BFRND : « J’AI UN CÔTÉ “MAMIE”… »

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Les défilés Balenciaga pulsent aux sons de Loïck Gomez, plus connu sous le nom de BFRND. Nous le retrouvons en plein préparatifs du prochain show.

Alors que tu es surtout connu pour tes morceaux techno et dark, tu as composé une fugue d’inspiration baroque pour le défilé Balenciaga d’octobre dernier. Quel est ton rapport à la musique classique ?
BFRND : Je compare souvent la musique classique au métal, il y a énormément de similitudes en termes de composition. Entre des morceaux de riffs de guitares et des passages de violon, il y a des moods qui se ressemblent. Aussi, dans le métal, c’est une grande tradition de mélanger les deux, c’est d’ailleurs comme ça que j’ai connu la musique classique, avec le black métal norvégien qui a très souvent des pièces symphoniques. Il y a eu aussi, par la suite, la même tendance à mélanger les genres avec la techno gothique industrielle, l’agrotech, l’EBM… C’est comme ça que j’ai découvert le classique, plus qu’avec Vivaldi.

Ado, tu écoutais beaucoup de black métal scandinave ?
Quand j’avais 14 ans, il y avait juste à côté de chez moi une salle de concert orientée métal et gothique. Dès que j’en ai appris l’existence, je les ai contactés, c’était sur MySpace à l’époque : « Il faut absolument que je vienne travailler avec vous ». J’ai senti que ma famille de cœur était là.

Tout a donc démarré là-bas ?
Parfois, le Cosmos envoie des messages : tu sais que tu dois aller à tel endroit parce que tu ressens quelque chose de fort, et c’est exactement ce que j’ai fait. Et par la suite on ne s’est pas quittés pendant plus de dix ans, j’ai passé tous mes weekends là-bas…

Il t’arrives d’écouter des choses moins extrêmes ?
Slipknot, ça compte ? J’ai été les voir en concert, et quand tu les vois, tu ressens la même chose que devant un orchestre symphonique de 100 personnes.

Quand tu rejoins, encore ado, cette salle de concert, c’est par désir d’appartenir au crew des freaks de ta ville ?
Pas vraiment. C’est plutôt que je viens d’une famille où je n’étais pas accepté, ni avec ma sexualité, ni avec mon look. Et quand j’ai vu ces gens, c’était la première fois de ma vie que je vivais le contraire. Et je me suis aussi rendu compte plus tard qu’on ne m’a jamais questionné sur ma sexualité là-bas, et qu’on m’a respecté. Je pouvais monter sur scène si j’en avais envie, faire une première partie… Quand tu es ado, c’est incroyable d’avoir cette liberté.

Quand on te demande de décrire ton travail, tu parles de « couture sonore »…
Quand j’ai rencontré Damien Quintard, mon producteur, il m’a demandé de définir mon travail, surtout pour Balenciaga. Et c’est un peu compliqué. Tous les trois mois, je sors quinze minutes de musique et le genre va vraiment dépendre du défilé en lui-même. Je peux passer du classique à de la techno à la demande de Demna. Il faut être versatile, et c’est le plus grand plaisir que j’ai. Mais donc, comment donner un nom à ça ? Et ce que je fais finalement en termes de composition, c’est de la couture. C’est fait sur-mesure pour un défilé. L’autre terme que j’ai trouvé, c’est « architecture sonore » : la musique soutient tout un défilé.

Ton producteur Damien Quintard est à la tête du sublime studio Miraval. Tu y enregistres ?
Je n’y vais jamais ! Je vis entre la Suisse et Paris, donc c’est loin, et je suis un peu « Mamie ». J’ai besoin de rentrer tous les soirs, être avec mon mari et mes chiens, regarder la télé… En fait, j’ai besoin de mon truc, de mon rythme. Ce qui n’empêche pas de travailler à distance avec Quentin.

Comment est ton home-studio ?
Je fais tout sur mon ordi, donc tant que j’ai mon casque et mon ordi, mon studio est là. Même quand je fais des compositions classiques, c’est comme ça. J’aime pas trop les studios ; si j’ai besoin d’enregistrer des voix, on va le faire chez moi.

Tu as sorti la musique pour le défilé de la collection « Summer 2023 » en album, avec comme titre, Elephant. Pourquoi cet animal-là ?
Pour moi, l’éléphant a une allure gentille, mais, en même temps, il peut se défendre. C’est la sagesse avec des limites. Si tu commences à l’attaquer, il va revenir à la charge. Moi, je suis zen… si tu respectes les frontières que je fixe.


« J’AI DÉCOUVERT LA MUSIQUE CLASSIQUE GRÂCE AU MÉTAL . »

 

Tu parles souvent d’essayer de sortir de tes zones de confort en musique…
La dernière fois que je l’ai fait, c’était pour le défilé de mars (le show FW 2024-2024 et ses décors métavers, ndlr). J’ai tendance à faire du son intense, peu importe le style de musique. Mais là, Demna voulait justement me lancer le challenge de ne pas faire ça. Tout était déjà très extrême, avec des écrans qui diffusent des visuels intenses, la collection en elle-même était aussi remplie d’informations donc il ne voulait pas que moi aussi j’en rajoute une couche et que ça devienne excessif. Et ça a été un challenge pour moi. Il fallait trouver le juste milieu, avoir un rythme et de l’énergie. En même temps, on a un BPM qui ne permet pas de faire des folies, donc on a tendance à avoir envie de doubler, mais on peut pas. La track aurait pu aller dans tous les sens, mais il fallait que tout soit au même niveau, et créer quelque chose d’harmonieux.

Les musiques de BFRND sont produites par Damien Quintard, des mythiques Miraval Studios.
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Les musiques de BFRND sont produites par Damien Quintard, des mythiques Miraval Studios.


Qui sont tes héros en 2024 ?
Mon mari en premier, ça c’est sûr (Demna et Loïck se sont mariés en 2017, peu de temps après leur rencontre, ndlr). C’est quelqu’un qui n’aime pas les compromis et qui n’aime pas les règles et ça, j’admire. Mon deuxième héros serait probablement Thom Yorke. Je l’ai découvert après Radiohead et je l’ai vu plusieurs fois en concert. C’est un artiste incroyable. Il a des qualités assez similaires à Demna : zéro compromis, refus total du capitalisme à tel point qu’on lui a fait une demande de droits pour passer sa musique dans un défilé et il a refusé. Il a des valeurs qui font qu’il ne peut pas travailler avec la mode. Et j’admire que même pour l’argent, il ne le ferait pas. Il a mis des limites et il se respecte. Ses chansons, ce sont des musiques qui, pour moi, sont faites pour être jouées live, comme le métal et le classique. Tu peux être complètement transporté quand tu les vois en live.

Le dernier son où tu t’es dit « Wow, j’aurais voulu faire ça » ?
C’est encore Thom Yorke. À son dernier concert, il a chanté une chanson qui n’est pas encore sortie et j’aurais aimé que ses paroles soient les miennes. Il a écrit exactement ce que j’aurais voulu écrire.

Tu te rends souvent en concert ?
Oui, c’est une passion. J’aime aller à un concert de black-métal et y boire une bière. Ça me rend extrêmement heureux. Mais tout ce qui est black métal, c’est un peu trop extrême pour Demna, donc j’y vais seul. Si c’est Slipknot, on y va ensemble.

Tu dis « entendre des couleurs ». Cela consiste en quoi, exactement ?
C’est compliqué à expliquer. Imagine qu’une personne te plaît : tu sens qu’elle te fait ressentir quelque chose, tu as une vibration quand tu es avec elle. C’est le même genre de sentiment que je peux avoir, mais avec tout. Je pense que c’est aussi le fait d’avoir l’oreille musicale, apparemment c’est un des effets. Là, par exemple, je vois un miroir doré et j’entends un son de violon. Juste en le regardant dans ma tête, ça me vient tout seul, je n’y réfléchis même pas. Tu ressens le rapport au son, et au visuel, différemment…

@bfrnd


Entretien Laurence Rémila & Alyssia Lavenant