YES WEED CAN ?

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AVERTISSEMENT : CONSOMMER DES STUPÉFIANTS EST ILLÉGAL ET RÉPRIMÉ PAR LES TRIBUNAUX. LA DROGUE MET EN DANGER LA SANTÉ ET LA VIE DE CEUX QUI LA CONSOMMENT.
ET REND PARFOIS TRÈS CON…

Pendant le confinement, les stoners français ont pris peur : leurs sources se tarissaient, la qualité baissait, les tarifs augmentaient… Conséquence : les plus malins ont décidé de s’organiser différemment – et se disent prêts en cas de nouvelle pénurie…

Le confinement pour le stoner typique ? Apéro à pas d’heure, roulage de spliffs et cette angoisse récurrente : mais d’où viendront les prochains ? Le problème pour les 1,5 millions de fumeurs réguliers de weed en France (rapport de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, juin 2019) a été de pouvoir continuer de se fournir pendant le confinement : entre la police qui squattait à tous les carrefours et distribuait des amendes comme des prospectus publicitaires d’un côté, et les fours (lieu de deal, ndlr) parisiens qui fermaient les uns après les autres… Aujourd’hui, ceux restés ouverts sont des plus glauques. Si certains appliquent la distanciation sociale avec les « bolos » (clients, ndlr), niveau look, ça change pas vraiment ; si ce n’est des masques qui remplacent rarement les écharpes remontées jusqu’aux yeux. Mais les gants et capuches restent les accessoires les plus tendances.
Vadim, gros fumeur parisien, raconte : « Ces fours sont de véritables nids à microbes : file d ’attente interminable devant un hall victime d’une grève illimitée des agents de nettoyage, sur le passage d’habitants de l’immeuble, résignés et silencieux. L’ambiance ! ». À éviter. Pour les stoners des villes, les services de livraison à domicile accusent le coup également : aujourd’hui encore, les coursiers n’aiment pas trop avoir à s’éloigner de leurs centrales respectives. En réduisant le périmètre d’activité, ils pensent réduire les risques. « J’ai voulu me faire livrer la semaine dernière : la commande minimum est passée de 50 à 100 € et c’est moins bien servi, de 7 € à 10 € le gramme. Mais le livreur est arrivé masqué et ganté, propre ! » confie Vadim. Ces hausses de prix se confirment : deux ou trois grammes de résine pour 50 € avec le service de livraison, pochon d’un gramme pour 10 € en moyenne dans les fours… Le confinement coûte cher aux citadins et aux banlieusards. La qualité ? De la résine médiocre, sans saveur, « qui fait plus mal au crâne que planer » regrette-t-il. « Pour l ’herbe, c’est un peu mieux, mais on ne sait jamais à quoi s’attendre, ça passe d’un produit odorant et fruité à des trucs chlorophyllés au goût de pelouse. » Compliqué !


« CRASH BOURSIER »

L’herbe serait-elle plus verte ailleurs ? Dans les environs de Clermont-Ferrand comme ailleurs, « les plus malins achètent moins souvent, mais en plus grandes quantités qu’avant », affirme Léa, la vingtaine, fumeuse régulière depuis cinq ans. Cet été, le tarif du 100 grammes dans le Massif central est légèrement redescendu : 500 € la plaquette en moyenne (alors qu’il était à 600 € pendant le confinement et 450 € avant).
Les fumeurs de pelouse sont plus chanceux au soleil : le gramme d’herbe coûte deux fois moins cher dans le triangle d’or français – Toulouse, Montpellier, Perpignan – que dans la région parisienne. Pour le shit, c’est une autre histoire. Ayant pu interroger Franck, un « petit vendeur indépendant » toulousain, il m’explique que « la plaquette de cent grammes coûtait trois à cinq fois plus cher ici pendant le confinement, passant de 300 € à 800, voire 1200 €. Bon, cet été, il est redescendu entre 500 et 600 €… Mais si on les laisse faire, le shit va finir par coûter aussi cher que la coke ! ».
Avec un accent méditerranéen à couper au couteau, et vingt années d’expérience dans le domaine, Franck évoque un « crash boursier, du jamais vu », à propos de cette augmentation soudaine. Avec ce rapport qualité-prix désavantageux, ils sont nombreux à chercher de nouvelles façons de s’approvisionner. Certains se lancent dans le « bizz » – par opportunisme, pour palier l’absence de revenus depuis le début du Covid, (le cas pour énormément de travailleurs non-déclarés) et pour éviter les arnaques. « C’est pas pour des barrettes (moins de cinq grammes, ndlr), mais plutôt pour des plaquettes (100 grammes, ndlr) ! détaille Léa. Celles-ci prennent des formes différentes, mais le résultat est toujours le même : la victime, souvent jeune et crédule, partie s’acheter de quoi fumer, se retrouve sans son cash et sans ses grammes… »

« APRÈS L’OUVERTURE DES FRONTIÈRES, LES MIEUX ORGANISÉS RAFLERONT LA MISE… » – FRANCK, VENDEUR INDÉPENDANT À TOULOUSE


Mais si le trafic tourne au ralenti et les pénuries sont fréquentes pendant l’été, c’est pour une raison toute simple : les dealers aussi prennent des congés. « Pendant la saison, les grossistes écoulent les vieux stocks et les invendus en attendant la rentrée », précise notre « vendeur indépendant » Franck, « mais cette année, il n’y a pas de réserves à cause du confinement. Il faudra du temps pour tout remettre en place après l’ouverture des frontières, les mieux organisés rafleront la mise… » Nous voilà prévenus.


MAIN VERTE

Enfin déconfiné, direction la Provence, où j’ai pu rendre visite à Yves, la trentaine. Dans sa maison de campagne, cet artisan a pris les devants. Dans sa cave, il a aménagé un espace de culture d’intérieur pour arriver à être indépendant, contrôler la qualité et le coût de son addiction à l’herbe. « J’ai investi 1800 € et si j’assure, je devrais arriver à produire une weed bio et de qualité » assure-t-il, grand sourire aux lèvres.
Sa grow-box (serre de culture intérieure, ndlr) mesure 2,50 mètres de long sur 1,20 de large et 2 de haut, elle abrite 20 plants âgés de deux mois, chacun mesurant environ un mètre. Il s’agit de la variété « Super Skunk féminisée » de la banque de graines hollandaise Sensi Seeds. Pour les faire pousser, pas moins de deux lampes HTC d’une puissance de 600 watts, deux ventilateurs et deux extracteurs. Sans oublier les engrais, tous certifiés bio : un racinaire au début, celui de croissance puis de floraison et enfin un « boost ».
Dans sa box, les plants sont alignés sur trois rangées avec un système de palissage, comme pour la vigne. « Ils sont trop montés, j’ai fait ça pour qu’ils ne s’approchent pas trop des lampes et ne finissent pas par attraper un coup de chaud ! » Pour son premier jardin, il a simplement suivi des tutos sur YouTube ; depuis, Yves a la main verte. Après deux mois de bon soin, les plants fleurissent, « mais il est encore trop tôt pour estimer la quantité finale » de la récolte prévue dans un mois.
Pour Yves, le déclic a été un contrôle de police alors qu’il venait de se fournir pour le mois. Par chance, le contrôle s’est limité aux papiers, pas de fouille : « J’avais mon attestation et j’avais fait quelques courses avant pour être tranquille, ça m’a sauvé ! » Particulièrement enthousiaste, il m’invite à voir les soins quotidiens qu’il prodigue à ses « bébés ». Il taille quelques feuilles, gratte un peu la terre en surface pour l’arroser, attache les pointes des plants au fil pour les maintenir à distance des lampes et, enfin, il arrose en ajoutant les engrais liquide à l’eau : ce rituel lui prend une heure. « Ça me détend, c’est un moment de zen après la journée de travail. »
Selon Yves, avoir son propre jardin lui permet de ne plus fréquenter des dealers et les points de vente, tous deux surveillés par la police. S’auto-approvisionner touche aussi le financement de bandes criminelles, un « aspect moral », d’après lui. Depuis quelques mois, Yves ne jure d’ailleurs que par le bio et le circuit-court : « C’était l’occasion de lier la parole à l’acte. La qualité est tellement douteuse maintenant, c’est de l’herbe de supermarché, leur bordel ! ».
En effet, ce narco-cultivateur redoute deux choses. La première, c’est la facture d’électricité avec son système qui tourne tous les jours entre dix et dix-huit heures, qu’il estime à 150 € par mois. La seconde, et pas des moindre, c’est les « visiteurs indésirables, que ce soit le police ou des gens mal intentionnés, le risque est gros entre la prison ou se faire braquer par des gars armés et cagoulés, c’est arrivé à un pote et ça l’a traumatisé ». Il m’explique que personne n’est au courant de sa nouvelle lubie, discrétion étant le maître-mot.

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INSIDE VS OUTSIDE_
Made in la nature ou votre salon : notre narco- cultivateur vous dirait qu’on est toujours mieux servi par soi-même…


Après cette visite, je me suis rendu dans un magasin spécialisé dans la culture d’intérieur. Son gérant le confirme : son activité
a considérablement augmenté. Un secteur qui n’a pas connu la crise, au contraire, avec de nouveaux problèmes, comme des pénuries dues au difficultés d’approvisionnement… « Ça correspond à l’époque, avance-t-il, vous avez de plus en plus de jeunes cherchant des alternatives plus responsables et engagées comme l’alimentation en circuit-court ou bio… C’est l ’avenir : aussi bien pour les bobos férus de potagers que pour les futurs pros du cannabis ».
Une étude de marché Data Bridge affirme qu’après les succès californiens (une recette annuelle à 2,75 milliards de dollars dans les entreprises de marijuana légale et récréative) et israéliens (ses nombreuses start-ups cannabiques attendent beaucoup d’un projet de loi permettant sa vente pour un usage récréatif et médical), son marché pourrait atteindre les 82,19 milliards de dollars à l’échelle mondiale d’ici 2027… À méditer.
Ces amis pousseurs d’herbe du dimanche, ayant décidé de dire non aux prix à la hausse, à l’exploitation des petites-mains et oui à la qualité, seraient-ils dans le vrai ? Au point d’annoncer une révolution du cannabis éthique ? Yes weed can ?
Après plusieurs mois de réflexion forcée, ils sont de plus en plus nombreux à avoir soit franchi le cap, soit y rêver très fort… Vadim, l’ami parisien féru de services de livraison, sait qu’il ne pourra pas installer une grow-box dans son studio : pas la place, sans parler du bruit et de l’odeur. « On n’a pas tous les moyens de faire son jardin secret. Par chance je viens de rencontrer un voisin-cultivateur qui me propose une bonne herbe à 10 € le gramme, au lieu de 15 €, la moyenne à Paris. Le circuit-court me va parfaitement ! » La vraie révolution green serait-elle enfin en marche ?

 

Par Julio Remila