JOANNA, CHANTEUSE STIMULANTE : « UNE PÉTASSE, ÇA N’EXISTE PAS ! »

joanna chanteuse

Après un premier EP (Vénus), Joanna revient avec son album érotico-engagé, Sérotonine. À 22 ans, la chanteuse la plus libérée de la scène RnB pop donne le ton et son avis sur le désir féminin. Interview décomplexée.

Sérotonine est ton premier album. Pourquoi ce titre ? 
Joanna : L’album parle d’une relation amoureuse de A à Z. C’est un peu un dictionnaire du love musical. J’ai pu analyser mes propres comportements et ceux des autres dans les relations amoureuses. Pour moi, l’amour a été salvateur, grâce à lui je me suis extirpée de quelque chose dont j’étais prisonnière quand j’étais plus jeune. On peut dire que ça a été mon anti-dépresseur. Et la sérotonine, c’est ce qu’on trouve dans les anti-dépresseurs ; c’est pour ça que j’ai donné ce nom à mon album. 

Tu analyses les relations amoureuses avec beaucoup de précision et de justesse. T’es tu sentie libre dans l’écriture ? 
Oui assez ! Au début je n’avais pas l’intention de faire ce concept, je me suis laissée aller puis je me suis retrouvée avec six ou sept morceaux. J’ai alors compris que j’avais analysé toutes les étapes d’une relation. Je pouvais en faire une histoire de A à Z. 

Ton morceau « Sur ton corps », est charnel, voire érotique. C’est important pour toi de parler de sexe en 2021 ? 
Bien sûr. C’est important de parler des tabous en général. C’est aussi important pour moi de parler de sexe avec un regard féminin et féministe. 

« Tes soupirs m’inspirent les plus beaux décors » (dans « Sur ton corps ») : tu parles de fantasmes. Ils n’ont pas de limite pour toi ? 
Il y a de ça. Je trouve que nos fantasmes nous guident, c’est quelque chose qui nous anime au quotidien. Et c’est beau ! 

Dans ton morceau « Séduction », tu parles du fantasme féminin. Pourquoi l’évoquer de cette façon-là ?
« Séduction » est mon premier morceau et aussi le premier morceau que j’ai écrit en français. Je me questionnais beaucoup sur à ma sexualité et mon attirance envers les gens. Toute ma vie je me suis toujours retrouvée à être attirée par des femmes sans jamais vraiment en parler. C’était gênant, jusqu’à ce que je découvre le féminisme. « Séduction » n’est rien d’autre qu’une chanson pour dire ce que je n’ai jamais réussi à formuler durant toute mon enfance et mon adolescence. C’est une ode à la libération du désir feminin envers une femme. 

Tu es la seule artiste femme à parler de sexe de cette façon là. As-tu conscience de faire partie de cette génération de femmes libres et puissantes dans la musique ? 
Oui j’en ai conscience. Je suis contente de faire partie de quelques pionnières qui parlent des choses tabous, mais je ne suis pas la seule. Il y a aussi Yseult, avec son morceau « Sexe » ou Bonnie Banane. Même Angèle parle de féminisme de manière plus mainstream. Ça me semble logique ; aujourd’hui, on ne peut pas parler d’autre chose. 

Ta vision du sexe post-covid ?
On ressort, on voit les visages… et les gens sont beaux ! Il va y avoir plein de sexe dans l’air, d’autant plus avec l’été qui arrive ! Il y a un mélange d’excitation de rencontrer, de découvrir des gens. Les gens vont davantage se centrer sur ce qu’ils veulent vraiment et ne vont pas reproduire certains schémas. Cette année, on est trop resté dans le sombre, il faut au moins qu’on se libère pendant deux ou trois mois.Qu’on profite de nos corps et de nos sentiments. 

Tu vis librement ta sexualité ? 
Il y a encore plein d’étapes que je n’ai pas passées. Je suis encore beaucoup imprégnée du porno hétéro, du male gaze… J’aspire à m’en détacher. 

Tu pourrais réaliser un film porno ?
Je l’ai fait ! J’ai réalisé un clip porno sur Pornhub avec le couple Leolulu, couple beau, très amoureux, très hétéro aussi. Si je le pouvais, je ferais un album porno et le film porno qui va avec. J’encourage toutes les femmes qui ont des idées de films porno, de chansons porno, de podcast porno.

« JE TROUVE QUE NOS FANTASMES NOUS GUIDENT, C’EST QUELQUE CHOSE QUI NOUS ANIME AU QUOTIDIEN. ET C’EST BEAU ! »

 

Dans ton morceau « Nymphe solitaire », tu parles d’une nymphomane. Quelle est la genèse de ce morceau ?
Le morceau est en deux parties. La première parle de masturbation. La seconde est sombre et lourde. Je l’ai composé parce que j’ai vécu une période de grosse frustration de plaisir. Je me sentais honteuse de désirer autant. C’est violent d’avoir envie de faire l’amour et de ne pas se faire comprendre, de ne pas être satisfaite. 

Dès lors que l’on parle crûment de ses désirs, on est taxé de « nymphomane »…
Oui totalement. Ce personnage dans la seconde partie de la chanson est une espèce de deuxième moi qui me regarde à travers les mots et les codes de la société. Moi-même je ne me traiterais jamais de nymphomane. Je reprends les codes du regard masculin par rapport au plaisir féminin. 

Dans ton morceaux « Pétasse », tu dis : « Regarde, tu l’as bien cherché ». 
C’est ce qu’on a pu me dire quand certaines choses me sont arrivées. C’est ce qu’on dit à chaque fois, à chaque personne. « Pétasse » dénonce ce truc et dit : non, il n’y a pas d’excuses. J’avais besoin d’extérioriser ce qui m’était arrivé parce que j’ai rien trouvé d’autre pour le faire. En tout cas, je n’ai pas trouvé de justice. Pour l’instant je n’y crois pas encore. Le seul moyen d’en parler c’était à travers ma musique et j’espère que ça peut s’inscrire dans un réveil des consciences. 

Faut-il faire justice soi-même ? 
Par soi-même, pour soi-même et pour tes sœurs. Pour le reste, il faut se battre ! Mais à travers la culture et l’art. C’est souvent comme ça que ça s’infiltre j’ai l’impression. 

Et comment as-tu pensé la réalisation du clip (dans lequel la femme abusée tue l’homme à la fin) ? 
L’idée était de mettre le spectateur et l’auditeur dans le vif du sujet, les mettre face à la violence de cet acte. 

Ta définition de la pétasse ? 
Pour moi ça n’existe pas, c’est une expression d’homme inquiet de sa virilité 

Et celle de mâle alpha ? 
Cette définition n’a plus de sens aujourd’hui, puisqu’on est en train de remettre en question les codes du genre. Un mec viril, ça ne me touche pas, au contraire ça me repousse. Si on peut le redéfinir, c’est juste un mec qui fait preuve d’empathie. 

« Je suis un peu trop parfaite pour te suivre dans ta défaite » (dans « Désamour »). Tu fais de l’egotrip punchline ? 
Un peu ! Je me rends compte aujourd’hui qu’en tant que femme, c’est important d’être capable de se jeter des fleurs. C’est essentiel de puiser dans ses faiblesses pour se convaincre de sa force. L’egotrip c’est une porte de sortie.  

Comment définirais-tu ton style musical ? 
Je me suis longtemps posé la question. J’ai des influences multiples : la pop hyper mainstream, la pop américaine, la chanson française, le rap US, la techno, etc. Ce qui définirait le mieux mon genre musical c’est le RnB. Pour être plus précise, le RnB pop.

Tes inspirations musicales ? 
Mylène Farmer, Lady Gaga… que des femmes ! Mais aussi un peu de Travis Scott, Kanye West, Tommy Genesis, Sevdaliza… 

La femme moderne c’est celle qui parle librement et explicitement dans la musique. Celle que tu incarnes  ? 
C’est une femme qui se rend compte du monde dans lequel elle vit, de sa condition, de son histoire. On peut tout faire, tout dire, comme un homme le fait. 

Depuis ces dernières années, on assiste à la féminisation du rap. Il était temps ? 
Ce n’est pas nouveau, mais aujourd’hui il y a plus de lumière sur elle. En tout cas, ceux qui sont intéressés peuvent y avoir accès plus facilement qu’avant. Il va y avoir une révolution musicale dans ce sens-là. Et j’espère en faire partie !


En concert à La Gaîté Lyrique le 27 octobre 2021.
Album Sérotonine (BMG)


Par 
Jasmine Thiré
Photo Nathan Merchadier