GERARDMER : DES FEMMES VRAIMENT FANTASTIQUES

Pendant cinq jours, au cœur des Vosges, le festival de Gérardmer a présenté plus de 40 films fantastiques venus du monde entier. Où il a beaucoup été question de femmes… 

Après une édition 2021 en ligne, le Festival international du film fantastique de Gérardmer était de retour dans les brumes des Vosges et sous la neige, du 26 au 30 janvier, pour une 29e édition électrique. Masqué, pas vaccinal en main, le public – des fans chaleureux et chahuteurs – a répondu présent pendant tout le festival et les séances en compétition étaient pour la plupart complètes. Cette année encore, le festival nous a offert une belle radiographie de l’époque et l’édition 2022 aura été marquée, non pas par les hordes habituelles de vampires, loups-garous et autres xénomorphes baveux, mais par… les femmes. Au programme donc, des femmes fortes, inquiétantes, mutantes, des sorcières, des vieillardes inquiétantes. Du fantastique féministe ?

On commence avec l’ovni du festival, présenté hors compétition After Blue (Paradis sale) de Bertrand Mandico, « un film de science-fiction, avec peu de science, un film d’heroic fantasy avec beaucoup de fantasy. » Objet hybride, entre le trip sous acide et le western du troisième type, After Blue se déroule sur une planète mystérieuse, dans un futur lointain, où deux femmes traquent une mystérieuse criminelle. C’est hypnotique et kitch, bourré de références à Jess Franco, El Topo ou Stalker, une proposition de cinéma renversante, d’autant plus que le film a été tourné en 35 mm et que tous les effets ont été réalisés en live devant la caméra (sortie le 16 février).

UNE VIEILLARDE, DES ENFANTS MUTANTS ET UN ŒUF

Le jury a couronné deux histoires de femmes, Samhain (intitulé You are not my mother, en VO), et La Abuela (La Grand-mère, en VF). Pour son premier film, l’Irlandaise Kate Dolan raconte le périple d’une ado trop passive, marquée par un lourd secret de naissance, élevée par sa grand-mère, et qui s’interroge sur la santé mentale de sa maman plutôt secouée. Trop long, ce Samhain (sortie en salle le 10 août) réserve quelques surprises, mais le film est plombé par un scénario laborieux, prévisible et répétitif. Ciselé par l’Espagnol Paco Plaza, La Abuela (sortie en avril) est d’un tout autre niveau. Le cinéaste virtuose de REC organise la rencontre, forcément fatale, entre un jeune mannequin et sa grand-mère devenue un légume, suite à un accident cérébral. « Le fantastique est le genre parfait pour évoquer un sujet aussi douloureux que la maladie d’Alzheimer. J’ai voulu également monter le corps d’une vieille femme, la peau, les veines, et même une longue toilette intime, pour interroger notre regard. Pourquoi peut-on montrer le corps d’une jolie jeune femme et non celui d’une vieille ? » Le film est une splendide réussite et les trente dernières minutes sont un festival de trouille, aussi extrêmes que minimalistes, où Paco te fait te planquer sous ton fauteuil, avec simplement le parquet qui couine où une silhouette qui surgit de l’obscurité. Hardcore.

La Abuela
La Abuela


Remis par la présidente Julie Gayet, le Grand prix a consacré Egō de la Finlandaise Hanna Bergholm. Une fable dans laquelle une adolescente sous domination d’une mère autoritaire, obsédée par la perfection, découvre un œuf étrange, le cache, le couve. Mais bientôt, une créature grandit, se métamorphose, avant de devenir une force meurtrière incontrôlable. L’ensemble est sympathique, mais un poil convenu, et paraît un peu terne face au choc de cette édition 2022, The Innocents (sortie le 9 février), du Norvégien Eskil Vogt, scénariste d’Oslo 31 août et de Julie (en 12 chapitres). Quatre enfants mutants découvrent leurs super pouvoirs dans le bac à sable, mais au lieu de mettre en scène un X-Men en culottes courtes, le cinéaste, passé par la FEMIS il y a une vingtaine d’années, joue habilement la carte du réalisme clinique, du minimalisme radical, entraînant les mômes dans une spirale de tortures et de violences. Un film maîtrisé, inspiré et authentiquement terrifiant, récompensé à la fois par la critique et le public.

INNOCENTS
The Innocents

SEXE ET GORE

On termine avec le film le plus extrême, le plus dingue de ce Gérardmer 2022, The Sadness, l’histoire d’une pandémie qui transforme les infectés en monstres assoiffés de violence et de stupre. Pendant la centaine de minutes de ce ride de Grand-huit/Grand guignol, on mutile, arrache les yeux, on éventre, on égorge, on écrase les têtes, avant de partouzer dans des hectolitres de sang et les viscères. C’est une œuvre cathartique, une expérience dans le gore comme on en n’a pas vu depuis au moins de deux décennies, du cinéma enragé qui suinte et qui gicle mais qui parle de notre époque (ce Covid qui rend dingue, la haine des hommes pour les femmes) et contre toute attente, le film se termine dans une incroyable déclaration d’amour. Lors des projections à Gérardmer, The Sadness a provoqué malaises, évanouissements et convulsions. Il sortira en salles en juin prochain. D’ici là, préparez-vous.

PALMARES 2022 : 

Grand Prix : Egō de Hanna Bergholm (sortie le 27 avril en VOD et Blu Ray)

Prix jury ex-aequo : La Abuela de Paco Plaza (sortie en avril) ; Samhain de Kate Dolan (sortie en salle annoncée au 10 août)

Prix de la meilleure musique : Mona Lisa and the Blood Moon d’Ana Lily Amirpour (pas de sortie annoncée)

Prix du jury critique : The Innocents d’Eskil Vogt (sortie en salle le 9 février)

Prix du public : The Innocents

Prix du jury jeunes de la région Grand Est : Egō

Grand Prix du court-métrage : Charge mentale de Benjamin Malherbe

GERARDMER À LA CINEMATHEQUE

Pour la quatrième année consécutive, la sélection des films en compétition du 29e Festival de Gérardmer sera reprise à la Cinémathèque française, du mercredi 2 au lundi 7 février.
Projection du Grand prix, Egō, le mercredi 2 février à 20h00, salle Henri Langlois.


Par Marc Godin
Photo de couverture : Film Egō