COMMENT L’ART CONTEMPORAIN PERMET AU LUXE DE RESTER DU LUXE

Chanel skate technikart

L’économiste le plus stylé de France s’est penché sur les as du « bizz-art ». Sa conclusion ? Le luxe fait surtout appel à eux pour consolider le snobisme culturel qu’on associe à leur nom. Démonstration. 

Légende photo : Luxe de rue_ Vous voulez une board mais n’aimez pas trop faire du skate ? L’artiste Rose a pensé à vous avec cette magnifique création inspirée de Chanel (300 euros). 

Comme toutes les industries, le luxe a un objectif : dégager le plus de profit. Or, en économie, pour s’enrichir, il faut deux conditions : étendre son marché et baisser les coûts. Lorsqu’une entreprise n’arrive plus à trouver des débouchés pour vendre ses produits, elle peut compenser en baissant les coûts de production (par exemple en délocalisant ou en faisant de l’évasion fiscale) pour préserver ses profits. Inversement, une entreprise qui arrivent à trouver de nouveaux consommateurs peut augmenter ses coûts en achetant des nouvelles machines ou en recrutant du personnel et préserver ses profits. Le top du top pour un patron (et ses actionnaires) est lorsque l’entreprise augmente la taille de son marché tout en baissant ses coûts. Dans ce contexte, c’est le jackpot, même si tout cela se fait souvent au prix de sacrifices comme les délocalisations, les licenciements, l’exploitation de travailleurs dans les pays pauvres, l’impact carbone des biens qui traversent le monde. Le secteur du luxe a appliqué cette stratégie sans vergogne. Il a constamment cherché à séduire de nouveaux consommateurs, soit dans les classes moyennes des pays riches, soit chez les nouveaux riches des pays émergents. Et, dans le même temps, il a constamment cherché à diminuer les coûts en profitant d’avantages fiscaux et en délocalisant une grande partie de sa production. 

Le résultat de cette stratégie est là, sous nos yeux, le développement sans commune mesure d’accessoires comme les ceintures à logos imprimés, les parfums vendus chez Sephora, les baskets en plastique produites en Chine. La qualité des produits se dégrade. Le luxe flirte sans cesse avec la consommation de masse. La seule différence ne tient souvent qu’au prestige passé de la marque qui lui permet d’afficher un prix bien au-dessus des marques de moyenne gamme.

SNOBISME CULTUREL

Le problème est que, plus le luxe se délocalise, moins il est de qualité. Plus il se démocratise, moins il est rare. Et, moins il est de qualité et rare, moins il fait rêver. Dans ces conditions, comment préserver une clientèle haut-de-gamme qui reste le nerf de la guerre ? En créant des partenariats avec des artistes contemporains. Pourquoi l’art contemporain ? Parce que les artistes les plus connus sont déjà trop populaires – le nom de Picasso a déjà été donné à une voiture Citroën. Il faut donc trouver des artistes qui puissent consolider le snobisme culturel qu’ont perdu les grandes marques de luxe. 

En réalité, outre le fait que le soutien artistique est fiscalement avantageux, le but principal de la stratégie de fusion entre le luxe et l’art contemporain est de monter en gamme sur certains produits pour conserver les consommateurs les plus exigeants (et fortunés). C’est donc l’exact opposé de la ceinture accessoire s’adressant à la masse. Comme l’offre à la SNCF qui va du TGV pour les riches à OUIBUS pour les plus pauvres, il y a sous la bannière d’une même marque de luxe, plusieurs mondes : celui des accessoires produits en masse dans des pays à bas revenus et celui, plus technique, éphémère, à mi-chemin entre le produit et l’œuvre d’art. À l’intérieur du monde du luxe, une lutte des classes persiste.

 

Par Thomas Porcher
Photo Gianni Giardinelli