KOOL SHEN : « Y AURA PAS D’MYTHO »

Kool Shen Technikart

Hip-hop won’t stop ? Alors que la culture dont il fut l’un des pionniers en France est aujourd’hui omniprésente, le co-leader de NTM se retrouve à l’affiche de Syndrome E, la série événement de TF1. Logique ? Pour Tech, Kool Shen passe à confess’. 

Au début des années 1980, grâce à l’émergence du breakdance et du graffiti, la culture hip-hop arrive timidement en France. Les jeunes Bruno Lopes et Didier Morville (respectivement Kool Shen et JoeyStarr,) portent cette culture venue de NYC en Seine-Saint-Denis avec leur collectif de graffeurs 93 NTM. Ils sont de ceux qui se retrouvent au Trocadéro pour danser, de cette poignée de jeunes qui ont vécu les premières soirées hip-hop parisiennes au Globo. Rapper en français ? Selon la légende, c’est pour répondre à un défi de Johnny Go (premier rappeur français à sortir un disque en major) que Kool Shen et JoeyStarr se mettent à écrire sérieusement. En 1991, ils sortent Authentik. Premier album, premier chef-d’œuvre. Le troisième album, Paris sous les bombes, sorti quatre ans plus tard, marque la consécration. Dans le morceau « Old Skool », Kool Shen et JoeyStarr ont l’esprit du collectif : « Unissons-nous pour le meilleur et pour le pire, travaillons main dans la main pour fortifier l’empire du rap ». 

Aujourd’hui, les entrepreneurs et les esprits créatifs venus de cette culture jadis underground sont devenus de réels emblèmes culturels, superstars à l’influence tentaculaire. Quant à Kool Shen, il fait partie de ceux ayant posé les premières briques de cette forteresse en France. L’objectif est atteint, le rêve est réalisé, serait-il temps d’en trouver des nouveaux ? Entre deux tournois en ligne, le désormais champion de poker a toute liberté pour choisir ses rôles. Le dernier en date ? On le retrouve, aux côtés de Vincent Elbaz et Bérangère Krief, dans Syndrome E, grande série d’anticipation sombre et prenante (elle est tirée du polar de Franck Tilliez) diffusée en prime. De NTM à TF1 ? Pour nous expliquer tout ça, nous retrouvons l’intéressé en marge de notre shooting couve. Enchaînant les anecdotes et les cigarettes, il se montre toujours aussi affable, drôle et lucide…

Dans Syndrome E, tu joues un flic, le capitaine Virgile di Maria. Qu’en aurait pensé le jeune Kool Shen ?
Kool Shen : À l’époque où j’ai commencé dans le rap, mon oncle, aujourd’hui décédé, m’a dit que je serai acteur et je me suis foutu de sa gueule. Acteur de quoi ?! Je ne suis pas un acteur, je fais du rap. À cette époque-là, jamais je ne me suis dit que je ferais du cinéma tout court. Alors, jouer un flic ou autre…

Dans cette série, tu as le rôle du flic plus calme aux côtés de celui joué par Vincent Elbaz, plus fou.
Oui, il est arrivé quelques mésaventures à notre ami Sharko (joué par Vincent Elbaz, ndlr) et il a un peu perdu les pédales ! Mon personnage est jaloux de ne pas avoir eu l’enquête tout en étant inquiet : il se rend compte que Sharko ne va sûrement pas mener l’enquête à bien à cause de ses problèmes psychologiques. 

C’était déjà ton rôle dans NTM ? Être une présence « force tranquille » au sein du duo ? 
J’ai pas fait du tout le parallèle (sourire). Mais dans NTM, oui, c’est assez manifeste je suppose.

Ce qui t’a convaincu d’accepter ce rôle ?
Le scénario, toujours. Quand on me présente un projet, je me demande d’abord si ça me plaît. Ensuite, ce que je suis capable de faire par rapport au personnage qu’on me propose. Par exemple, dans cette série, si tu me proposes de faire Sharko, je réfléchis un peu plus : très honnêtement, je ne peux pas faire tout ce que fait Vincent, c’est un grand acteur. Il faut être conscient de ses capacités. Donc je regarde le rôle, ce que je peux lui apporter. Si c’est dans mes cordes, top. Si ça ne l’est pas, y a-t-il un coach qui peut me permettre d’y prétendre ? Bref, je réfléchis avant de dire oui. 

On sait que tu as remporté plusieurs championnats de poker. Aujourd’hui, te sens-tu davantage comme un professionnel du cinéma, ou du poker ?
Je suis semi-pro au poker, c’est ma première activité aujourd’hui. On m’appelle de temps en temps pour faire des films. Je suis très honoré, très content ; c’est une récréation qui me plaît à mort. Avant, j’avais la musique, le poker et un peu les films. Maintenant, la musique, c’est de côté. Donc il me reste les deux autres. Mais tout va bien, hein ! 
 

« LE POKER ME PERMET DE MIEUX CHOISIR MES PROJETS. »

 

Tes gains au poker te permettent-ils de refuser des projets ?
À la télé, oui : je dis non à tout, à part quelques fictions. Je suis un fan de sport, de foot, on m’invite à des émissions, je refuse. La promo, j’en fais le minimum. J’évite à max de faire des trucs, voilà !

Donc le poker te permet de dire non. 
Ça fait sûrement frimeur de dire ça, mais les projets qui ne me plaisent pas, je n’y vais pas. Le poker me permet de mieux choisir, voilà.

Tu as 56 ans. Tu veux profiter davantage de ta vie de famille, d’avoir du temps pour toi.
Oui, je veux consacrer le reste de mon temps à des choses que j’aime. Et en plus, vu que je fume, le temps est compté… Tout ça pour dire : je ne veux pas passer du temps à faire des choses dont je n’ai pas envie. C’est un peu mon leitmotiv de vie aujourd’hui. 

Créer de la musique ne te manque pas ? Tu as régulièrement annoncé que c’était fini, puis tu revenais au bout de cinq, huit ans…
Mes retours à la musique sont le plus souvent liés aux retours de NTM. En 2004, j’arrête avec mon premier album solo, que j’ai d’ailleurs appelé Dernier Round. Et depuis, avec NTM, je n’ai pas refait d’album. Donc oui, j’ai sorti deux albums solo, tous les cinq ou sept ans. À un moment donné, en sept ans, tu as le temps de faire douze titres, parce que j’aime la musique, quand même ! Je fais tourner des instrus à la maison et j’écris. Sinon, c’est vrai que je n’ai pas écrit une rime depuis le morceau que j’ai fait avec Fianso (« Undustry » en 2020).

Technikart Kool Shen
LE MONDE DE DEMAIN_
Après la réussite Suprêmes, Kool Shen se prépare à la sortie de la série old-school Le Monde de demain et sa propre participation au Syndrome E de TF1. (Veste en cuir JITROIS et chemise RENOMA)


Comment se passe une mise en sommeil d’une carrière pour un musicien ?
Après Dernier Round, j’ai dit que j’arrêtais. Mais je rentrais chez moi et j’écrivais – j’écris le soir en général. J’avais cet automatisme de rentrer, de mettre une instru et de continuer à écrire. Sans me dire que ce serait pour un album. Tu cumules dix, douze titres et puis, cinq ans après, tu ne veux pas les jeter, il faut en être fier. Alors, un nouvel album !

Et aujourd’hui ?
Je ne fais plus ça. Donc dans cinq ans je ne pense pas que j’aurai douze titres de prêts. 

L’envie te manque ? 
Ce n’est pas que ça, mais oui : il faut vraiment avoir envie pour écrire… Pour donner tout ce que je peux donner, il faut que je sois à fond, sinon ce sera deux crans en dessous de ce que j’ai déjà fait, et ça n’aura plus d’intérêt. 

Tu préfères améliorer ton jeu. 
Je suis passionné par le poker, et ça me prend tellement de temps. Dans cette discipline, oui, j’aime apprendre, me perfectionner, jouer…

Ça a commencé quand, le poker ?
Sur Canal, en 2004 ou 2005, il y avait des World Poker Tour retransmis,et je regardais… J’ai appris les règles très vite puis je suis allé dans un casino, ça a commencé comme ça. On m’a dit : « Tu sais, tu peux jouer online, tu prends une appli et tu joues contre d’autres joueurs ». Je l’ai fait, moi qui ai du mal à envoyer un mail, et j’ai amélioré mon niveau. Après, j’ai été recruté par Winamax, c’est devenu plus pro. Ça a commencé en 2007 vraiment de façon amateur, et depuis 2009, 2010, c’est plus sérieux. 

En parallèle, tu as joué quelques beaux rôles, notamment face à Isabelle Huppert dans Abus de faiblesse de Catherine Breillat (2014).
J’avais un coach, qui m’a bien orienté. C’était mon premier truc, avec Isabelle Huppert, et en gros on est deux dans le film pour cet affrontement entre deux personnes. C’est peut-être le rôle que j’ai le plus bossé, sûrement parce que c’était le premier. 

Et aujourd’hui encore, tu ne te sens toujours pas totalement légitime à être acteur.
Je ne vais pas faire non plus le total imposteur, mais oui, c’est un métier. Il y a Leonardo DiCaprio, il y a les grands acteurs, et il y a les autres… Ce n’est pas de la fausse humilité de dire ça, c’est juste d’avoir les yeux ouverts. Donc je ne dirai pas « pas légitime », mais plutôt « work in progress ». 

Tu enchaînes sur un nouveau film avec Olivier Marchal, c’est ça ?
Ouais, je fais encore un keuf. J’ai souvent joué des flics ou des voyous, je ne voudrais pas faire que ça par la suite… 

Tu as dit que ton oncle te voyait bien faire du cinéma, mais pas toi.Comment ça a démarré, en fin de compte ?
C’est venu de Catherine Breillat qui m’a contacté un jour. Je n’avais pas d’agent, je ne souhaitais pas faire de cinéma. Mais me voyant à la télé dans une émission, elle s’est dit que je pouvais faire le rôle de Vilko Piran (qui est l’adaptation de son histoire avec Christophe Rocancourt, ndlr). C’est parti de là. 

L’an dernier, les débuts de NTM ont eu droit à un biopic, le très bon Suprêmes.
J’ai trouvé le projet très, très ambitieux. Honnêtement, les performances des deux acteurs, Sandor et Théo, sont incroyables. Moi, ça m’a choqué la première fois que je l’ai vu. 

Tu ne t’y attendais pas ?
Je me demandais même, dans un premier temps, si notre histoire pouvait se raconter dans un film. Comme quand on me demande de faire un livre. 

Tu as toujours refusé.
Ouais.

Pourquoi ?
Il faut se sentir suffisamment intéressant, important pour écrire des livres. Qu’on n’écrit pas d’ailleurs : on parle avec un mec qui écrit à notre place… Pas mon truc.

Le succès de Suprêmes t’a fait prendre conscience de l’impact qu’a eu NTM sur la culture française ?
Non, je n’ai pas eu besoin du film pour ça. Ce serait de la fausse humilité totale de ma part : à chaque fois que tu sors, tous les gens te disent « vous avez bercé mon adolescence ». Peut-être pas tous les gens, mais cette phrase, je l’ai entendue un million de fois. Quand 20 ans après, NTM remplit cinq fois Bercy sans trop de com’, tu sais bien que c’est parce que t’as marqué un peu les gens. Et le fait qu’on nous dise qu’on va faire un film sur nous, ouais, ça enfonce un peu le clou. 

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HOME RUN_
L’ancien danseur de breakdance est resté un grand sportif. La preuve : à cinquante-six ans, Kool Shen est capable d’exécuter des figures que lui jalousent les jeunots de Suprêmes. (Veste en cuir JITROIS et chemise RENOMA)


J’imagine qu’il existe de l’adrénaline quand on joue au poker. Ça peut se comparer à celui qu’on éprouve sur scène ?
Non, ça n’a rien à voir. Avoir, peu importe, 1000 personnes, 2000 ou 10 000, qui crient à chaque fois que tu finis un morceau, qui chantent… Cette sensation-là, elle est difficile à avoir ailleurs. 

Et comment décrire l’adrénaline du poker ?
C’est vraiment autre chose. Au poker, cette « chaufferie » est présente, mais elle est contenue. Sur scène, tu donnes tout pour que les gens reçoivent bien toutes les émotions que tu as à transmettre. Au poker, tu caches tout. Il ne faut surtout pas que la personne en face sache ce que tu as, si tu es confiant ou non, tu dois tout masquer. 

Donc rien ne vaut le live.
La chance de la scène, c’est que t’as ce truc qui monte, qui se libère tellement, que c’est un orgasme d’une heure et demie. Une belle performance, c’est un orgasme de deux heures. 

Et tu penses pouvoir vivre sans jamais remonter sur scène et connaître ça de nouveau ?
Oui. Avec NTM, ça y est, on a déjà dit la der. On est venu, on a rempli, c’était bien. Je sais qu’on a fait un bon show. On a travaillé, on n’était pas bancals. Ouais, on a plus de cinquante ans, mais t’inquiètes gros, va faire du cardio si tu veux te mettre à côté (rires). C’était un show comme à l’ancienne. Mais avec le show lumière, etc., en plus. 

Même si…
C’était mieux avant ? (Rires.) 

J’allais pas le dire comme ça. Mais c’est un peu l’idée.
Je ne dis pas que c’était mieux avant, mais que c’était différent. Le hip-hop correspond aussi à la société. Moi, je suis de Saint-Denis, parents ouvriers. J’ai grandi dans une « ville rouge », dans un environnement de gauche, avec ces valeurs-là. Aujourd’hui, comment a tourné la société ? Elle n’a plus rien à voir avec celle de 1980, même de 1990, avec ce côté générationnel, l’envie de réussir mais « tous ensemble ». Aujourd’hui, tout le monde se demande : « Ils aiment bien quels refrains en ce moment ? Comme ça ? Faisons ça ! » Ils sont dans une logique commerciale qui ressemble à la société d’aujourd’hui, ils ont grandi là-dedans, c’est normal. Nous, on n’espérait même pas passer à la radio, donc on ne se posait pas ces questions. Après, les mecs ont du talent. Artistiquement, il y a masse de gens qui comprennent mieux la musique que nous à l’époque. Quand j’écrivais un texte, c’était beaucoup plus rythmique que mélodique. Quand ils font une topline ils trouvent d’abord la mélodie, puis les mots. On n’est pas dans la même approche. 

Les premières années, avant les débuts de NTM, vous n’envisagiez même pas de pouvoir sortir un disque un jour ?
Ça n’avait pas de sens. Quand ils nous signent en maison de disques, on avait taffé trois morceaux avec Joey. Et là, ils nous disent qu’il faut en enregistrer douze pour faire un album. Qu’est-ce qu’on va dire ? Nous, on rappe sur scène, on est bons parce qu’on est d’anciens danseurs. On a fait la compil’ Rap Attitude, on passe sur scène, mais on n’a que trois morceaux. On est surpris, quoi, c’était pas prévu dans le film.

C’est ce que raconte la nouvelle série d’Arte, Le Monde de demain ?
Elle raconte la période avant Suprêmes, quand on est encore plus jeunes. On ne se connaît pas encore : je sais qu’il y a un gars qui s’appelle Didier Morville, lui sait que je m’appelle Bruno Lopez, mais on ne traîne pas ensemble, peut-être que je suis encore dans le foot à l’époque. On n’est même pas encore NTM. Dans la série, on retrouve ceux qui ont ramené le hip-hop en France : Dee Nasty, qui faisait des bloc-partys avec ses platines et son groupe électrogène dehors ; les autres. C’est retranscrit de façon magnifique. 

Vous aviez l’impression de faire partie d’un mouvement à l’époque ?
Quand on allait au Globo, on était 300 oufs à se dire « tiens, c’est super le hip-hop ». Tu sais que t’as fait partie d’un truc, parce que t’y étais à ce moment-là et que tu as continué. On a monté NTM ensuite. Ça a d’abord été un groupe de graff’. Mode 2, qui est l’un des plus grands artistes graffiti, peignait chez nous, on était connus dans le microcosme. Ensuite, il y a eu le groupe. Mais on a jamais été seuls. Quand on avançait, c’était avec plein d’autres : on peut citer les Marseillais (IAM, ndlr), etc. On l’a fait… mais on l’a pas fait tout seuls.

Et avant la création du groupe, qu’écoutiez-vous ?
Eric B. and Rakim, Biz Markie, Run DMC, puis Public Enemy, Beastie Boys… Tout ce qui est hip-hop new-yorkais. D’ailleurs, celui de Los Angeles n’existe pas encore, il arrive avec N.W.A. en 1988 alors que nous, on écoutait du rap depuis 1983. Donc ce sont Grandmaster Flash & The Furious Five les premiers, si on veut revenir à ce qu’on écoutait au départ.

Et ton regard sur NTM aujourd’hui ?
Quand j’ai regardé Suprêmes, ce que j’ai trouvé frappant, c’est la sensation de liberté qu’on avait.

Et la suite pour toi ?
Retrouver un peu de cette liberté. Et peut-être enchaîner sur Syndrome E saison 2…

Syndrome E, sur TFI le jeudi soir et en replay sur MyTF1 


Entretien Pierre-Alexandre Pestie &
Laurence Rémila
Photos Eddy Brière