DE L’ÉLECTRO À L’ELYSÉE ?

Mydriaze contrefacon

L’électro n’est-elle plus qu’un moyen comme un autre de faire carrière sous les lambris ? Non, répond le virevoltant collectif Contrefaçon. Avant, peut-être, de connaître la réussite de ses aînés ?

 LA CONTREFAÇON DU MOIS 

Début juin, Pedro Winter organisait une grosse soirée au château de Versailles. L’an dernier, c’était à l’Elysée que le grand chambellan de l’électro française avait posé ses amplis. Ce n’est pas nous qui lui jetterons la pierre (de taille), mais force est de reconnaître que le choix de ces lieux de réception n’est pas anodin : il montre bien à quel public s’adresse une certaine frange de l’électro (pas aux gilets jaunes). Pedro est devenu un vénérable notable à qui il ne manque plus que d’être nommé conseiller d’Etat au tour extérieur. En attendant, quand il ne monte pas des surprises-parties à tout casser, il s’occupe toujours de son label Ed Banger. Sa prochaine sortie ? Thirst, le nouvel album de Sebastian, qui a été lancé par un clip financé par Saint Laurent – de l’électro Kering en quelque sorte, très bien fréquentée (Charlotte Gainsbourg chante sur un titre), remarquablement produite, tout ce qu’il y a de plus classe. Le seul problème, à force, c’est cette impression que la musique n’est plus qu’une branche de l’industrie du luxe. Qu’un morceau doit désormais s’écouter comme on essaierait un pull au Bon Marché, en s’assurant dans la glace que tout roule dans le sens du cool. Quand, dans ce contexte propret, se pointe un jeune collectif un peu crado qui s’appelle Contrefaçon, ça ne peut que mettre la puce à l’oreille…

Contrefaçon technikart

Actif depuis 2016, Contrefaçon (parfois stylisé CTRFÇN) sort enfin son album, Mydriaze. Ne soyons pas de mauvaise foi : il est moins bien foutu que le Sebastian. Malgré ses défauts et imperfections (ou peut-être : grâce à elles), il s’avère plus inspiré, plus inventif, plus vivant – et donc plus intéressant.

Alternant ballades mélancoliques à écouter chez soi et turbines vouées à retourner les dancefloors, ce Mydriaze dépote. Pourquoi ? Parce qu’il a la flamme et l’énergie des premiers disques. Il renvoie donc logiquement à des premiers disques (Epiphanie de Para One, OK Cowboy de Vitalic) et aux vieux singles de Justice ou… Sebastian. On sent que les quatre chiens fous de Contrefaçon ont envie d’en découdre, qu’ils sont moins habitués au champagne et au foie gras qu’aux packs de bière et aux saucissons mous. On avait d’ailleurs eu l’occasion, une fois, d’aller prendre l’apéro dans la colocation où ils vivent tous ensemble à Saint-Denis, et elle ressemblait peu au palais présidentiel. Ils avaient baissé les stores, m’avaient montré en avant-première le film qui accompagne la sortie de Mydriaze – un film qui fait penser au jeune Romain Gavras.

C’est ça, Contrefaçon : le Sebastian et le Gavras d’il y a douze ans, potaches et turbulents, qui secouaient le cocotier. L’avenir nous dira s’ils resteront underground et marginaux, ou s’ils s’intégreront comme leurs aînés au système, produisant l’héritière Gainsbourg, présentant leurs longs-métrages à Cannes. Un des meilleurs titres de Mydriaze s’appelle « Rave à Versailles » : du clavecin qui part en techno. Tous les chemins, même les raves, mènent-il à Versailles ? Réponse en 2031.

CONTREFAÇON
MYDRIAZE
(PANENKA)

LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCAULD