LA PIETÀ : DU SANG NEUF À GÉRARDMER 

La Pietà

Cette année, le festival du film fantastique de Gérardmer affichait une série de films arty, radicaux ou contemplatifs… Au palmarès, les primés, dont le film espagnol La Pietà, reflètent cette métamorphose.

C’est l’année de la métamorphose, du tournant arty pour le festival du film fantastique de Gérardmer. Ainsi Projet Wolf Hunting, objet gore et pop venu de Corée, a été diffusé devant une salle en délire, mais hors compétition. Et le programmateur de Gérardmer a multiplié les films décalés, les films d’auteur, les fables, les œuvres contemplatives, et même un film de… marionnettes. Évidemment, le festival s’est achevé avec le triomphe de La Pietà, triplement récompensé : grand prix, prix du jury jeunes et prix du public. Pas de sang, pas de mutilations, ni de frissons, mais une œuvre queer et kitsch, ripolinée en rose, sur la relation toxique entre une mère abusive, comparée à un dictateur nord-coréen, et son fiston atteint d’une tumeur au cerveau. Si le début – un mix explosif de telenovela, de concentré d’Almodovar et de films de propagande communiste – enchante, au bout de trente minutes, La Pietà patine, bégaie, balance un curieux discours sur les femmes (castratrices, autoritaires, hystériques…), assez révélateur des névroses d’un réalisateur espagnol de 31 ans, Eduardo Casanova. Et malgré les chorégraphies et quelques visions détonantes, le film ne cesse de s’essouffler, jusqu’à l’épuisement final (du spectateur).


Également arty, mais autrement plus profond et puissant, le magnifique Piaffe, premier long-métrage d’Ann Oren, venue de l’art contemporain et auteur d’installations avant-gardistes. Nous sommes à Berlin et une jeune bruiteuse de films voit bientôt un drôle d’appendice lui pousser au bas du dos : une queue de cheval. L’étrange métamorphose continue et elle va arborer fièrement une superbe queue de cheval dans les boîtes techno de la ville et entamer une liaison SM avec un botaniste. Le film est ouvertement fétichiste et accumule les visions érotiques, troublantes, sensuelles (une rose, avec ses épines, plongée au fond de la gorge de l’héroïne), dans une succession de séquences pas toujours reliées entre elles. C’est du cinéma de sensation, immersif, provoquant le rejet épidermique ou l’adhésion la plus totale. À Technikart, on aime à la folie et le jury de Bérénice Bejo et Michel Hazanavicius lui a offert le très mérité prix du jury.

 

30E ANNIVERSAIRE

Le prix du trentième anniversaire revient à un film ouvertement fantastique, Watcher, l’histoire d’une jeune femme (Maika Monroe, vue dans It follows), perdue à Bucarest, confrontée à un voisin inquiétant qui l’épie de la fenêtre de son immeuble. Très classique, le film qui puise son inspiration chez Polanski, Hitchcock et Perfect Blue de Satoshi Kon, et génère notamment une trouille atomique grâce à une mise en scène au cordeau. Dans la pénombre d’un appart, dans le métro, un couloir ou un supermarché, Chloe Okuno, sous couvert de thriller fantastique, donne à voir et à ressentir le calvaire quotidien des femmes, harcelées, suivies, persécutées.

Le dernier film au palmarès, doublement primé, est La Montagne, du Français Thomas Salvador, déjà auteur du formidable Vincent n’a pas d’écaille. Cette fois, il nous raconte l’histoire très simple d’un homme qui quitte la ville, son boulot, ses attaches, pour aller marcher sur les glaciers, escalader dans la montagne, happer par la nature, la magie, à 4000 mètres d’altitude. C’est radical et minéral, contemplatif et lumineux, et Salvador sillonne parfois les sommets.

 

PALMARÈS

Grand prix : La Pietà d’Eduardo Casanova (Espagne et Argentine)
Prix du jury : Piaffe d’Ann Oren (Allemagne) et La Montagne, de Thomas Salvador (France)
Prix du public : La Pietà
Prix du 30e anniversaire : Watcher de Chloe Okuno (États-Unis)
Prix de la critique : La Montagne de Thomas Salvador (France).
Prix du jury jeunes : La Pietà
Grand Prix du court-métrage : Il y a beaucoup de lumière ici de Gonzague Legout (France)


Par Marc Godin