FLORENCE LOIRET CAILLE : « LE FILM DONNE À VOIR LES VISAGES DES MIGRANTS »

La tête froide de Stéphane Marchetti

Vue chez Claire Denis, Sólveig Anspach ou dans Le Bureau des légendes, Florence Loiret Caille est une de nos meilleures actrices. Dans le formidable La Tête froide, elle irradie en femme larguée qui s’improvise passeuse de migrants. Rencontre.

Pourquoi avez-vous accepté ce film, à part pour l’argent ? 
(Elle explose de rire). D’abord, c’est un tout petit film, il n’y a pas beaucoup d’argent, vous savez. J’ai lu le scénario que j’ai beaucoup aimé, puis j’ai rencontré le réalisateur, Stéphane Marchetti, qui fait des documentaires. En dix minutes, j’ai. accepté de partir à l’aventure avec lui. Depuis dix ans et Sólveig Anspach, on ne m’avait pas proposé un rôle d’une telle envergure. Le Bureau des légende m’a donné un de mes rôles les plus exigeants, mais après avoir perdu Sólveig (elle est morte d’un cancer en 2015, NDR), j’ai eu l’impression que l’on ne me proposerait plus que des seconds rôles, avec dix jours de tournage. Et je m’étais faite à cette idée…

Dans La Tête froide, vous êtes au contraire de tous les plans. 
C’est vrai. Avant le film, je n’ai réfléchi à rien, je ne voulais être que dans la situation, dans l’action. Je suis plutôt instinctive. Stéphane m’a fait voir un Ken Loach, It’s a Free World, et il m’a dit que mon personnage était une cousine éloignée d’Angie. Mais il s’est passé trois années entre le moment où j’ai dit oui et quand on a commencé à tourner. Trois ans ! Le scénario était sur ma pile, et ça a dû infuser en moi. 

Votre personnage n’est pas très sympathique, il n’a pas la grandeur d’âme de Benjamin Lavherne dans l’horrible Les Engagés.
J’aime bien qu’au début d’un film, mon personnage ne soit pas très rond, très gracieux. Comme dans ce film extraordinaire qu’est Compartiment 6. Comme dans la vie, on n’a pas accès à mon personnage au premier abord. Elle fait de la contrebande de cigarettes, elle côtoie des migrants, elle s’en fout, elle est indifférente, elle est dans la survie. 

Combien de temps a duré le tournage ?
Nous avons tourné quatre semaines du côté de Briançon, pas loin de la frontière, puis deux semaines à Lyon pour les intérieurs. 

Et la scène de tempête dans la montagne ?
Il n’y a pas d’effets spéciaux. On a simplement attendu qu’il y ait une vraie tempête. C’était un peu chaud, il fallait être au taquet ! On a été éprouvés physiquement par le passage de la frontière. Ça n’a rien à voir avec ce que vivent les migrants, qui font cela au péril de leurs vies, on a juste passé huit heures dans la neige, mais c’était éprouvant, je n’entendais rien, il fallait faire attention aux avalanches. On est tous sortis de nous-mêmes. 

C’est un film politique ?
(Silence). Oui, un film social. Un film qui ne donne pas de solution quant aux migrations. Mais c’est aussi un film qui donne à voir des corps, des visages, alors que l’on évoque le plus souvent des chiffres et des statistiques quand on parle de migrants. En tout cas, il n’y a pas de morale, les personnages sont tous dans la survie. 

Un film peut-il changer le regard des spectateurs ?
Oui, je le pense. Ça me le fait, et on va au cinéma pour ça, non ? 

Un mot sur #MeToo au cinéma ?
J’aurai toujours de l’empathie pour les victimes, c’est tout ce que j’ai à dire. 

Quels sont vos projets ? 
Je joue une directrice de prison dans Borgo, mais je n’ai pas encore vu le film. Et j’ai fini la série Apple, La Maison, dans le style de Succession, l’histoire de deux maisons de couture rivales. Je suis blonde, j’ai les cheveux longs et je joue la fille de Carole Bouquet. Je me suis éclatée ! C’est encore en montage mais je crois que je ne peux pas en dire plus… 

Et Le Bureau des légendes ?
En tout cas, pour moi, tourner Le Bureau des légendes sans Éric Rochant, ce n’est pas possible. 

J’ai entendu dire que vous alliez devenir égérie pour une grande marque.  
(Elle se marre) Égérie pour des chaussettes ? Je ne suis toujours pas à vendre. Je suis payée pour ce que je joue et je m’achète mes fringues avec mon argent, j’y tiens. Chacun son truc. Moi, ce que je veux, c’est jouer. Dix jours ou 40, ça me va !

La tête froide de Stéphane Marchetti
Sortie en salles le 17 janvier


Par Marc Godin