JASON YU : « C’EST TELLEMENT FLIPPANT DE NE PAS SAVOIR QUI DORT À CÔTÉ DE VOUS »

SLEEP film

Au festival du film fantastique de Gérardmer, le Coréen Jason Yu, ancien assistant de Bong Joon-ho, a remporté le grand prix pour l’épatant Sleep, l’histoire d’un couple dont les nuits sont perturbées par les étranges crises de somnambulisme du mari. Un« feel good horror movie ». Rencontre.

Quel âge avez-vous ?
Je suis né en 1989, j’ai 34 ans pour la France, mais en Corée, j’ai 35. Chez nous, tout le monde prend un an de plus au premier janvier. On ne compte pas avec la date de l’anniversaire. 

Quelle a été votre enfance ? 
Oh, on ne m’a jamais posé une question pareille. Je vais essayer de vous répondre. À l’école primaire, je ne faisais pas partie des bons élèves. Tout le monde recevait une sorte de certificat « Bon en maths » ou « Bon en sciences »… Et comme je n’étais bon en rien, mon enseignant a essayé de trouver quelque chose et il m’a donné un certificat pour ma curiosité et ma bonne humeur (rires). C’était cool et ma mère y était très attachée. J’ai grandi avec cette curiosité et j’étais toujours joyeux. Je pense que cela me qualifie vraiment. 

Vous étiez fan de cinéma à l’adolescence ? 
J’y allais deux fois par an pour voir les plus gros blockbusters. Je me souviens avoir adoré Matrix. On l’a tellement regardé avec mon frère que l’on connaissait les dialogues par cœur. Plus tard, j’ai suivi des cours d’écriture avec un romancier américain et là, j’ai commencé à visionner pas mal de films…

Vous êtes allé dans une école de cinéma ? 
Pas du tout, j’ai étudié l’économie à Séoul. Mais j’ai rejoint un club de fans de cinéma et nous faisions de petits courts-métrages. Nous étions vraiment des passionnés. Pendant mon service militaire de deux ans, je regardais deux ou trois films par jour. Ça a été mon école de cinéma ! Puis un jour, j’ai postulé pour un poste d’assistant pour le film Okja, de Bong Joon-ho. À l’époque, je ne mesurais pas tout ce que j’apprenais en le voyant mettre en scène son film, et ce pendant deux ans et demi. Ce n’est qu’en tournant Sleep que j’ai réalisé tout ce qu’il m’avait inculqué. Et j’ai répété à toutes les étapes ce que je l’avais vu faire sur son film. Depuis, j’ai toujours travaillé avec Bong et je vais collaborer sur son prochain film d’animation. 

Le point de départ de votre premier film, Sleep, ce sont vos ronflements ? 
J’avais des problèmes de ronflements, c’est vrai, avec des apnées du sommeil. Cela préoccupait vraiment ma femme. Et donc j’ai brodé là-dessus avec une histoire de somnambulisme qui tend vers l’horreur : les étranges crises de somnambulisme d’un mari qui terrorisent bientôt sa femme et son bébé. C’est tellement flippant de ne pas savoir qui dort à côté de vous, qui est vraiment cette personne aimée. 

En écrivant votre scénario, vous aviez en tête ce concept de « feel good horreur movie » ?
Pas du tout. C’est probablement le côté joyeux de mon enfance, dont nous parlions tout à l’heure, qui ressort. 

Vous avez aimé mettre en scène, diriger une équipe ? 
C’était simplement terrifiant. Je suis très introverti, timide. C’est très difficile pour moi de parler à une seule personne, même lors d’une interview (rires). Sur le set, je devais discuter avec 70 personnes, c’était ultra-flippant. Mais le budget était limité, je n’avais que 30 jours et donc je ne posais pas de question. J’avançais, je devais prendre mille décisions, rester concentré. J’ai aimé le tournage, mais j’ai préféré l’écriture du scénario et le montage. 

Avez-vous sollicité Bong Joon-ho ?
Il a bien sûr lu le script et vu le premier montage quand il était sur Mickey 17, avec Robert Pattinson. Il m’a fait passer quelques notes sur le montage, un plan à supprimer ici, un conseil sur la musique par là… Et bien sûr, il avait raison ! Et il m’a également dit de ne jamais raconter aux journalistes comment j’interprétais la fin. 

C’était difficile de diriger vos acteurs ? 
En Corée, Jung Yoo-mi et Lee Sun-kyun sont des acteurs de légende et cela a été un miracle qu’ils acceptent un premier film. D’ailleurs, ils ont fait de gros efforts pour leurs cachets. Ils étaient beaucoup plus expérimentés que moi mais ils voulaient que je les dirige. Notre collaboration a été formidable. 

On peut parler de la mort de Lee Sun-kyun, vu dans Parasite, en décembre dernier ?
C’est une tragédie (très affecté par des soupçons de consommation de drogue, Lee Sun-kyun a mis fin à ses jours, le 27 décembre, à 48 ans, NDR). J’ai du mal à en parler, ça ne passe pas, j’y pense tous les jours. Nous avons perdu un de nos meilleurs acteurs.

Sleep
Sortie en salles le 21 février


Par Marc Godin