FESTIVAL DE GÉRARDMER : SOMNAMBULES, POSSÉDÉS ET GENTILS TOUTOUS

Premier film d’un jeune Coréen virtuose, Sleep a réveillé le 31e festival de Gérardmer et raflé le grand prix, devant le très gore When Evil lurks.

Malgré le sang, l’angoisse, le gore, Gérardmer est un merveilleux festival, quasiment une communion entre des spectateurs en transe et le dieu cinéma. Toutes les projections sont quasiment sold out et le public, à fois déchaîné et respectueux, s’emballe et s’embrase, vibre et vit les films à mille à l’heure. Cette année, il a récompensé le film argentin When Evil lurks, de Demián Rugna (en salle le 17 avril), l’histoire d’une ténébreuse possession démoniaque qui contamine le monde. Le film enchaîne les séquences dantesques (hello le gentil toutou qui fait un bon gros câlin à un môme), le sol commence à se dérober sous les pieds du malheureux spectateur, mais au bout de 45 minutes, le récit s’essouffle un peu, patine dans l’hémoglobine et le pus, et le réalisateur se contente – à la manière de Lucio Fulci – d’empiler les moments de dingueries gore. Concentré de rage, film politique (il annonce l’arrivée d’un messie du mal, qui pourrait être Javier Milei), When Evil lurks a également séduit la critique qui lui a offert son prix. Néanmoins, le grand gagnant de cette édition 2024 vient de Corée du Sud. Ancien assistant de Bong Joon-ho, Jason Yu, 35 ans, signe son premier long-métrage, l’histoire d’un couple dont les nuits sont perturbées par les étranges crises de somnambulisme du mari, qui terrorisent bientôt sa femme. Avec une science incroyable du découpage, Jason Yu génère un suspense nucléaire dans un espace de 35 m2. Encore plus fort, Jason Yu parvient à alterner les moments d’angoisse (la nuit, quand le mari s’approche de son bébé) et des instants d’intimité où il tente de prouver son amour à sa femme. À Gérardmer, quelqu’un a parlé d’un « feel good horror movie ». Pas mieux !

When Evil Lurks de Demián Rugna (Argentine)
When Evil Lurks de Demián Rugna (Argentine)

 

MISS ZOMBIE ET SON CHAUFFEUR

Le jury a également récompensé Amelia’s Children, du Portugais Gabriel Abrantes, un huis clos dans une luxueuse propriété mettant en scène un Américain trentenaire qui retrouve sa mystérieuse moman et son frère, alors qu’il se croyait orphelin. Le film est assez baroque et parfois drôle avec cette maman incestueuse, au visage intégralement refait, mais Gabriel Abrantes, pourtant auteur de l’excellent Diamantino, s’essouffle assez vite et accumule les scènes convenues.

Le grand oublié du palmarès est indubitablement le très beau The Funeral (ne pas se fier à son titre original, Cenaze) du Turc d’Orçun Behram. Dans road-movie dans des paysages désolés de la Turquie, un chauffeur de corbillard neurasthénique transporte le corps d’une jeune femme victime d’un « crime d’honneur ». Mais bientôt, la belle endormie semble se réveiller… S’ensuit une romance trouble (Miss Zombie et son chauffeur ?) sur les routes du chaos, où le Roméo nécrophile fait des Tupperware pour sa chérie à l’appétit problématique, avant un final sous la neige absolument dantesque.

Comme tous les ans, Gérardmer nous a donné une image, décalée, amplifiée, mais saisissante du monde, un monde malade où rode le mal, qui contamine tout, un monde au bord de l’implosion peuplé de femmes puissantes, de sorcières, de mâles impuissants ou paumés, et d’enfants méchants. Vivement 2025 !

PALMARÈS

Grand Prix
Sleep de Jason Yu (Corée du Sud)
Sortie française : 21 février

Prix du Jury
Amelia’s Children de Gabriel Abrantes (Portugal) (
Sortie française : 31 janvier

Prix du Jury
En attendant la nuit de Céline Rouzet (France & Belgique) Sortie française : juin

Prix de la Critique
When Evil Lurks de Demián Rugna (Argentine)
Sortie française : 17 avril

Prix du Public
When Evil Lurks de Demián Rugna (Argentine)

Prix du jury jeunes
The Seeding de Barnaby Clay (États-Unis)


Par Marc Godin