ASTÉRÉOTYPIE, ANTI-STÉRÉOTYPES : « ON A RETOURNÉ L’ÉLYSÉE ! »

Astéréotypie

Stanislas, Claire, Yohann et Adrien sont atteints de troubles autistiques. Accompagnés par Christophe, leur éducateur, et Arthur, le musicien de la bande, ils forment un collectif rock aussi attachant que WTF. Rencontre.

Jeudi 5 mai, 15 heures, au FGO Barbara, c’est l’heure de la balance avant le concert. Pas besoin de guide pour trouver notre coup de cœur du mois, il n’y a qu’à se laisser guider par les accords de guitare. Installé dans le quartier de la Goutte-d’Or, ce centre accueille des artistes émergents et les accompagne. C’est le jour J pour Astéréotypie, qui se produira d’ici quelques heures dans la grande salle de concerts.

L’aventure de ce collectif à part démarre en 2010, dans l’institut médico-éducatif de Bourg-La-Reine. Leur rencontre au cours d’un atelier d’écriture et leur attachement les uns aux autres poussent alors ces cinq jeunes autistes à former un groupe. « On a décidé de mettre en musique les poèmes qu’ils écrivaient ensemble », sourit Christophe, l’éducateur spécialisé et guitariste de la bande. 

Astéréotypie est une troupe protéiforme, où de nouveaux artistes en devenir intègrent la bande et d’autres partent après y avoir laissé leur empreinte. Comme Kevin, ancien chanteur :  il est à l’origine du nom du collectif. Depuis leur premier concert au salon des associations de Bourg-La-Reine, Astéréotypie enchaîne les lives, aussi touchants qu’intenses, (mention spéciale pour les stage-diving de Yohann). Musique brute ? Rock twisté ? Poésie truculente ? Autant de dénominations pour décrire un collectif qui n’est pas encore parvenu à trouver un seul terme pour se définir. « On ne sait pas ce que l’on fait, on laisse le soin de nous identifier à ceux qui nous écoutent », suggère Arthur, le bassiste. Pour connaître la suite, nous sondons Arthur, le bassiste, Claire, Yohann, Stanislas et Aurélien… 

Astéréotypie
BANDE À PART_
Stanislas Carmont, Yohann Goetzmann, Aurélien Lobjoit et Claire Ottaway, dernière arrivée, sont les chanteurs du groupe, accompagnés par les musiciens Arthur B. Gillette et Christophe L’Huillier, aussi membres du groupe Moriarty.


Vous signez un nouvel album, Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme. Il n’y a donc que des moches dans le 26 ? 
Claire : Chacun ressemble à un acteur américain différent (rires). Le titre est un clin d’œil à des amis que j’ai rencontrés pendant un stage musical dans la Drôme. Je voulais qu’on appelle l’album « Ressemblance des stars américaines et de téléréalité que j’ai bien connues et variété de musique », mais c’était trop long, donc on a gardé Brad Pitt.
Christophe : Ça ne rentrait pas sur la pochette de l’album, le graphiste était en sueur (rires).
Arthur : Et Brad Pitt était déçu qu’on ne le mentionne pas… 

Vous vous décrivez comme un collectif, plus qu’un groupe. Comment est né le projet ?
Christophe : Dans un IME (Institut médico-éducatif, ndlr) à Paris ! Au fil du temps, certains viennent se greffer, d’autres partent. Il n’y a pas tant de mélodies, c’est plus des slams et des textes que l’on scande. C’est basé sur l’intuition, on écrit des textes et on sent si ça plaît à chacun en fonction des réactions.

On n’a pas trouvé de définition pour « astéréotypie ». D’où ça vient ?
Christophe : Kevin, un ancien membre du collectif, a mixé les stéréotypies, ces mouvements répétitifs que peuvent faire certains autistes, avec le mot astéroïde. 

Comment décririez-vous votre style ?
Stanislas : Très éloigné de ce qu’on peut écouter tous les jours. C’est enrichissant d’explorer un univers musical inhabituel. Comme lorsque l’on rencontre une personne différente, on n’a pas les mêmes sujets de conversation. Je suis moi-même différent, j’ai été diagnostiqué autiste quand j’avais sept ans.
Arthur : C’est une forme de spontanéité, on se base sur nos intuitions, sans passer par l’étape où l’on intellectualise les paroles. Ils écrivent eux-mêmes les paroles – on n’intervient pas, nous sommes uniquement les musiciens – et on se charge de mettre en forme tout ça. 
Yohann : C’est du slam et de la chanson française ! Les chansons brutes sont celles qui restent gravées.

Dans Colère (album précédent, ndlr), on ressent en filigrane vos blessures de vie d’autiste. 
Stanislas : J’y évoque les moqueries des jeunes de mon âge, qui voyaient que j’étais différent. Ça m’est arrivé que des jeunes filles me rejettent et me méprisent, c’est très blessant. Et en même temps, lorsque l’on se moque de quelqu’un, on veut quelque part se protéger de la différence, parce qu’elle fait peur.

En 2018, vous interprétez votre titre « Le septième art » en live à l’Élysée. C’était comment ?
Arthur : Comme tous nos concerts, très chaud. On a retourné l’Élysée ! Même si Yohan n’a pas sauté dans la foule, pour une fois.

« Votre copine Léa ressemble à Scarlett Johansson en rousse et Claire ressemble à Hoda de la Star Academy 4 » (à en croire la chanson éponyme de l’album). Et vous, quel sosie de star seriez-vous ?
Claire : Je dirais Drew Barrymore ou Leighton Meester, la brune dans Gossip girl.
Stanislas : Assurément Emmanuel Macron (rires). 
Christophe : Dans une chanson de l’album précédent, tu commences en disant « Aujourd’hui, Céline n’est pas venue » et tu parles comme Sarko (rires). Dailleurs Yohann, tu m’a dit que je ressemblais à qui l’autre jour ?
Yohann : Toi, c’était Patrick Fiori.

Stanislas, quand tu parles, il y a un air de Jean Lassalle.
Stanislas : Je ne sais pas si je devrais prendre ça comme un compliment (rires). Je ne l’aime pas particulièrement. Moi qui veux devenir président de la République, ça ne me valorise pas beaucoup. 

Il a tout de même réalisé un meilleur score que le PS…
Stanislas : Il n’aura aucune chance d’être président, donc ça ne me fait pas rêver. Ça m’aurait fait plus plaisir si vous m’aviez dit que je parlais comme Macron !

Stanislas président, quelle serait votre première mesure ?
Stanislas : La création d’IME pour les enfants autistes ayant l’âge d’aller à l’école primaire, au lieu d’aller en CLIS (Classe pour l’inclusion scolaire, ndlr), si les parents le désirent, ils pourront aller en Institut spécialisé. Pour moi, ce n’est pas forcément une bonne chose d’être un enfant différent au centre de loisirs, où il peut être rejeté par les autres. Et même mettre un enfant dans une CLIS ou une ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire, ndlr) au collège, ce n’est pas forcément bien puisqu’il va forcément croiser les autres adolescents et il peut être rejeté et subir des moqueries, comme ce que j’ai vécu. C’est mieux pour un enfant différent d’être protégé des autres jeunes qui pourraient se moquer de lui. Quand j’étais au centre de loisirs, on n’a fait que me rejeter, et j’ai eu droit à tout ce mépris gratuit. 
Arthur : C’est le débat de l’inclusion finalement. Est-ce qu’on le fait à tout prix ? Doit-on désinstitutionnaliser à tout prix ? Est-ce que c’est tout de même bien, le mélange ?
Christophe : Nous par exemple, on mise sur l’inclusion.
Stanislas : L’inclusion n’est pas forcément une bonne chose selon moi. Quand un adolescent différent se retrouve dans la cour de récréation, les autres se moquent facilement. 
Yohann : Pour revenir aux sosies, moi je serais Joey Starr ! Pour ses slogans et sa manière de rapper. 
Arthur : Pourquoi par un feat avec lui ? On va l’appeler…

Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme (Air Rytmo)

 

Entretien Théo Lilin