DANIELLE JOHNSON PEUT-ELLE SAUVER LA POP 2021 ?

Danielle Johnson

Connue jusqu’ici sous le nom de Computer Magic, Danielle Johnson revient sous un nouveau pseudo, Danz CM. Un peu d’âme et de finesse dans la jungle de la pop d’aujourd’hui.  

Tout commence par une dépression. En 2010, Danielle Johnson a 21 ans. Cela fait trois ans qu’elle broie du noir à New York, s’ennuyant dans des études sans intérêt, bossant comme serveuse pour gagner sa croûte. Un jour, elle en a ras la casquette : elle fait son sac et retourne vivre chez sa mère en Floride. Là-bas, elle s’enferme dans sa chambre, télécharge le logiciel Ableton et commence la musique en autodidacte, avec un micro pourri. Elle n’a pas à attendre longtemps avant d’être touchée par la grâce : très vite, elle met en ligne le morceau « Running ». Une merveille aussi introspective que du Mohini Geisweiller et emballante que du Annie. Danielle ne connaît rien à la production, et arrange pourtant ses chansons avec une précision de vieux briscard des studios. Ayant trouvé sa vocation, elle se réinstalle à New York pour en découdre. Manquant d’assurance, doutant qu’on gobe qu’elle compose et enregistre tout toute seule, la timide jeune femme prend le pseudo de Computer Magic pour faire croire à un groupe. Ses trois premiers EPs sont des petits chefs-d’œuvre. Les visuels sont aussi beaux que la musique est mélancolique. Quand il s’agit de mettre en boîte une reprise, c’est John Lennon où les Strokes qui sont réinterprétés. Danielle a du goût, elle est drôle et douée, pas ramenarde pour un sou. Le parfait antidote à tous les maux de la pop contemporaine – mégalomanie, vulgarité, gros son fabriqué par des brutes. 


ON S’ASSOIT ET ON PEAUFINE

Dans un monde idéal, Danielle aurait dû s’acheter une armoire pour ranger des Grammy Awards. Les choses étant ce qu’elles sont, elle n’a jamais cartonné, est restée cantonnée à l’underground – bien que tournant jusqu’au Japon, pays où elle marche le mieux. Année après année, elle a continué de sortir des pépites (« A Million Years », « Dreaming », « Mindstate », « Dimensions » ou « Lonely Like We Are »), mais a eu trop tendance à muscler sa musique, gagnant en professionnalisme ce qu’elle perdait en innocence. On attendait avec inquiétude son nouvel album. Le titre, impeccable, nous a rassurés : The Absurdity of Human Existence. Il ne faut pas se fier aux singles, qui ne sont pas ce qu’il y a de mieux sur le disque. Comme toujours à côté de la plaque, Danielle a mis les meilleures chansons à la toute fin (« Not Gonna Stand By » et « Human Existence »). Elle n’est décidément pas très stratège… Elle n’est pas plus militante, et cela contribue à son charme. Elle n’est pas du genre et à se lever et à se casser. Elle préfère rester assise des heures devant ses machines, à peaufiner encore et encore ses maquettes. On pourrait chercher des comparaisons (Laurie Anderson ? Anne Clark ?), mais aucune ne serait vraiment pertinente. Le temps file, la gamine d’antan a déjà 32 ans et commence à avoir une œuvre, mine de rien. À l’heure où les badauds font la queue pour recevoir une injection de Johnson & Johnson, Danielle Johnson fournit un vaccin autrement plus efficace : l’écouter, c’est se protéger des pires mutations de l’électro moderne. 

The Absurdity of Human Existence
Danz CM (Channel 9 Records)


Par Louis-Henri De La Rochefoucauld