JEAN-MICHEL JARRE, RETOUR VERS LE FUTUR : IMMERSION ET LUMIÈRES

jean-michel jarre

Son nouvel album Oxymore a été conçu pour être écouté à 360 degrés. Il lance un métavers musical, Oxyville, et travaille avec Renault sur de nouvelles voitures électriques. Entre l’artiste, l’ingénieur et le philosophe, Jean-Michel Jarre va toujours plus loin dans l’immersion sonore.

Où l’avenir pourrait-il s’inventer si ce n’est dans le XVIe arrondissement de Paris ? Il n’y a pas que la banlieue dans la vie. Fin septembre, Jean-Michel Jarre nous avait donné rendez-vous à la Maison de la Radio pour écouter en avant-première son nouvel album, Oxymore, qui a été en partie créé sur place. C’est ici qu’est désormais installé le Groupe de recherches musicales (GRM), lequel était ailleurs mais déjà dans le XVIe quand Jarre y fut formé par Pierre Schaeffer. La mort de l’autre Pierre angulaire, Pierre Henry, a renvoyé Jarre à sa jeunesse de laborantin : il a hérité de sons d’Henry et s’est lancé dans l’enregistrement de cet étonnant Oxymore, peut-être son disque le plus expérimental depuis Zoolook, même si on y retrouve le côté pop de l’excellent Equinoxe Infinity paru en 2018.

TROIS DIMENSIONS

Jarre ne faisant jamais rien comme personne, il nous installe au milieu d’une pièce où sont posées un peu partout une vingtaine d’enceintes. Il lance Oxymore. On se retrouve plongé dans une expérience sonore inédite, enveloppé par les rythmiques martiales et les boucles mélancoliques. On repère un son brut : un feu qui crépite. Fausse piste : il s’agit du froissement de bandes magnétiques, clin d’œil à Fellini qui préférait l’artifice à la nature, et dont Jarre fut l’ami. Convaincu que « c’est la technologie qui dicte les styles, et non l’inverse », l’intello des synthétiseurs a composé ce disque en trois dimensions. Une innovation qui renoue avec de vieilles racines hexagonales et continentales : « Oxymore est un hommage à la pensée française, à notre approche organique du son et notre vision de la musique électroacoustique. Si Henry et Schaeffer étaient américains, ils seraient aussi connus que John Cage. Certains croient que c’est à Détroit qu’a été inventée l’électro. Rien n’est plus faux ! Son berceau fut en Europe : en France avec le GRM, et en Allemagne avec Kraftwerk et Stockhausen. Et rappelons que le thérémine fut inventé en Russie dès les années 1920 ! Ou que, en 1913, le futuriste Luigi Russolo publiait L’Art des bruits en Italie… »

Un siècle après ces pionniers Jarre prolonge leurs travaux, avec au fond de ses réflexions l’interaction entre la musique et la société. N’ayant toujours pas digéré que les Américains aient piqué Internet aux Français, il aimerait que nous nous positionnions vite dans les mondes virtuels en construction. Voici pourquoi il est associé au lancement d’Oxyville, un métavers musical européen qui, espère-t-il, nous permettra de ménager notre souveraineté – une sorte d’Airbus de la culture, si l’État consentait à y mettre les moyens. Menant de front mille projets, Jarre vient de donner au Palais Brongniart d’époustouflants concerts en multicanal 360. Et son équipe collabore aussi avec Renault et Stellantis sur l’application de sa musique à 360 degrés dans des véhicules électriques. C’est dans les vieux pots d’échappement qu’on fait les meilleures confitures : avec Jarre, il sera bientôt à nouveau cool de faire de l’auto-stop.

Oxymore (Sony)


Par
Louis-Henri de La Rochefoucauld