BEN PAYNE, LOTUS DESIGNER : « RÉINVENTER LE RAPPORT À L’ÉMOTION »

lotus ben payne

Après la Lotus Eletre, un SUV 100 % électrique sorti en 2022, la marque britannique présente l’Emeya, Hyper-GT sportive. Depuis 2018, Lotus s’est donnée pour mission d’électrifier entièrement sa gamme. Light is always right ? Réponse avec son nouveau designer en chef, Ben Payne.

À la tête du design de Lotus, ressuscitée par le groupe Geely en 2018, vous succédez au designer Peter Horbury (il a travaillé pour Volvo, Ford, Martin Smith…), décédé en juin dernier. Quel est son héritage ?
Ben Payne : J’ai travaillé avec Peter ces cinq dernières années. Les voitures qu’on présente aujourd’hui ont été fabriquées sous sa direction. Cette année, nous fêtons les 75 ans de Lotus (en 1948, l’ingénieur Colin Chapman crée le premier modèle de Lotus dans le garage de sa petite amie et future associée, Hazel Williams, ndlr), j’ai beaucoup discuté de cet héritage avec Peter : comment combiner futurisme, électrification, technologie numérique et intelligence des véhicules ; c’était le cœur de nos conversations. L’Emeya, l’Eletre avant (SUV Lotus présenté en 2022, ndlr), et ce qui va suivre, ont été pensés avec Peter et nos équipes. Nous travaillons au moins quatre ans pour créer un concept, lequel peut durer dix à quinze ans. Autrement dit, nous avons donné le ton du futur de Lotus ensemble, et son influence est très présente.

Selon vous, qu’est-ce que va marquer l’histoire de la voiture électrique ?
Je pense à nombre d’observations de Peter, très simples pour quelqu’un qui a eu une si longue carrière. Il a toujours été clair : Lotus doit être une belle voiture, peu importe ce que nous faisons et quelle que soit la catégorie à laquelle elle appartient. Donc, il doit y avoir de l’élégance et de la pureté. Pour être une véritable marque de luxe, il ne faut pas toujours suivre les modes mais rechercher des lignes et des styles intemporels.

Qu’est-ce qui vous interpelle le plus dans l’évolution de l’industrie automobile au cours de ces dernières années ?
Ma plus grande surprise est la vitesse de transition dans l’industrie. Faire une voiture en quatre ans peut paraître long, mais il y a dix ou quinze ans, la plupart des véhicules de luxe mettaient sept à huit ans à se développer. Les cycles de développement se raccourcissent car le but est de mettre les produits plus rapidement sur le marché pour satisfaire les attentes des clients. Et puis la technologie avance très vite et évolue chaque année. Ainsi, tout ce que vous trouvez à l’intérieur d’une voiture en matière de technologie est comme le dernier iPhone : obsolète dès que vous l’achetez. S’il vous faut un an et demi ou deux pour réaliser l’étape finale de développement, alors votre technologie est déjà périmée.

Et quelles sont les contraintes qui vous stimulent le plus avec l’électrique ?
Beaucoup de gens se demandent si la voiture électrique donne une liberté de conception plus importante que pour des voitures thermiques. Dans un certain sens, oui, car la plus grande contrainte est en réalité la réglementation qui n’a pas encore complètement changé. L’une de nos plus grandes difficultés, en particulier en matière de design extérieur, est la réglementation et la façon dont vous protégez les piétons en cas d’accident. Cela dicte en grande partie la forme du véhicule. Vous ne pouvez pas simplement mettre du volume, des formes et des lignes où vous le souhaitez. Il y a donc une sorte d’équation très complexe à résoudre entre la façon dont l’ingénierie se développe, comment vous placez les surfaces et les volumes par-dessus et comment ils doivent être liés les uns aux autres pour gérer l’aérodynamique, certaines quantités d’emballage du véhicule, mais aussi protéger les piétons ou les autres usagers de la route en cas d’accident malheureux. La réglementation constitue donc notre plus grand défi.

Comment réinventer la ligne de Lotus ?
Nous travaillons dessus. Les 75 ans de Lotus sont l’occasion pour nous d’examiner notre héritage et de réfléchir à la part que nous gardons alors que nous avançons avec un nouveau groupe de clients qui ont évolué. Ils ne recherchent plus la sensation d’une voiture à moteur à combustion ou d’un son propre à une marque. Il faut réinventer le rapport à l’émotion et réfléchir à créer une connexion sentimentale différente. Il ne s’agit donc pas seulement d’une identité visuelle associée à Lotus, mais de réussir à équilibrer la quantité d’histoire et d’avenir dont on a besoin. C’est une question d’émotion et Lotus doit en procurer.

Comment ?
Si vous demandez à quelqu’un pourquoi il possède une Lotus, il ou elle parlera de sensation et d’émotion. Ce n’est pas une marque fonctionnelle, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un outil. Nous devons donc déterminer comment traduire cela avec les nouvelles technologies qui changent l’expérience. Nous n’allons pas prendre ce que vous aviez dans une voiture thermique pour ensuite le reproduire dans une voiture électrique. C’est notre mission : offrir des sensations encore plus fortes grâce à l’électrique, mais aussi grâce aux capacités numériques et d’intelligence d’une voiture. Réinventer le « waouh ! » qu’une automobile procure, c’est ce sur quoi nous travaillons.

En matière d’autonomie et de recharges, l’Europe est-elle prête ?
Dans les grandes villes d’Europe, ce n’est vraiment pas un problème, mais pour être honnête, les gens sont toujours très anxieux. Pourtant, ces voitures ont plus de 500 kilomètres d’autonomie et, personnellement, je ne conduis pas autant d’un seul coup, même pour un long voyage. Donc, on a besoin d’un changement de mentalité. Mais je pense que sur les marchés où les infrastructures sont présentes, le blocage a disparu. En Norvège, la majorité des voitures neuves vendues sont électriques. Chaque hôtel dispose de dix à quinze chargeurs. À Amsterdam, d’où je viens, il y a des recharges publiques partout, gares, aéroports, entreprises. La France est un peu en retard mais tous les marchés sont en train de changer. La mondialisation signifie que tout le monde voit tout. Et quand vous voyez se propager quelque chose, comme les voitures électriques, que cela devient massif, alors, finalement, vous les désirez également. Donc, même si certains marchés ne sont pas encore prêts, ils le seront très rapidement.

Vos chiffres clés ?
Avec une bonne infrastructure et un bon réseau, la Emeya peut passer de 10 à 80 % de batterie en 18 minutes, ou gagner 150 km d’autonomie en cinq minutes de recharge.

Votre calendrier pour l’Emeya ?
Elle entrera en production au premier trimestre de l’année prochaine. Nos clients européens peuvent la réserver dès maintenant. 2024 sera notre grande année. La voiture passera dans les showrooms, puis sera livrée en fonction de la montée en puissance de notre usine.

Votre plus grand défi ?
La vitesse du changement, et c’est excitant ! Parce que vous faites quelque chose et vous réalisez deux ans plus tard que vous avez tort et que vous devez changer. C’est amusant pour moi. Dans les industries créatives, c’est formidable de s’adapter et de faire bouger les choses. La responsabilité constitue peut-être un défi, mais c’est ce qui me stimule !

www.lotuscars.com

 

Par Alexis Lacourte