YANISS ODUA, RHYTHM MAN : « JE METS DU RAP DANS MON REGGAE »

Yaniss Odua

L’artiste martiniquais revient, cinq ans après son dernier album, avec un nouveau projet aux couleurs rouge, jaune, vert. Entretien pop et afrobeat.

Tu sors un nouvel album, Stay high, et tu le qualifies de « future roots ». C’est quoi ?
Yaniss Odua : On garde le côté deep et authentique du reggae, tout en y ajoutant des couleurs toujours plus festives avec des instruments actuels. 

Tu penses inventer le reggae du futur ?
Pas forcément, il s’agit plutôt d’un reggae rafraîchi, plus actuel. Un peu de pop, de rap, de musique latine, d’afrobeat. On actualise les choses ! Tout en y injectant de nouvelles influences musicales comme la drill ou la trap… 

Le rap guide ton travail ?   
J’ai découvert le rap et j’aime beaucoup, comme le rock. Et quand on arrive à les marier avec le reggae, ça donne des choses très intéressantes. J’essaie de créer des univers différents sur chaque morceau et de faire voyager rien qu’avec du son.

Tu as fait un feat avec le rappeur Kalash, présent dans notre dernier mag’. Il t’a refilé notre numéro ?
Ah ah ! On se connaissait déjà auparavant. C’est né très simplement. Mon équipe m’a envoyé un redeem (une instru sans paroles, ndlr), et j’ai eu beau l’écouter dans tous les sens, je n’arrêtais pas d’entendre Kalash dessus. Je l’ai appelé, et on a fait ça en une soirée au studio à Paris.

Tu étais en tête d’affiche de la dernière Reggae Breizh party le 7 mai dernier. Que cherches-tu sur scène ?
Avant tout le côté exutoire. On a déjà tellement de stress autour de nous au quotidien, je veux sortir les gens de tout ça. C’est un moment d’échange à 100 %, pour qu’ils se sentent bien quand ils rentrent chez eux. Même si on parle de nos problèmes, c’est important de les aborder en proposant au moins une solution.

Et la solution pour un bon live ?
Un bon groupe avant tout ! Motivé, qui aime ça, et passionné. Sinon, c’est comme dans tout, s’il n’y a pas cet attachement, le côté business remonte à la surface et prend le dessus… Et ça devient autre chose.

Les codes du reggae de Bob Marley sont-ils toujours applicables de nos jours ? 
Complètement. C’est une musique intemporelle. Les thèmes qu’il aborde dans sa musique sont encore d’actualité de nos jours, alors qu’elle a cinquante ans. 

Dans « La Caraïbe », tu dis : « La Caraïbe ne nous appartient pas, c’est uniquement pour travailler qu’on nous a amenés là ». Tu parles souvent du rapport à l’identité, du racisme et de la colonisation.
Même après avoir aboli l’esclavage, on n’a jamais récupéré les Antilles ou la Guyane. C’est important à souligner, parce qu’il y en a beaucoup qui ont l’impression qu’on nous a donné les terres, mais non. Je me dis que, par rapport à ça, quel que soit ce que l’on veut dans la vie, il faut agir et ne pas attendre qu’on nous le donne.

Un live qui t’a marqué ?
Après une bonne trentaine d’années de souvenirs dans la musique, ça reste un concert en Bretagne où il pleuvait des cordes et ils ont dû annuler le show au tout premier morceau. Ça ne m’est jamais arrivé de toute ma vie. J’avais des vagues qui me sortaient de la bouche tellement il pleuvait, c’est ma choriste qui est venue me prendre par l’épaule pour me dire « Yannis, c’est fini ! ». Je me suis retourné et j’ai vu que la moitié des musiciens étaient déjà sortis de scène, et moi j’étais encore là à chanter devant un public en feu. Ils portaient des sacs-poubelle de la tête aux pieds en guise de K-way. Si ça n’avait pas été pour les risques d’électrocution, j’aurais continué de chanter !  

Malgré tout, les clichés du reggae restent toujours en suspens… Comment ta musique permet de contrebalancer ça ?
Parce qu’on en parle. Dans le son « Rouge jaune vert » (album Moment idéal sorti en 2013, ndlr), je dis : « On place en premier le rouge, qui montre que Rastafari bouge, longues dreadlocks ne veulent pas dire que ce sont des rastas, on fait trop souvent l’amalgame entre baba cool et rastaman » (il fredonne). J’ai même déjà entendu des personnes dire : « Elles sont belles tes rastas », en parlant des dreadlocks… C’est ma manière à moi d’en sortir. Ça reste un cliché quand on n’ose pas en parler.

Le clip du son « Qui vivra verra », c’est un message d’espoir à la jeunesse ? 
C’est un partage d’expérience. Nous sommes beaucoup à avoir rencontré au moins une fois dans notre vie quelqu’un qui nous a dit « de toute façon, tu n’iras jamais nulle part ». C’est pour cette raison que j’ai écrit ce morceau. Histoire de les remettre à leur place et les obliger à faire tourner sept fois leur langue dans leur bouche. Comme une sorte de pied de nez à ces gens-là ! 

Stay High, Caan Dun Music


Par
Théo Lilin
Photo Naïs Bessaïh