BABETH DJIAN, PRINT-WOMAN : « POUR DES FEMMES COSMOPOLITES… »

Fondatrice dynamique du magazine Numéro (après être passée par Vogue, Jill, Mixte…), Babeth Djian a su, au fil des Fashion Week, se réinventer en Anna Wintour à la française. Rencontre avec l’œil le plus aiguisé de la fashion.

Vous avez fondé Numéro en 1999. Comment le titre a-t-il évolué en 24 ans ?
Babeth Djian : C’était un pari sur l’avenir. Je voulais créer un magazine de mode, d’art et de culture, pour des femmes cosmopolites, qui n’avaient pas envie de lire : « comment perdre trois kilos, de quelle manière avoir trois rides en moins, ou comment séduire un homme » ! Je voulais défricher de nouveaux talents dans l’art, le design et la musique. En 1999 c’était très innovant. Et 24 ans après, j’ai gagné ce pari.

Quel est votre propre parcours ?
J’ai suivi des études au Studio Berçot à Paris, avec un stage de six mois chez Elle. Puis j’ai travaillé en tant que styliste au Vogue, surtout en duo avec Peter Lindbergh, j’ai dirigé la mode chez Glamour, où j’ai fait travailler de très jeunes photographes à l’époque comme Mario Sorrenti, Juergen Teller, David Sims, Inez & Vinoodh, et Mert & Marcus. Et j’ai créé plusieurs magazines : Jill, Mixte et enfin Numéro.

Comment votre regard de styliste vous a-t-il servi pour la conception de Numéro ?
Dans le livre que Karl Lagerfeld a édité sur mon travail (Babeth aux éditions 7L, 2008, ndlr) : il écrit en introduction : « Who is Babeth ? An eye with a voice ». J’ai compris plus tard qu’il n’avait pas complètement tort. Le regard que je porte sur le vêtement et sur l’image sont très liés, cette vision a été une force indéniable pour faire un magazine.

Vous avez fondé et été directrice de la mode des onze numéros du magazine Jill, publiés entre 1983 et octobre 1985.
J’étais une enfant qui faisait un magazine, je l’ai créé avec le directeur artistique Grégoire Phillipidis à la sortie de mes études. On était indépendant, sauf qu’il appartenait à une agence de mannequins. Et comme j’étais déjà rebelle, j’allais chercher des modèles ailleurs. On ne prenait aucune publicité, c’était une approche très libre.

Vous avez collaboré avec Karl Lagerfeld pendant plus de quinze ans, et il a signé les séries haute couture de votre magazine. Quelle influence a-t-il eu sur votre vision de la mode ?
Il a agit comme un mentor pour moi, et il m’a inspirée. Au début de Numéro, il m’a écrit une lettre pour qu’on se rencontre, ça a été un véritable coup de cœur. Puis, en 2008, j’étais au café de Flore avec Peter Lindbergh, et Karl m’a appelée en me disant :  « Madame Babeth, j’adorerais faire un livre sur votre travail pour vous rendre hommage ». S’il n’a eu de cesse que je mette ce livre en place, c’est qu’il savait que ma priorité n’était pas de me mettre en avant.

Pourquoi les signatures photographiques sont-elles plus mises en avant que les contributeurs écrits ? 
La photo, c’est un vecteur d’image, d’émotions, et de rêves qui me transporte depuis toujours, parce que j’ai eu la chance de travailler avec des grands comme Peter Lindbergh, Paolo Roversi et Jean-Baptiste Mondino. Ce qui explique la place prépondérante que je donne à l’image. Et d’autre part, je me suis entourée de vraies plumes comme Phillip Utz (rédacteur en chef du Numéro Homme, ndlr), Delphine Roche et Thibaut Wychowanok.

Comment entretenez-vous la flamme depuis tant d’années avec Jean-Baptiste Mondino ?
Tellement d’amour, de rires, de joie, et beaucoup de dialogue !

Quelle est la volonté de proposer des couvertures différentes par numéro ?
Une couverture ça réduit mon imaginaire, et ça me permet de mettre plusieurs photographes et talents en avant.

Comment évoluent les éditions Homme et Art ?
Numéro Homme se porte à merveille, beaucoup de médias sur ce segment, tel que le Vogue Homme, ont disparu, mais nous sommes toujours là. Quant à Numéro Art c’est devenu un Numéro référent dans ce domaine. C’est dû à l’accent mis sur la photographie, mais aussi la recherche de nouveaux talents, de nouveaux mannequins, et d’un nouvel esprit. On est tout le temps comme dans un laboratoire de recherche.

Le magazine appartient à Mazarine, édité par Paul-Emmanuel Reiffers. Ce business model bi-structurel, avec d’un côté la production, et de l’autre le média, est-il le seul possible dans la presse de mode ?
En termes de business peut-être, mais en tant que directrice de la rédaction de Numéro, toute la ligne éditoriale garde toute son indépendance et Paul-Emmanuel est un ami, qui me laisse une totale carte blanche.

Si vous deviez licencier quelqu’un, vous faites comme Anna Wintour, avec des lunettes de soleil ?
Sans lunettes ! Mais je ne licencie jamais personne, les gens qui ne sont plus à la bonne place le sentent. Anna Wintour, est une femme de mode politique, tandis que je suis une femme de mode et de coeur !

 

Par Anaïs Dubois
Photo Peter Lindbergh