Connu pour avoir incarné le chic et truculent Luc dans la série Emily in Paris, Bruno Gouery a poursuivi sa carrière d’acteur à l’international avec l’excellentissime série The White Lotus (2021) et bientôt, Modi, de Johnny Depp. 2024, l’année de sa consécration au cinéma ?
On t’a découvert dans le rôle de Luc dans la série Emily in Paris en 2020 sur Netflix. Mais qui était réellement Bruno Gouery avant les écrans ?
Bruno Gouery : Je suis né en Normandie, mais mes parents sont venus s’installer à Nanterre lorsque j’étais petit, donc j’ai grandi en banlieue. J’ai fait des études d’histoire, puis je suis partie en Erasmus en Italie à Milan où j’ai effectué ma licence. À l’époque, on avait l’obligation de s’inscrire à l’armée, mais je ne voulais pas y aller, alors la seule solution était de trouver un CDI. J’ai fini par être soutien de famille. En parallèle de mes études, je corrigeais des sous-titres français/italien pour une chaîne de TV qui s’appelait Canal Jimmy Italie. Ma responsable m’a demandé si je ne connaissais pas quelqu’un qui pourrait la remplacer car elle allait quitter son poste. Je me suis proposé. C’est comme cela que j’ai commencé à la TV au début des années 2000.
Et le théâtre s’est invité dans ta vie malgré toi.
Le job que j’avais à la TV n’était pas quelque chose qui me passionnait énormément. Je passais mon temps à faire le clown. À force, une collègue m’a encouragé à venir à ses cours de théâtre. J’ai hésité, je n’étais pas trop pour, car j’avais dans l’esprit que le théâtre n’était pas une activité pour moi et mon milieu social, je venais de banlieue. J’ai quand même décidé de me lancer. En rentrant dans ce cours, j’ai eu un coup de cœur, une sorte de révélation. Comme je faisais du théâtre amateur, les gens m’encouragaient à en faire plus sérieusement. J’avais un peu fréquenté le cours Florent, mais ça ne me plaisait pas. Je trouvais ça très abstrait, on me demandait de faire la tulipe triste en chaussettes, des trucs comme ça (rires).
C’est à ce moment-là que tu as fait une rencontre extraordinaire ?
Un soir, la journaliste pour laquelle je travaillais, a demandé si quelqu’un voulait aller voir Galabru jouer au théâtre Saint-Georges, dans Les Rustres de Goldoni. Je me suis porté volontaire direct. En voyant Michel Galabru jouer, j’ai pris une claque magistrale devant son talent immense. Je me suis dis que c’était l’un des seuls avec qui je voulais prendre des cours.
Tu l’as rencontré en personne ?
Oui, grâce à un concours de circonstances incroyable. Le lendemain, j’ouvre le journal Libération et je tombe sur une page qui annonce que Michel Galabru va auditionner au théâtre des Variétés. Je l’ai vu comme un signe, j’ai même gardé cet article pendant des années dans la poche de ma veste comme une sorte de porte-bonheur. J’ai donc auditionné sur le rôle de Diderot dans la pièce Le Libertin d’Éric-Emmanuel Schmitt. C’est à ce moment-là que Michel Galabru m’a pris sous son aile et m’a tout appris, c’est devenu un maître, comme un grand-père. J’ai noué une relation très proche avec lui, tant personnelle que professionnelle.
Tu as beaucoup joué à ses côtés ?
J’ai joué avec lui plusieurs pièces, je l’ai fréquenté pendant dix ans. Cette rencontre a changé ma vie. Si je suis devant toi aujourd’hui, c’est grâce à lui. Michel Galabru m’a élevé humainement et culturellement. Il m’a fait découvrir Molière, Shakespeare, Goldoni, Anouilh… J’ai pu faire la rencontre d’autres professeurs tels que son fils Jean Galabru, ou Nadine Capri, Nicole Vassel et Nathalie Nerval, une grande comédienne qui a aussi eu une influence majeure dans mon parcours.
Ton approche du travail d’acteur ?
Devenir acteur, c’est une rencontre avec toi-même. Ce n’est pas un problème d’être timide quand on est un acteur, par contre, on ne peut pas être pudique. Il faut montrer ses sentiments. On me dit souvent qu’il faut de la chance, et c’est vrai. C’est indéniable, il faut savoir la reconnaître et la saisir. Ça demande beaucoup d’audace. Dans mon cas, cette chance je l’ai vue et je ne l’ai pas laissée passer.
Dans Emily in Paris (2020), tu joues le rôle de Luc, qui t’a fait connaître.
C’est la découverte de l’univers anglo-saxon et américain. Chose que je n’aurais jamais imaginée dans ma carrière, encore moins avec mon niveau d’anglais, c’était pas gagné… Mon agent de l’époque m’a informé qu’il y avait un casting qui se déroulait pour une série américaine. Je n’étais franchement pas emballé de passer le casting vu mon niveau d’anglais. Elle m’a quand même poussé à tenter l’aventure.
Tu te doutais que ce serait le coup d’envoi de ta carrière ?
Non, je ne savais même pas pour qui j’allais auditionner et dans quel cadre ça allait être diffusé. À l’issue du casting final, je me retrouve en face de Darren Star et c’est à ce moment-là que je me suis dit que ça allait être quelque chose de gros. Je ne savais toujours pas que c’était pour Emily in Paris et que ça allait être diffusé sur Netflix… et encore moins que ça allait cartonner ! Je ne l’ai appris qu’au cours du tournage de la première saison. À ce moment-là, on ne se doute pas qu’on tourne dans une série à succès…
Maintenant tu es connu à l’international… Et tu tournes dans le prochain Johnny Depp.
Le plus incroyable, c’est que Johnny Depp ne m’a même pas fait passer d’essais. Al Pacino, le producteur du film, a validé derrière lui. J’avais presque l’impression que c’était un sketch.
Comment s’est passée la rencontre ?
Mon agent m’a dit que Johnny Depp cherchait un acteur pour jouer le rôle d’un peintre français dans son prochain film, et elle a suggéré mon nom parmi d’autres. Il m’a choisi en disant aux équipes qu’il ne voulait même pas que je passe d’essais, j’étais pris d’office. Ça m’a paru surréaliste ! Ces gens-là, comme Woody Allen ou Johnny Depp, ont bercé mon enfance. Je fais ce métier pour ce genre de personnalités qui ont sculpté mon imaginaire.
Peux-tu nous pitcher le film ?
Le film, Modi, est tiré d’une pièce de théâtre et sort courant 2024. Il retrace trois jours de la vie de Modigliani, le célèbre artiste peintre italien, en 1915 à Paris. On le suit dans sa vie et ses déambulations, avec deux de ses amis peintres, dont Maurice Utrillo que j’incarne, et Chaïm Soutine joué par Ryan McParland. Le rôle principal de Modigliani est incarné par l’acteur italien Riccardo Scamarcio. On y découvre le vrai Modigliani, son parcours, ses insuccès, car il ne vendait pas de tableaux à l’époque.
Ça donne quoi l’esthétique bohème parnassienne d’un Paris d’après-guerre ?
On a tourné intégralement à Budapest avec des décors recréés incroyables. Le tournage s’est passé là-bas pour la principale raison que nous sommes en 2024 et retransformer ce Paris moderne en Paris du XIXe siècle demande un travail colossal. Étant Parisien, j’ai été bluffé par la ressemblance de certains endroits. Je pense que paradoxalement, à Budapest c’est moins difficile qu’à Paris avec les abribus, les vélibs… (rires). L’équipe a fait un travail formidable sur ces décors avec des poids lourds du cinéma. Le directeur de la photographie a travaillé sur Napoléon de Ridley Scott et le premier assistant du réalisateur est Peter Kohn, qui a également fait La La Land, les Pirates des Caraïbes… Ils ont un immense talent.
« LES AMÉRICAINS ME DISENT SOUVENT QUE JE RESSEMBLE ÉNORMÉMENT À ROBERTO BENIGNI… »
Dernièrement, tu t’orientes davantage vers des productions américaines. Es-tu plus sollicité par eux que par les Français ?
Je suis beaucoup plus demandé par les Américains, les Anglais et les Italiens. J’imagine que mon accent et mon côté frenchy font ma particularité, c’est un peu ma marque de fabrique. Leur accueil est tellement chaleureux que j’ai fini par me demander pour quelle raison j’étais tant demandé par eux.
Tu as trouvé la réponse ?
La France est un pays qui est un peu en dépression avec un mood particulier. Fatalement, les auteurs écrivent avec ce mood-là et écrivent des histoires qui ressemblent à ça. Donc pour jouer ce type d’atmosphère, ils ont besoin d’acteurs qui puissent l’incarner. Personnellement, je dégage beaucoup de vitalité et je suis très solaire. Les Américains me disent souvent que je ne ressemble pas beaucoup à un Français dans ma manière d’être, ils me disent sans cesse : « Bruno, you’re so bright, you’re so sunny ! ». Ils me disent souvent aussi que je ressemble énormément à Roberto Benigni…
La principale différence entre les productions françaises et américaines ?
Si je cherche à stéréotyper, je trouve que les Américains travaillent plus, dans le sens où ils ont plus de moyens, donc plus de temps. Pour eux, le travail est une sorte de vertu. J’ai remarqué que les Américains aimaient beaucoup les acteurs décontractés et la coolitude. Ils ont ce côté très expressif où ils disent sans arrêt « Amazing ! », dans un débordement de chaleur. Mais lorsque vient le moment de tourner sur le plateau, ça devient sérieux. Du côté des productions françaises, c’est un peu chacun reste dans son coin au moment du maquillage et des habillages, ça n’est pas aussi friendly. Quand vient le moment de tourner sur le plateau, on déconne. Je préfère la méthode américaine, car je m’y sens plus à l’aise. Le sens de l’entertainment chez eux, c’est une culture très différente d’ici. Ils ont une telle bienveillance à mon égard que je les remercie de m’avoir donné cette opportunité.
2024, une année riche en projets ?
Après Modi, de Johnny Depp, je vais également réapparaître dans la saison 4 d’Emily in Paris ; nous allons finaliser le tournage avant les Jeux Olympiques en été. Il y aura une partie hivernale, suivie d’une saison plus printanière, ça va donner un nouveau souffle à la série qui a toujours été tournée en été. Je pense que ça va être plus dur pour Lily (Collins, qui incarne Emily dans la série, ndlr) au niveau du froid car elle va rester sur des tenues plus estivales… (rires). Vous me verrez également dans un nouveau film diffusé sur Netflix nommé Loups-Garous et réalisé par François Uzan où je joue le rôle d’un personnage historique italien, aux côtés de Jean Reno, Franck Dubosc et Suzanne Clément. Une année déjà bien remplie !
Entretien Sarah Sellami
Photos Axel Vanhessche