UN REMÈDE AU QUIET QUITTING ? LE LOUD STAYING

loud staying

Ici, chez Technikart, pas question de céder à cette mode tristoune de la démission en scred. Si vous voulez faire comme nous et transformer votre boulot en éternelle colonie de vacances, lisez les lignes qui suivent.

Légende photo : WHO’S THE BOSS ? Faites comme Dylan, de la série Severance : trouvez l’harmonie au travail en faisant valoir votre présence. Attention toutefois au craquage intempestif.

« This is heaven ». C’est Ameliexplore, une vingtenaire qui s’est fait connaître en mettant en scène son job chez L’Oréal, qui en parle ainsi sur Tiktok. Des hashtag du type #DreamJob ou #LifeAtLoreal accompagnent ses vidéos, tournées sur fond de « walking on a dream » de Empire of the Sun. Les commentaires sous ses vidéos correspondent plus à des vacances aux Canaries qu’à une journée de travail, et sa bio indique « Amélie in Paris ». Bien loin du quiet quitting, Amélie semble avoir une vie de rêve au bureau, à la façon de la série Netflix. Au fil de ses vidéos, on découvre un environnement enchanteresque, fait de gens beaux et souriants, d’œuvres d’art installées dans des locaux incroyables, de badges aux couleurs LGBT, d’ice-cream bar, de food-trucks en tout genre, et d’afterworks avec champagne et DJ-set. Ces « événements campus » sont organisés dès que possible, pour fêter halloween avec des ateliers maquillage, ou pour présenter une nouvelle gamme de produits, avec distribution de stickers rigolos, massages, et photocall. Les journées de taf d’Amélie sont plus divertissantes et rythmées qu’un séjour à Disneyland Paris. Ce n’est pas pour rien que L’Oréal est dans le top cinq des employeurs préférés de la Gen Z, qui ne tient pas en place plus de cinq minutes. Mais les worker Z sont loin d’être tous aussi bien dressés qu’Amélie, et c’est même leur attitude globalement effrontée qui incite paradoxalement les entreprises à brosser la jeunesse dans le sens du poil, améliorant ainsi leurs conditions de travail. Et si le meilleur remède à vos envies de lever le pied – sans pour autant viser la rupture conventionnelle – était de tout présenter de manière hyper-enthousiaste, et de vous transformer en une sorte d’Emily in Paris du burlingue ? Explications.

SMART JOBS

Les travailleurs de la Gen Z utilisent des emojis et autres « haha » en signature de mail, ghostent des employeurs après avoir passé tous les entretiens, critiquent ouvertement ces derniers, sont tout le temps en retard, et viennent sapés comme pour aller chez mémé. Malgré cette apparente légèreté, ils veulent aussi un job porteur de sens, positif pour la société, flexible, pas stressant, bien payé, et avec un super environnement de travail. Bref, la génération Z veut des « smart jobs », pas des « bullshit jobs ». Et elle le fait savoir.  Son outil de prédilection ? Tiktok, bien sûr ! Plus cyber-connectés que n’importe quelle autre génération, les workers Z ont bien senti qu’en agissant de concert, le poids de la masse pouvait jouer en leur faveur. Des cyber-trends mondiales naissent ainsi en quelque semaines grâce à des hashtags bien sentis, comme le désormais célèbre #quietquitting, qui se traduit effectivement IRL, et aux quatre coins de la planète.

Dans la même lignée, on a vu naître moulte nouveaux concepts à faire pâlir les grises mines du MEDEF. Le mouvement « Act your wage » incite à ajuster ses efforts à son salaire ; le « chaotic working » consiste carrément à saboter l’entreprise en cas de conflit ; le « career cushioning », où l’on développe de nouvelles compétences en vue de trouver un meilleur job ; le « job switching », où l’on change sans cesse de job pour mettre en concurrence les employeurs, etc. Et le pire – ou le mieux – c’est que ces stratégies néologistes à la sauce Tiktok font réagir les employeurs. D’après une étude récente du Bank of America Institute, « en coupant les données par groupes d’âge, on voit que les jeunes générations obtiennent les plus fortes augmentations de salaire. La Gen Z (jusqu’à 25 ans) et la génération Y (26-41 ans) ont respectivement reçu des augmentations de salaire de 19,9 % et 11,3 %, sur cette période (mai 2021 – avril 2022, ndlr) ». Et pour les Gen Z qui auraient changé de job récemment – les switchers –, l’augmentation grimpe jusqu’à 29,7 %. Mais où ce bordel sémantique va-t-il nous mener ?

CARESSE SOCIALE

Pour répondre à la pression de ces jeunes utopistes accros à l’endorphine, si exigeants qu’ils feront bientôt passer des entretiens aux entreprises, on réplique en utilisant des néologismes pro-business. On entend ainsi parler de « social fitness » ou de « corporate maternalism ». Dans ce nouveau monde, on fait du yoga en entreprise, on parle de D.E.I. (Diversité, Équité, Inclusion), de cercles d’entraide, de travail hybride, ou encore de « business for good ». L’idée est de prendre soin de votre bien-être afin que vous puissiez vous concentrer sur votre travail. Mais la caresse sociale doit être convaincante pour satisfaire ces guerriers Zen hyper-adaptables – entrés dans le monde du travail en pleine pandémie. Tout un art du storytelling d’entreprise se développe afin de satisfaire ces jeunes avides de sens. Il suffit donc de trouver le bon déclencheur pour transformer ces Bartleby modernes en wannabe Elon Musk, qui feront ensuite le service après-vente de l’entreprise sur les réseaux. Certains patrons deviennent des sortes de gourous du « bien », se projetant dans un récit quasi biblique. À l’image du nouveau boss de Twitter, pour qui les employés les plus convaincus sont prêts à dormir au burlingue – comme ils ont vu leur patron faire dans un docu Netflix le présentant comme un techno-Messie.

« MEANING IS THE NEW MONEY »

Car aujourd’hui, « meaning is the new money », comme l’explique la sociologue américaine Carolyn Chen dans son livre Work Pray Code. Elle utilise même le terme de « techtopie »,  pour qualifier ces entreprises utopiques de la tech, allant jusqu’à faire appel à des ressorts spirituels adaptés à la sauce capitaliste, afin d’augmenter la productivité de leurs salariés. « Les entreprises de la tech fonctionnent de plus en plus comme les plus extrêmes des organisations religieuses. Elles canalisent l’énergie de leurs employés et les coupent de l’extérieur. Elles s’accaparent tellement de leur temps, énergie, et passions, qu’ils n’ont plus le temps pour rien d’autre. Et ils répondent à tous les besoins de leurs employés. » Des entreprises comme Nike ou McKinsey proposent désormais des séances de méditation en pleine conscience à leurs employés, il y a des « chief spiritual officer » chez Google, les bouquins sur les rituels d’entreprise poussent comme des champignons, et des journaux économiques comme Les Échos titrent : « Pourquoi les entreprises devraient offrir des cours de méditation à tous leurs salariés ? » Alors qu’environ 75 % de la population active sera composée de Gen Z en 2030, finirons-nous tous par travailler pour des espèces d’entreprises-providence qui rythment et englobent nos vies ? Affaire à suivre.


Par 
Jean-Baptiste Chiara