Acteur de génie, réalisateur de talent, cavalier émérite et « mari de » jalousé, Guillaume Canet aurait pu se contenter de cette vie de rêve. C’était sans compter sur son Nous finirons ensemble, pénible exercice en comm’. Notre reporter s’est porté volontaire (voir photo) pour en faire la critique…
Nous finirons ensemble, la suite du film de potes le plus bankable des dix dernières années, Les petits mouchoirs (sorti en 2010, il avait fait 5 millions d’entrées) sort le 1er mai, le jour de la fête du travail. Vu la paresse flagrante du scénario (cosigné Guillaume Canet et Rodolphe Lauga, le coréal de Situation compliqué… ), la date est bien choisie. On va donc dégager le synopsis, qui tient sur la coquille d’une huître : Max (François Cluzet, à son plus hystérique) est un sexagénaire au bout du rouleau obligé de vendre sa maison de famille pour éviter la faillite. Sa bande de potes, avec laquelle il avait perdu contact depuis trois ans, choisit ce moment pour lui rendre visite… Le tout se passe, bien évidemment, dans les coins les plus champêtres du Cap Ferret, la petite bulle huppée coincée entre le bassin d’Arcachon et l’Océan Atlantique si chère au couple Canet-Cotillard.
LA SCÈNE D’OUVERTURE
Jardin de la maison de Max : Sa bande de potes arrive en catimini pour le surprendre et fêter ses 60 ans. Éric (Gilles Lellouche, plus bougon que jamais) un acteur à succès, Sabine (Clémentine Baert, pétillante), la nouvelle compagne de Max, Antoine (Laurent Lafitte, plus grimacier que jamais), l’assistant-souffre douleur d’Eric, Vincent (Benoît Magimel) et son ex Isabelle (Pascale Arbillot, classe) se retrouvent face à un Max hystéro qui leur ordonne de partir. Éric est drapé dans un long manteau noir ; tout acteur de standing qu’il est, il n’en demeure pas ténébreux… Marie (Marion Cotillard), ancienne humanitaire (whatever that means) sort d’un taxi et taxe 100 euros à Max. Elle aussi est tout de noir vêtue ; nous apprendrons qu’elle est déçue par la vie.
Lecture : Le film parle d’argent, en long, en large et dans un flou artistique (aucune de ces histoires de dettes, de loc’ de maison et de notes de resto n’est chiffrée). Manière de nous montrer que les personnages imaginés par Canet, réal’ césarisé, sont des « gens normaux » ? Et faire passer, de manière subliminale, l’idée que le comédien connaît toujours le prix d’un pass Navigo ?
LA SCÈNE DES RETROUVAILLES
Toujours sur le porche de la maison de Max : La bande de potes supplie mollement l’homme d’affaires en faillite de bien vouloir les accueillir. Une dispute molle éclate. À l’écran, Magimel parle d’une voix éraillée qui fait penser à celle d’un adolescent en pleine mue. Ce grand acteur aurait-il du mal à jouer la folle attristée ? (Dans ce film, un personnage homo est forcément une créature hypersensible qui vit pour l’approbation d’autrui.) Puis, toute la bande sort faire des courses dans un pittoresque marché (ce sont des Français normaux), s’embrouillent pour un place de parking (normaux on vous dit) et Eric l’acteur s’embrouille avec la nourrice de son enfant en bas âge (normaux, c’est bien compris ?).
Lecture : Une scène à l’image de la réplique la plus marquante du film : « C’est pas parce qu’on est potes depuis vingt ans qu’on est obligés de le rester ». Réplique dont Canet est tellement fier qu’il la cite à longueur d’interview comme si elle avait été écrite par Audiard. Elle marque par son conditionnel mou : on n’est pas ici dans la France des Gilets Jaunes, ni dans celle de Macron, mais chez une nouvelle aristocratie, celle du showbizz victorieux, forniquant entre eux par pur ennui. Ce film, c’est la promotion d’une normalité bourgeoise aussi confortable que terrifiante, l’endogamie du Guépard de Lampedusa revu et corrigé par la bande du Schmuck, le resto de Gilles Lellouche « dans la vraie vie » (1 rue de Conde, Paris 6ème, réservation conseillée).
« TU VAS TE BATTRE, TU PEUX PAS BAISSER LES BRAS. » – VINCENT
LA SCÈNE SANTÉ
Salle à manger de la maison de location d’Eric : En plein dîner, l’ancienne humanitaire Marie lâche : « Un Français sur trois va avoir un cancer »… Accueil étonnement blasé de l’assistance.
Lecture : Le mari de Cotillard nous explique ici comment vivre dans un monde pollué. En promo, il persiste et signe, pestant contre les lobbies qui « nous servent de la merde » et « empoisonnent les enfants » (l’interview de Guillaume Canet dans Grazia Homme). Promo qui pousse à son paroxysme les contradictions canetiennes : il fait visiter sa cabane en bois aux journalistes de passage et leur amène visiter les ostréiculteurs – tout en portant la tenue Armani imposée par le service mode de Grazia. Résultat croquignolesque.
LA SCÈNE FAMILLE
Autour de la table à manger du Jardin : Le fils de Max rejoint les amis de son père alors que toute la bande est à table. L’occasion de présenter une jeune fille du coin (c’est-à-dire : mini-short et bronzage à la limite du cuir de fauteuil Cotton Club) venue avec lui. La bande est émoustillée mais l’ado ne réagit pas. Une seconde autochtone au bronzage et mini-short assortis arrive. Eric est maintenant dans tous ses états.
Max s’exclame : « Je n’ai jamais été aussi fier de toi », tandis qu’Eric demande des détails. Le garçon s’exclame : « Mais j’allais pas coucher avec elles, elles sont soeurs ». Eric : « Mais qu’est-ce que ça peut te faire, c’est pas tes soeurs ». Meilleure réplique du film.
Lecture : Les blagues sur l’inceste sont d’autant plus drôles qu’il s’agit d’un film familial : Guillaume Canet joue avec sa femme et leur bande de potes dans un long-métrage produit par Alain Attal (également producteur du dernier Lellouche) et tourne dans sa maison secondaire au Cap Ferret. Ça reste dans la famille.
LA SCÈNE DE BEUVERIE
Dans le salon de la maison de location : La bande commence à boire, l’occasion pour un magnifique placement de produit de la vodka Pyla dont l’étiquette est mise en évidence à plusieurs reprises dans le film. Commence une partie du jeu des post-it, dans lequel chaque joueur doit deviner la personnalité qui lui a été attribuée. La nourrice, qui n’a presque pas dormi depuis 3 jours car elle est la seule à s’occuper de la fille en bas âge d’Eric, ose réclamer qu’ils parlent moins fort. Éric, post-it « Marine Le Pen » sur le front, demande si c’est elle qu’il doit deviner. Éclat de rire générale. Ils partent ensuite dans une boîte de nuit. Boîte qui ne sert que de la vodka Pyla.
Lecture : Entendu à la rédac le lendemain de la projo : « Nono, tu connais quelqu’un chez Pyla ? »
« C’EST PAS PARCE QU’ON EST POTES DEPUIS VINGT ANS QU’ON EST OBLIGÉS DE LE RESTER. » – MAX
LA SCÈNE TOUCHANTE
Le dock de la maison de Max : Après avoir vu sa femme en compagnie de ses amis et de son rival ( José Garcia) sur le porche de sa maison de famille, Max se sent trahi. Il rejoint le dock pour se jeter du ponton, une corde au cou. Avant d’être secouru par ses amis. La scène post-tentative de suicide dure moins de 10 minutes et sert à montrer que Sabine « ne l’aime pas pour son argent » et permet à Vincent de lâcher un émouvant : « Tu vas te battre, tu peux pas baisser les bras ».
Lecture : La tentative de suicide de Max, le cancer, l’homosexualité ne sont ici que des cases à cocher pour en faire un « film important ». Heureusement qu’on nous sert aussi quelques plans aériens du Cap Ferret ainsi que des scènes où les gens baisent habillés dans des vêtements repassés, même un lendemain de cuite. Ça nous change.
LA SCÈNE HALETANTE:
En pleine mer : Les enfants qui semblent maintenant dotés de leur propre conscience sont partis en mer sur le Catamaran de Max. La bande part à leur recherche, l’occasion pour leur ami « vrais gens », le pêcheur aux cheveux blancs, d’exister lui aussi alors qu’il n’a quasiment aucune réplique dans le film. Il prend en main les recherches et rassure les parents. Marie est plaquée au sol, elle veut se jeter à la mer pour retrouver ce fils dont elle ne s’est jamais occupée. Les enfants sont retrouvés et aussitôt pardonnés.
Lecture : Si les enfants sont dans cette scène uniquement pour montrer qu’ils sont aimés de leurs parents, que faut-il penser de la présence muette du pêcheur ?
LA SCÈNE DE FIN
Dans la maison de Max : Max décide de vendre la maison mais change d’avis au dernier moment en voyant Ludo ( Jean Dujardin), leur ami décédé dans Les petits mouchoirs, apparaître pour un caméo. Au point où on en est…
Lecture : Canet reprend le « fusil de Tchekhov » (principe dramaturgique sur la résolution de chaque détails importants dans un récit, ndlr) et se tire une cartouche en pleine figure. Terminer par la vente de la maison n’est pas une mauvaise idée, à défaut d’originalité cela apporte une symétrie.
Mais si la vente de la maison était la seule solution pour éviter la faillite, quelle est l’avancée de ce film si Max refuse de la vendre ? Question piège.
Nous Finirons ensemble : en salle le 1er mai 2019
Par CALVIN DIONNET