AURÉLIEN BELLANGER : « LA TÉLÉRÉALITÉ ? L’EFFONDREMENT DE NOTRE CIVILISATION ! »

BELLANGER

Prix de Flore 2014 et grand admirateur de Houellebecq, cet ancien vendeur de chez Virgin raconte, dans son ambitieux Téléréalité, le lent déclin du Paysage Audiovisuel Français. La fin d’un monde ?

Vos romans précédents (La Théorie de l’information, L’Aménagement du territoire…) avaient un côté visionnaire, alors que Téléréalité ça fait un peu has-been comme titre, non ?
Aurélien Bellanger : J’ai eu 40 ans, peut-être que je retrouve les madeleines de mon enfance avec ce livre d’imprégnation nostalgique. Pendant longtemps, la télé a défini notre civilisation : passer à la télé, c’était important. Aujourd’hui, c’est fini, ou, au minimum, moins prégnant. Et je voulais raconter ça. Le point de départ c’est qu’un jour je suis tombé sur une biographie de Patrick Roy, le présentateur du « Juste Prix ». C’était tellement dingue qu’un livre comme celui-ci puisse exister que je me suis dit qu’un jour j’écrirais sur les stars de la télé. Également parce que la télé est le showroom du capitalisme, et qu’en même temps elle demeure artisanale, avec un très gros surmoi artistique – car souvent fait par les gens qui ont échoué à faire du cinéma. Donc, elle n’est pas toujours très bien faite. 

Mais pourquoi la téléréalité plutôt que les émissions de variété ou de débat ?
Ce qui est intéressant dans la téléréalité qui a marqué la fin de l’âge d’or de la télé, c’est qu’elle a été vue immédiatement comme l’effondrement de notre civilisation. Loana est dans la piscine et les barbares aux portes de Paris ! Aucune forme artistique n’a été associée au déclin aussi instantanément. 

Le personnage principal de Téléréalité semble inspiré de Stéphane Courbit, l’homme d’affaire d’Arthur à l’époque des « Enfants de la télé » ou de « Loft Story ». Pourquoi ne pas écrire carrément sa biographie ?
Au-delà de la question juridique qui se poserait assez vite, ce n’est pas une biographie dans le sens où j’identifie quelques points qui m’intéressent et que le reste je m’en fiche. Par exemple, Stéphane Courbit est né dans le Sud, ce qui est rare dans l’élite économique française. Il est devenu très vite un génie de la production télé en injectant un peu de rationalité économique dans un milieu faiblement capitalisé. Et il a racheté la société qui avait acheté sa boîte 20 ans plus tôt dans une boucle capitalistique marrante. Après, c’est un personnage secret, et ça me va tout à fait de pas avoir d’info. Je n’ai pas fait beaucoup de recherches parce que ça m’amuse de fantasmer les patrons.

Vos livres peuvent même passer pour des plaidoyers en leur faveur…
Le modèle de La théorie de l’information, mon roman sur Xavier Niel, c’était justement les biographies hyper-hagiographiques que les milliardaires se font écrire par un journaliste de Challenges. Ma trajectoire intellectuelle est plutôt marxisante mais les milliardaires m’intéressent comme antithèse du prolétariat. Je ne pense pas qu’ils soient meilleurs que nous mais qu’ils disent quelque chose de la société qui les a accouchés. J’ai un art de l’oxymore bizarre, je veux parler des injustices et je mets en scène des patrons.

Vos personnages ont une volonté de comprendre, d’analyser, plus que la passion du pouvoir et de l’argent.
C’est quand même libidinal, mais libidinal triste. C’est des gens qui font des calculs la nuit. Idéalement on aimerait que les milliardaires tiennent de grands discours comme Vautrin dans Le Père Goriot nous dévoilant les dessous de l’histoire contemporaine, mais ils sont assez décevants sur ce point. 

Les gens qui n’aiment pas vos romans parlent de littérature Wikipédia. Que répondre à ça ?
En temps qu’artiste, toute réception est une déception terrible. Mais dans toute œuvre d’art réussie, il y a une idée, et cette idée ne peut pas exister autrement. Ce noyau dur de romantisme que j’ai trouvé chez Walter Benjamin c’est ce qui fait la beauté du métier. Donc, je frôle la mélancolie extrême, mais au fond ce n’est pas si grave.

Vous êtes un grand admirateur, voire un disciple, de Michel Houellebecq, mais vous avez bien moins de succès que lui, n’est-ce pas également frustrant ?
C’est une bonne question parce que de fait Houellebecq est un génie. C’est un styliste, un très bon écrivain. Mais au-delà de ça, il a un talent d’éditorialiste et de publiciste de lui-même qui fait qu’il est considéré comme le plus grand écrivain français vivant. C’est un monstre projeté dans une sorte de stratosphère bizarre à égalité avec Depardieu. Ce que, clairement, je ne suis pas. Donc, oui, je suis frustré, mais ça va…

Votre chronique sur France Culture est passée de la matinale à l’émission de philosophie. C’était trop compliqué ce que vous racontiez ?
(Rires) Comment m’en sortir avec une élégante pirouette ? J’ai essayé d’être un intellectuel généraliste, je voulais prendre chaque matin une vignette de pop culture et philosopher à partir de ça. Et je n’ai pas complétement réussit. Disons que j’ai une formation de philosophe et que je retrouve mon habitat naturel.

Téléréalité (Gallimard, 256 p., 19 €). Notre critique dans le cahier « Selector » en fin de magazine.

Photo : Telle est la télé_ Après s’être inspiré du parcours de Xavier Niel, (La Théorie de l’information, en 2012), de Francis Bouygues (L’Aménagement du territoire, en 2014) et de Nicolas Sarkozy (Le Grand Paris, en 2017), Bellanger s’attaque aujourd’hui aux margoulins de la télé cheapouille. Un sans-faute !


Par
Jacques Braunstein
Photo Francesca Mantovani