture et c’est de plus en plus nécessaire, car le monde devient de plus en plus gris. L’art possède une force d’émerveillement et de rapport au monde engagé, alors je pense que l’on va revenir vers un art engagé.

Tes projets futurs ?
Je suis dans l’exposition collective hors les murs « Sur le fil : de Dakar à Paris »  au 19M ce mois-ci.

@horsmilieux