PROBLÈMES DE (TRÈS) RICHES : MILLIARDAIRES ET MAL SAPÉS

milliardaires mal sapés

Alors que la quatrième et dernière saison de Succession continue d’éclairer d’un jour nouveau l’univers de la sape pour méga-riches – à coups de « quiet luxury » et de « old money aesthetic » – on est en droit de se poser une question existentielle : pourquoi se fringuent-ils si mal ?

« They are the anti-Kardashian ». Voilà comment Michelle Matland, la costumière-star de la série Succession, évoque le style de ses personnages, qui ne cessent de faire couler l’encre des magazines de mode par leurs looks mi-Paltrow, mi-Trump. Et pour cause, sous l’influence de Michelle, la série place la fringue comme élément narratif symbolique majeur du récit, mettant en scène l’évolution physionomique de ses personnages. Et mérite un Grammy pour la perspicacité de ses choix.

Chez les Roy, cette famille fictive inspirée de Rupert Murdoch et de sa progéniture, où l’on suit les ambitions successorales de chacun, on est bien loin des trends maximalistes des starlettes d’Insta. Ici, les personnages se placent plutôt dans le « quiet luxury », ou le « old money aesthetic ». Pas de logo, pas de couleurs flashy, pas d’exubérance… Le mot d’ordre : la discrétion. Enfin, presque. Car, rappelons-le, « l’argent parle, la richesse chuchote »…

SAD GREY BILLIONAIRES

Dans ce petit monde de méga-riches qui portent des tee-shirt gris à 400 balles (coucou, Mark Zuckerberg et son splendide Brunello Cucinelli), il existe toutefois des codes pour leur permettre de se reconnaître entre eux. Un hermétisme de la sape minimaliste, dans le style du talon rouge Louboutin, mais en version beaucoup plus discrète.

On peut citer par exemple le tressage dit « intrecciato » des sacs Bottega Veneta, la semelle blanche des pompes quiet-jet-setter de chez Loro Piana, ou encore les quatre points blancs de Margiela (le hipster frustré Kendall Roy, le fiston troublé de Succession – ci-dessous avec son frère et sa sœur – adore). Si l’idée est stimulante, le constat reste toutefois terrible : ces gens ne savent pas s’habiller. Car si les fringues qu’ils portent sont chacune proche de la perfection vestimentaire, ces milliardaires ont beaucoup de mal à les associer entre elles ou à y ajouter la pièce inattendue apporteuse d’une touche de fantaisie à un mono-look, et transforment ainsi, avec une maladresse qui les rend touchant, le beau en ringard (Jo Ellison, l’influente rédac’ chef du Financial Times HTSI, ne s’est toujours pas remise de la faute de goût commise par Shiv dans la saison 3 de Succession : porter une robe florale Ted Baker à un mariage !). De plus, alors que la mode semble en ce moment rythmée par les « hot colors », avec le bleu azur et le hot pink de Barbie en tête pour cet été, nos amis milliardaires ont là aussi leurs préférences… quelque peu moroses. Le gris, le kaki, le bleu marine ou encore le marron, que des couleurs très neutres, voire soporifiques, pour ne surtout pas se faire remarquer. Des « cold colors », pour des « cold people » ?

En matière de symbolique narrative, il est un parallèle à faire avec ce que Tiktok appelle les « sad beige baby ». Ces mamans chics d’Instagram qui s’habillent elles et leurs enfants uniquement dans des tons crème, et que Tiktok adore railler. Ce beige Instagram est devenu synonyme de boring, et a largement dépassé le cadre des mamans café-crème. Le « beige flag » est d’ailleurs devenu le nouveau « red flag ». Mais certains observateurs ont émis l’idée que ces couleurs neutres pouvaient aussi être mises en avant par les algorithmes, ou appréciées par les marques, car les produits promotionnés ressortent d’autant plus dans un décor neutre. Mais alors, les « sad grey billionaires » opteraient-ils pour ces couleurs fades afin que ce soit avant tout leur personnalité qui ressorte, comme le produit rouge sur fond beige ? Ou mieux encore, s’attirer (un peu de) notre sympathie ?

Succession, saison 4 : sur Prime Video chaque lundi.


Par
Jean-Baptiste Chiara