Après l’excellent Voyoucratie, polar en fusion tourné en banlieue, les FGKO, alias Fabrice et Kevin, confirment leurs talents Du crépitement sous les néons, thriller furieux inspiré d’un roman noir de Rémy Lasource. Rencontre.
Kevin a 35 ans. Il vient de Melun, la ville de Frank Gastambide, porte une grosse barbe de hipster. Fabrice, 37 ans, est né quant à lui à Courbevoie. Carrure de déménageur, tatouages partout sur les bras, il ressemble à Ben Affleck. Le duo aime Stanley Kubrick, James Cameron, Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger. Après Voyoucratie, plongée en apnée chez les petits trafiquants de banlieue, tourné à l’arrache pour 100 000 euros, ils reviennent avec un deuxième long-métrage, Du crépitement sous les néons, un thriller nerveux doublé d’une histoire d’amour sur fond de traite d’êtres humains.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Kevin : Après le bac, j’ai essayé la finance, mais je détestais ça et je passais mon temps au ciné. Ma mère m’a fait visiter des écoles de ciné et j’ai atterri à l’EICAR, à la plaine Saint Denis.
Fabrice : Après une école de commerce et une fac de sport, j’ai fait l’EICAR – qui était un peu l’école de la dernière chance – où j’ai rencontré Kevin. L’école nous a donné un cadre, une structure, mais c’était assez dérisoire car nous n’avons pas assez touché de matériel, il n’y avait pas assez de pratique… Dès que l’on nous proposait quelque chose en dehors de l’école, un clip fauché, on le tournait ! Nous ne sommes même pas allés chercher notre diplôme…
Vous avez commencé dans la pub, puis vous avez écrit écrit Voyoucratie, en 2013.
Fabrice : À l’origine, c’était un court-métrage. On a décidé de foncer. Nous avons rencontré Salim Kechiouche, un ancien champion de boxe, et cela a été un coup de foudre. Il a grandi à Vaulx-en-Velin et il a eu envie de se confronter à ce genre de personnage de racaille qu’il avait toujours refusé.
Parlez-nous du tournage ?
Kevin : Nous avons tourné à Aubervilliers, Montreuil, la Défense, Stalingrad, Bourg-la-Reine, Malakoff, Barbès… Nous avons essayé de filmer dans la cité des quatre chemins, à Colombes, où il y avait du deal, mais les gars nous ont pris pour des flics. C’était trop compliqué et on n’avait pas le temps. On faisait deux prises, parfois trois et on passait à autre chose. Et parfois on rayait des scènes entières. C’était stressant mais on transformait le stress en énergie. On se disait « Ça va le faire, on se débrouillera au montage ».
Fabrice : C’était crevant, un tournage guérilla, sans fric, sans autorisation. Mais la sensation était extraordinaire, je ressentais les mêmes choses que lors de mes compétitions de sports de combat. C’était… magique !
Kevin : On a tourné 35 minutes sur 10 jours. On a commencé à monter notre film et on a fait une bande annonce que l’on a balancé sur le net. On a eu 50 000 vues avec des commentaires déments ! Et on a eu envie de continuer, pour étoffer le court.
Fabrice : Il nous restait 40 minutes à tourner. On est repartis sur le scénario six mois pour combler les blancs. Sur le tournage, on arrachait parfois des pages du script car nous n’avions pas assez d’argent, notamment pour les scènes d’action avec des flingues.
Dès 2018, vous commencez à travailler sur Du crépitement sous les néons.
Kevin : On a écrit plusieurs scénarios après Voyoucratie, dont Du crépitement sous les néons. Fab était d’abord tombé sur le livre de Rémy Lasource, Bienvenue en banlieue.
Vous vous êtes documentés sur la traite des êtres humains ?
Fabrice : Nous nous sommes rapprochés de l’association Mist, avec Clément Sibony et Vanessa Simoni qui s’occupent de victimes de la traite. Ils font des maraudes, vont au contact de ces filles pour les extirper des réseaux, porter plainte contre les proxénètes, ils les mettent en lien avec des avocats… Clément nous a beaucoup aidés. Nous avions la vision de Rémy Lasource qui, en tant que policier, a beaucoup travaillé sur le sujet, mais l’éclairage de Mist était fondamental. Nous avons rencontré des anciennes prostituées qui nous ont raconté leurs périples depuis le Nigeria, à travers l’Italie, la traite, la violence, les addictions… Elles ont même coaché nos comédiens, Tracy ou Fulgence Mvemba, de Kourtrajmé. Elles leur ont appris le pidgin, elles nous ont apporté leur vérité, elles assistaient au tournage pour certaines séquences.
Où avez-vous tourné ?
Kevin : À Aubervilliers, porte de la Villette, dans la Cité 45. Le foyer des Nigérians, c’était à Alfortville, dans un bâtiment désaffecté, très graphique, sous l’autoroute. Le truc, c’était de faire croire que le road trip se déroulait sur les routes de France alors que l’on était à 30 minutes de Paris. La boîte espagnole de la fin, très graphique elle aussi, c’est également à 30 minutes de Paris. Et la dernière semaine, nous sommes partis dans le Sud de la France, au Vieux Boucau, au Nord de Biarritz. On a trouvé un no man’s land, avec une baraque sur la plage. Puis nous sommes allés le dernier jour filmer quelques plans en Espagne avec seulement nos deux comédiens et notre chef opérateur Fabio Caldironi. On a filmé des panneaux, des bouts de route, des plans de coupe qui ont été bien sûr très utiles lors du montage.
Parlez-nous de vos acteurs ?
Kevin : Dès le début, on voulait Jérémie Laheurte. On avait besoin d’un beau gosse, comme Ryan Gosling dans Drive. Un acteur qui puisse susciter l’empathie du spectateur, car ce n’est pas le héros typique. Mais ça n’aurait pas pu marcher avec Pierre Niney, il fallait que l’acteur soit crédible en petit voyou de cité. On avait découvert Jérémie dans La Vie d’Adèle et je le voyais régulièrement dans ma salle de sport. Il avait un côté fou, turbulent, il m’énervait même parfois, il ne restait jamais en place mais c’était parfait pour notre personnage. Et bon, il attire la lumière, la caméra l’adore.
Fabrice : Et il a attendu pendant nos trois années de galère. Et quand la production a essayé de nous imposer Anthony Bajon, un excellent comédien, on a tenu bon, on a même menacé de ne pas faire le film. Pour nous, c’était Jérémie, on n’a qu’une parole. Il est exceptionnel. Il est allé passer un peu de temps en banlieue, histoire de s’imprégner des codes, du vocabulaire… Il a bossé avec sa coach, il s’est métamorphosé, fondu dans le personnage.
Et pour Tracy Gotoas ?
Fabrice : Elle a joué dans L’Horizon et Sans répit. Jérémie la connaissait et on l’a contacté par Instagram. Et dès que l’on a fait les essais avec Jérémie, ça a matché parfaitement. C’était une révélation, l’alchimie entre les deux comédiens était parfaite.
Combien de jours a duré le tournage ?
Fabrice : 25. Nous avions plus de 100 scènes à filmer, pire que sur Voyoucratie. C’était donc difficile, du cinéma guérilla, même si on avait une équipe d’une trentaine de personnes, mais dans une économie où l’on ne pouvait pas faire d’heures supplémentaires.
Sur Voyoucratie, votre influence principale, c’était Pusher, du Danois Nicolas Winding Refn. Et sur Du crépitement sous les néons?
Kevin : Nos influences ne changent pas trop. Au départ, on a pensé à Un prophète, Pusher, bien sûr, ou encore Drive, avec le personnage du beau gosse cabossé. Et bien sûr à l’extraordinaire American Honey, d’Andrea Arnold, pour la partie road trip.
Rémy Lasource a vu le film ?
Fabrice : Oui, il l’a visionné. On l’avait prévenu que c’était différent du roman, même si son livre constitue l’ADN du film. Il a trouvé ça hyper réaliste, il a adoré, il est très fier. Il suit tout ce qui se passe pour la sortie, même s’il travaille toujours en tant que policier. Il bosse beaucoup sur les affaires de traite d’êtres humains, de terrorisme…
Comment se passe la sortie ?
Kevin : Manuel Chiche et les Jokers s’occupent de la distribution. On a vraiment besoin que les exploitants jouent le jeu, qu’ils mettent notre film à l’affiche dans toutes les salles. Mais je pense que le film va trouver son public.
Du crépitement sous les néons, sortie en salles le 16 novembre 2022
Par Marc Godin