JEAN-CLAUDE ELFASSI, INGLORIOUS PAPARAZZO

Depuis quatre ans, le journaliste  Jean-Claude Elfassi se consacre à la « chasse aux antisémites et aux ennemis d’Israël ». Photos exclusives, articles incendiaires sur son blog et pression sur les collaborateurs de ses nouvelles cibles, tout est bon pour leur rendre la vie impossible. Rencontre avec un homme engagé.

Elfassi, la life 

1965 – naissance à Neuilly sur Seine le 19 août 
1988-1992 : Reporter à La 5
1999 – Reporter pour la chaîne américaine NBC News
Années 2000 : Reconverti en paparazzo, gagne une fortune avec ses clichés
Depuis 2013 : S’attaque à Dieudonné, Soral, Tariq Ramadan et compagnie…
2018 : Vit une pré-retraite rêvée : ski, voyages et « chasse aux affreux » 

Un samedi du mois de janvier. J’ai rendez-vous dans un restaurant vegan avec le journaliste et ex-paparazzo Jean-Claude Elfassi. L’homme aux « 200 couves » est vêtu de son uniforme habituel : pull noir, jean et Stan Smith blanches usées. Sur sa tête, ses lunettes de soleil Vuarnet dont il ne se détache jamais. Il commande un cocktail détox – j’ai quant à moi choisi un jus de carotte, je sens que l’on va bien s’entendre ! Une fois son verre servi, il se lance illico dans le récit d’un des coups dont il est le plus fier.
C’était en Juin 2002. Un informateur le contacte pour lui faire part d’une « piste sérieuse » concernant la localisation d’Yvan Colonna (à l’époque recherché pour l’assassinat du préfet de la Corse Claude Erignac, ndlr). On lui affirme l’avoir vu dans une petite ville reculée du Venezuela. JCE prend le premier vol pour Caracas – ville extrêmement criminogène et en proie à des manifs  se terminant généralement en bain de sang – et retrouve le témoin. L’homme le plus recherché de France se trouverait à Mérida, une petite ville à l’Ouest du pays, à quelques heures de vol en bimoteur. Le témoin amène JCE à l’« Hoyo del queque », le bar français dans lequel Colonna aurait été aperçu. Le tenancier des lieux confirme en voyant la photo de Colonna que lui tend l’intrépide reporter : oui, le patron se souvient très bien de ce client. Mieux : un habitué des lieux annonce disposer du mail de « l’ami de Colonna ».
De retour en France, JCE envoie un mail à l’adresse. Son destinataire confirme : oui, c’est bien lui qui était à Mérida en compagnie « d’un ami ». Un ami parti depuis… en Guadeloupe. JCE prend alors le premier avion pour les tropiques, sachant pertinemment, dit-il aujourd’hui, qu’il ne s’agissait pas de Colonna, mais de quelqu’un qui lui ressemble. Il arrive effectivement chez un certain Christophe, sosie d’Yvan Colonna ! « Cette découverte met à mal la piste que suivaient les enquêteurs français » affirme Jean-Claude en reposant son jus de détox. « Je rentre alors en France, et je publie mon enquête aussitôt, dans le but de me moquer des services de police français. » Pendant deux semaines, la couverture du magazine VSD s’habille d’une photo de ce sosie de Colonna, en Guadeloupe, au beau milieu d’un troupeau de chèvres…


« Robin des bois »

Tel est JCE. Provocateur, capable de rapporter « la » photo impossible. Au début des années 2000, il devient le premier fournisseur de la presse tabloïde. Le mariage d’Eva Longoria et Tony Parker ? Celui de Tom Cruise et Katie Holmes ? Jamel disant oui à Melissa ? Lui à chaque fois. Les premières photos de Bertrand Cantat libre ? La photo du carnet d’adresses du fugitif Alfred Sirven, l’ancien directeur d’Elf, alors qu’il était recherché pour corruption et détournement de fonds ? Jean-Marie Messier planqué après son éviction de Vivendi ? Le serial killer Patrice Allègre en audition à Toulouse ? Ou, plus récemment, la photo de Mohamed Merah abattu par le Raid ? Toujours lui.
Ayant débuté, à la fin des années 80, comme reporter à la 5 mais aussi pour l’émission SOS Animaux de Brigitte Bardot, il fera ses armes en intégrant le JT de France 2 en 1992. Il y restera sept ans, quittant la chaîne car, avance-t-il en riant, « à l’époque, c’était un repère d’alcooliques, de syndicalistes, déontologues crasseux, fonctionnaires et antisémites ! » Tout ce que ce « loup solitaire » (pour reprendre l’expression d’un de ses anciens collègues) – détenteur d’un passeport israélien et de cartes de presse de toutes sortes de corporations – déteste. Puis, il est engagé par la chaîne américaine NBC News pour laquelle il couvre les conflits Serbo-Kosavar, mais aussi libanais, irakiens…

« En fait, j’étais un Robin des bois des temps modernes : je prenais aux riches pour donner… à moi. »


À son retour d’Irak, il se lance dans le journalisme d’investigation.  Il est à l’origine des publications dans la presse de documents internes de Vivendi, qui contribueront à la mise en examen de Jean-Marie Messier. Il  enquête également sur les mensonges avancées par Patrice Alègre, faisant disculper au passage Dominique Baudis. Parcourt le monde à la recherche de Sirven dans l’affaire ELF… Mais comprend par hasard qu’il peut gagner plus d’argent en s’intéressant aux turpitudes des célébrités.

À partir de 2005, Jean-Claude Elfassi use de techniques d’infiltrations dignes de films d’espionnages pour obtenir « la » photo vendeuse. « Je suis un montagnard, je pratique l’alpinisme, cela m’a permis d’escalader à mains nues le mur d’enceinte de quinze mètres du château de Bracciano, en Italie, pour le mariage de Katie Holmes et Tom Cruise, raconte-t-il. Ou le mur de douze mètres de l’abbaye des Vaux de Cernay, pour le mariage de Jamel Debbouze. C’étaient des endroits non surveillés, puisque soi-disant impossibles d’accès. » Pour le mariage d’Athina Onassis et Doda,  il réussit à tromper la vigilance de 2000 agents de sécurité, après avoir traversé une jungle pour accéder au lieu de la cérémonie. Pour le mariage de Tony Parker et Eva Longoria, il se cache deux jours dans les greniers du château de Vaux-le-Vicomte avant de s’infiltrer dans le mariage. Tous ces clichés de mariage lui permettent de gagner des sommes rondelettes (ses clichés des noces de Parker et Longoria lui auraient rapporté plusieurs centaines de milliers d’euros) tout en se trouvant une justification morale : « j’étais outré d’apprendre que des peoples, qui ne sont pas dans le besoin, aient le mauvais goût de vendre les photos de leur mariage des centaines de milliers d’euros à la presse – plus encore lorsqu’ils vomissent cette même presse. J’ai donc décidé de mettre fin à cette hypocrisie, en cassant leurs exclusivités. En fait, j’étais un Robin des bois des temps modernes : je prenais aux riches pour donner… à moi. » Il rit de la formule, comme s’il la sortait pour la première fois, avant de désavouer son ancien métier : « La vie des autres, ce n’est pas mon truc. Mais c’était intéressant financièrement – je ne renie rien… » Tout au long de ses « années presse people », il devient un habitué des plateaux télé de 50 minutes inside, d’M6, de Delarue, de Morandini. Et le « personnage Elfassi », lunettes noires, morgue sarcastique, naît. « Les sujets que nous évoquions – télé réalité et toutes ces conneries – ne m’intéressaient pas. Porter ces lunettes opaques, c’était afficher le dédain que je pouvais avoir pour mes interlocuteurs et les sujets abordés.  C’était de l’insolence, un filtre. » Ou comment courir les médias, tout en les méprisant.

 

« Son ennemi numéro un »

C’est sa découverte, en 2013, d’une vidéo de Dieudonné, qui lui fait changer d’intérêts. Bye-bye la traque aux candidats de télé-réalité et aux mariages expansifs, Jean-Claude se lance alors pleinement dans « une chasse aux antisémites ». A l’époque, alors qu’il déjeune avec l’une de ses anciennes consoeurs de France 2, celle-ci lui montre une vidéo du comique : « J’ai été choqué par la violence et la haine de ses textes, se souvient-il. J’ai été étonné que l’on puisse tenir de tels propos publiquement sans que personne ne réagisse. » Il étudie de près les vidéos de son nouvel « ennemi numéro un », et ne le lâche plus. « Dieudonné s’est servi des juifs pour faire sa promotion, alors qu’il était tombé dans l’oubli, analyse Jean-Claude aujourd’hui. Ses sketchs antisémites l’ont fait sortir de l’ombre grâce au scandale et à la médiatisation par la communauté juive. Je pense qu’il a lui-même été surpris de cette notoriété retrouvée. Il s’est découvert un nouveau public de racailles et d’antisémites… Je ne crois pas que Dieudonné était antisémite au départ, plutôt qu’il l’est devenu “par dépit”. Il a dû attribuer ses déboires professionnels aux juifs, alors que son ancien compagnon, Elie Semoun, était toujours en haut de l’affiche. Comme d’habitude, le juif est le bouc émissaire ! Et il est maintenant prisonnier de son personnage. »

« À partir du moment où quelqu’un s’attaque à Israël ou aux juifs, je ne le lâche plus. »


Il attaque donc Dieudonné de toutes parts, dans le but, comme il dit, de « démonter son système machiavélique ». Il commence par les propriétaires du Théâtre de la Main d’or, le QG historique du comique, pour les convaincre de résilier son bail (Dieudonné est censé quitter l’immeuble début 2018). Il s’attaque à son public en publiant la liste de tous ses « adeptes » sur son blog. Il alerte les services financiers en fournissant la liste de ses donateurs et les montants. Il donne les noms des banques et assurances qui collaborent avec Dieudonné… « Je lui ai mis une pression importante durant quelques mois. Puis, la presse et les politiques ont finalement pris le relais. » Depuis, Jean-Claude Elfassi passe son temps à dépecer l’antisémitisme chez les personnalités publiques (« Mes meilleurs ennemis ? Ils sont tous antisémites ! À partir du moment où quelqu’un s’attaque à Israël ou aux juifs, je ne le lâche plus. ») Sans oublier pour autant de venir en aide à la veuve et l’orphelin (il a milité la réouverture de l’enquête sur la mort de Candice Cohen-Ahnine, l’ex-compagne d’un prince saoudien retrouvée morte en 2012) ou encore les animaux (végétarien et militant pour la cause animale, le jeune Elfassi participait à des commandos de libération d’animaux de laboratoire)…

Appel à témoins

Ses combats, JCE les mène en s’inspirant de ses années de journaliste d’investigation. Documents récupérées auprès de témoins. Réseau d’informateurs hors pair. Et faire montre d’une patience et d’une pugnacité à toute épreuve. À chaque fois qu’Alain Soral fait une déclaration péjorative concernant les juifs, Jean-Claude ressort une photo de son « autre meilleur ennemi » nu comme un ver en guise de réponse. « Pour Soral, ça a été facile : il est assez bête pour envoyer des “dick-pics” puis des messages racistes et antisémites à des rencontres d’un soir. » Ce fut le cas de Binti, cette jeune Africaine menacée et insultée par le fondateur d’Egalité & Réconciliation, et soutenue depuis par notre chevalier en blanc. « Quelle crédibilité peut on donner à un pervers de soixante ans, qui s’exhibe devant des gamines sur les réseaux sociaux ? »
Pour Alain Soral, Dieudonné, et, plus récemment, Tariq Ramadan, la justice ne réagit qu’après son intervention. « Je pense être un élément déclencheur pour que justice se fasse. » Début 2017, informé des agressions sexuelles de Tariq Ramadan envers les femmes, JCE lance un appel à témoins sur son blog. Plusieurs femmes se manifestent, dont Henda Ayari. Quelques semaines plus tard, son amie Sandra Muller lance le hashtag #Balancetonporc et Henda décide, dans la foulée, de porter plainte contre Tariq Ramadan. « On m’a reproché dans l’émission Good Morning Tel Aviv de chercher à faire justice moi-même. Oui, c’est vrai, mais est-ce de ma faute si la justice à des lacunes ?! »  lance JCE. « Il est important de comprendre que ce n’est pas une religion que je défends mais un peuple, à qui je voudrais que l’on foute définitivement la paix. » conclut cet athée convaincu. « Je n’apprécie aucune religion et je ne comprends pas qu’en 2018, des gens obéissent encore à des règles dictées il y a des millénaires par des bédouins incultes… »
Aujourd’hui, Jean-Claude Elfassi vit « à l’étranger, en pleine cambrousse ». Il fait du ski, s’occupe de ses enfants et de ses (très) nombreux animaux. Il a tiré un trait sur la photo people – job qui lui a rapporté de quoi vivre peinard pendant un bon moment – mais pas sur sa « lutte acharnée contre les injustices »…
Jean-Claude avale les dernières gorgées de son cocktail détox, règle l’addition et se lève en me lançant, sourire en coin, « Allez, j’ai d’autres antisémites à fouetter ». Alors que je lui demande le nom de ses prochaines victimes, il me donne rendez-vous sur son blog : « Tu le sauras bien assez tôt ! » 


Son blog : www.elfassiscoopblog.com 

LD



Ses 3 plus gros coups 

Crime de guerre en 1999 : Au Kosovo, alors que Jean-Claude Elfassi effectue des plans de coupe sur une zone de combat – il est à l’époque grand reporter pour la chaîne américaine NBC News – il entend soudain des détonations. Il aperçoit un Kosovar exécutant quatre Serbes de sang froid. Il filme aussitôt ce crime de guerre.

Alfred Sirven en 2001 : Après l’arrestation de l’homme d’affaires oeuvrant pour ELF, Jean-Claude Elfassi photographie, sur un bureau au poste de police philippin, le carnet d’adresses de celui-ci. Les photos sont vendues à Paris Match, mettant en lumière les noms des « connaissances » de celui-ci, ce qui fait scandale.

Eva et Tony en 2007 : Le mariage de Longoria & Tony Parker est présenté comme l’événement le plus important et le plus inaccessible de l’année. Inaccessible, pas pour Jean-Claude Elfassi, qui se cache 48 heures dans une boîte, dans le grenier du château de Vaux-Le-Vicomte, pour obtenir les clichés du mariage. Jean-Claude Elfassi vend ses photos pour « quelques centaines de milliers d’euros. »