GASPARD KOENIG, NÉO-TERRIEN : « JE NE SUIS PAS ANARCHISTE ! »

Gaspard Koenig

Pour certains, l’écologie passe par la lutte contre les mégabassines, pour d’autres par le recyclage. Gaspard Koenig préfère les vers de terre, héros de son dernier roman, Humus. Interview géorgique.

Vous venez de publier Humus (Éditions de l’Observatoire), une histoire de sauvetage de vers de terre qui finit en guerre civile. Vous craignez les eco-warriors ?
Gaspard Koenig : Ah ah, pas exactement ! Humus n’est pas vraiment une dystopie, il se déroule à peu près à notre époque et les conditions environnementales sont à peu près les mêmes qu’aujourd’hui. Mais j’ai été frappé de voir qu’après avoir fini ce livre, les Soulèvements de la terre sont apparus. C’est ce que je raconte en partie dans le roman, comment les militants écolos sortent peu à peu d’une posture de désobéissance civile entièrement pacifiste, et considèrent que les actions violentes, du moins contre les biens, sont légitimes par rapport à la violence de la crise elle-même.

Votre roman oppose un fana de green-tech, Kevin, à Arthur, devenu une sorte de néo-rural énervé. Quel camp avez-vous choisi ?
Les deux héros en sont au départ à peu près au même point et partagent avec leur génération la caractéristique de n’être pas radicaux, mais conscients. Je me retrouve davantage chez Arthur, mais je ne suis pas encore anarchiste comme lui. Le personnage me donne l’occasion de divaguer au maximum. En fin de compte, je ne prends pas position, je me suis laissé guider par eux. Il n’y a pas de message par rapport aux deux voies qu’ils choisissent. Il n’y a pas un bien ou un mal, il n’y a pas de gentils néo-ruraux contre les businessmen. Ils poursuivent tous les deux le même but, sauver les vers de terre, et prennent des chemins différents.

Comment en êtes-vous venu à vous pencher sur ce sujet-là ?
J’ai opéré un virage vers l’écologie depuis ma traversée à cheval. Quand je suis revenu, j’ai acheté une fermette dans l’Orne, avec mon potager. Chacun entre dans l’écologie à sa façon. Il y en a qui sont effrayés par la disparition des oiseaux, d’autres par la fonte des glaciers, etc. Moi c’était plutôt les vers de terre. Je me suis intéressé au sujet, j’ai rencontré des géodrilologues (spécialistes des vers de terre, ndlr), j’ai lu les quelques bouquins qui existent sur le sujet.

Pourquoi cette obsession pour le ver de terre ?
C’est un travailleur social : c’est un animal qui ne cesse de labourer la terre. Ce sont aussi des animaux qui vivent en « société », ils hibernent ensemble, connaissent leurs galeries. Et c’est un hermaphrodite, dans la terre il n’y a pas de différenciation sexuée.

Avez-vous découvert une philosophie du lombric ?
Le lombric est le laboureur du sol. Darwin a écrit son dernier livre sur le ver de terre et il explique que c’est lui qui digère la terre, décompose ses éléments, apporte les nutriments nécessaires aux plantes, etc. S’il existe une philosophie du lombric, c’est celle de l’homme et du cycle de la nature : tout meurt, se dissout et renaît. Le mot « homme », c’est bien connu, vient de « humus » : toutes les religions font sortir l’homme de la terre. Il y a aussi la mode de l’humusation, une nouvelle technique qui permet de décomposer le corps dans la terre de façon pro mais naturelle. C’est une manière de se détacher de toute transcendance.

C’est une vision qui va à l’encontre des tentatives progressistes d’aujourd’hui, de se rendre immortel, par le biais de l’I.A. et des avatars par exemple.
Avec l’I.A., on rejoue les religions d’avant. On veut se donner des espoirs fous de faire revivre son esprit en le reproduisant sous forme informatique. Pareil avec la cryogénisation, qui a presque plus de sens. Mais il faut lâcher l’affaire à un moment donné, et accepter que ça se termine. Les technophiles retombent sur des vieilles obsessions théologiques.

Vous êtes un ardent défenseur de la philosophie libérale – votre héros Arthur est un grand lecteur de Thoreau – comment conciliez-vous progrès et écologie ?
L’idée de progrès ne va pas à l’encontre de la nature. Je me considère comme « a-croissant ». L’homme peut améliorer la nature et la biodiversité selon les critères de la nature elle-même. L’idée d’une écologie profonde où on laisse la nature faire et où l’homme regarde en spectateur induit un dualisme. On peut améliorer un espace naturel qui, laissé à lui-même, va devenir une friche. On peut en faire quelque chose de plus riche. Le but, c’est d’avoir des sols sains qui soient eux-mêmes productifs. Un sol bien entretenu est plus productif que l’agriculture conventionnelle.

Vous avez fait des tentatives dans votre potager ?
Je tente des choses différentes, avec du paillis, du fumier de cheval, il y a des choses qui ratent, d’autres non. Lorsque quelque chose est industriel, il suffit d’un mode d’emploi et ça marche à tous les coups. Dans la nature, pas du tout. Mais c’est ludique.

L’agriculture du futur, c’est le grand enjeu des prochaines années ?
Le plus grand des enjeux, c’est de repeupler les campagnes et de réussir à faire cohabiter les néo-ruraux et ceux qui sont là depuis plusieurs générations. La ruralité choisie sera l’un des sujets de société des vingt prochaines années.

Comment écrit-on un roman sur des enjeux contemporains sans tomber dans l’essai écolo ?
Sans aller dans des choses qui sont trop romanesques et en restant dans la veine du réalisme social, je me suis inspiré de Giono. Il a un style que j’admire beaucoup. Il y a aussi quelque chose de très houellebecquien dans le cynisme de la critique capitaliste. Houellebecq est très féru des choses de la terre, il était ingénieur agronome, dans Sérotonine il met d’ailleurs en scène un agriculteur. Dans une récente interview au JDD, au milieu de mille conneries, il défend l’importance de prendre soin des sols. Les personnages houllebecquiens entrevoient une possibilité de bonheur dans la vie rurale, avant que tout se casse la figure. Je suis seulement un peu plus optimiste que lui !

Votre prochain sujet ?
L’eau. En partant aussi de quelque chose de très concret, la gestion de l’eau, bientôt transférée aux communautés de communes. Ces dernières vont donc perdre le contrôle de leur eau au profit de gens comme Veolia. Culturellement, c’est très violent. Et puis il y a une mythologie de l’eau qui m’intéresse. Maintenant que j’ai rompu mes attaches politiques (Gaspard Koenig avait lancé le mouvement Simple en 2021, ndlr), j’ai envie d’activités plus créatives, et j’ai bien envie d’y rester pour un moment, au roman. 

Humus, Éditions de l’Observatoire,
384 pages, 22 €

Par Violaine Epitalon
Photo Élodie Grégoire