NICKY DOLL, LA PIONNIÈRE : « ON A MIS UNE CLAQUE À TOUT LE MONDE »

Nicky Doll technikart

Queen du jury de Drag Race France, la Marseillaise Nicky Doll est l’une des têtes d’affiche du mouvement en France. Interview en full avatar.

Tu es le visage le plus connu du drag français. Comment expliques-tu la démocratisation et l’explosion du drag depuis ces dix dernières années ?
Nicky Doll : En France, les promoteurs voyaient des émissions et des projets américains qui remplissaient des salles. Ils ont donc commencé à se dire que ce serait bien de mettre en avant nos artistes. Alors que pendant des années, que ce soit moi ou les anciennes, on se battait pour se faire respecter, ou même juste pour se faire payer ! Donc ça vient de là. En France, on a fini par se rendre compte que les drag queens étaient des artistes à part entière et qu’il y avait un vrai business derrière.

Tes débuts dans le drag ?
J’ai commencé officieusement en 2010. J’explorais le genre et je commençais à me travestir, sans pour autant me dire que j’allais en faire une carrière, et encore moins que ça allait devenir ma vie !

Quelle était ta motivation à tes débuts ?
Je l’ai fait parce que j’avais besoin d’exprimer une féminité, de me libérer de tous ces démons. Depuis tout petit, on me disait que j’étais une fille, que j’étais trop efféminée, que j’étais une pédale… Toutes ces choses-là ont tendance à nous faire oublier ce côté féminin, car on cherche à entrer dans la norme. Je me suis rendue compte que peu importe ce que je faisais, je n’arriverai jamais à être ce que les autres voulaient. Alors, en 2010, je me suis dit que s’ils voulaient m’insulter, eh bien, j’allais leur donner une bonne raison de le faire.

Et par la suite ?
Je me suis vite rendue compte que c’était quelque chose qui me permettait de m’exprimer artistiquement, mais que c’était aussi très intéressant sociologiquement, car l’esthétique permettait de voir que les gens changent complètement d’attitude avec toi. C’était tellement stupide et superficiel que j’ai décidé d’explorer ça et de voir si je pouvais m’exprimer en tant qu’artiste via le drag.

Tu es rapidement devenue connue pour tes shows.
J’ai toujours aimé la scène et chanter, j’ai donc exploré Nicki pour capter plus l’attention que Karl (Sanchez, son nom lorsqu’elle sort de son « personnage drag », ndlr) arriverait à le faire. Tout comme Cher, Madonna ou Lady Gaga ont créé leurs avatars, leurs personnages de scène. C’est exactement la même chose. C’est leur personnage drag.

La France a enfin réussi à accepter le drag et les cultures queers, mais ce n’était pas gagné.
Oui, c’est pour cela que j’ai quitté la France pour les États-Unis. J’avais besoin de m’exprimer et en France on était encore à des années lumières de pouvoir autoriser des artistes aussi colorées et extravagantes à briller sur la scène publique. Quand je suis revenue de la version américaine de Drag Race, j’ai été invité sur Quotidien et il y a eu quelques articles qui parlaient du phénomène Drag Race uniquement parce qu’il y avait une Française dedans, avant ça ils n’en parlaient pas, ou très peu. Quand j’ai commencé à regarder Drag Race en France, on devait télécharger les épisodes sur ITunes, car personne n’en parlait ! Quand on a commencé à parler de la première Française dans l’émission américaine, je trouvais ça cool, mais je ne pensais pas que ça durerait plus que ça. Je me suis battue pour que la conversation du drag en France continue. On a beau célébrer une émission aux États-Unis, on a plein d’artistes ici qui ne sont pas mis en valeur et payés à leur juste valeurs.

Comment est née Drag Race France ?
Quand on a eu l’opportunité de lancer l’émission, j’ai eu énormément de mal à croire que ce serait bien reçu. Je ne m’attendais pas du tout à cette retombée. On s’est vite rendu compte qu’il y avait une nouvelle génération de gens beaucoup plus fluides, beaucoup plus éduqués et ouverts, et qui n’attendait que d’avoir ce genre d’émission à la télévision française.

Comment l’avez-vous déclinée en version française ?
C’est un humain absolument fou qui s’appelle Raphaël Cioffi, qui m’a contactée peu de temps après mon retour de la saison américaine. Il avait pour projet de ramener Drag Race en France. Idée qui n’a pas été reçue avec beaucoup d’intérêt, car justement les médias français à ce moment-là ne se sentaient pas concernés. Et c’est donc quand il m’a vue me battre pour le drag français aux travers de plusieurs interviews qu’il m’a dit qu’il aimerait que je fasse partie du projet. On a donc commencé à s’associer. On a rêvassé pendant un an et demi avant que ça se fasse ! Jusqu’au jour où il m’a annoncé que quelqu’un allait enfin nous donner notre chance et qu’on allait commencer rapidement. Je ne savais pas trop comment me préparer, j’avais l’expérience de candidate, pas celle d’hôte ! Mais je me suis dit que peu importe le stress, peu importe le saboteur que tu as dans ton esprit qui te dit que tu ne seras jamais capable de le faire, en fin de compte, ça reste une communauté qui m’est chère et un combat que je veux mener. Je savais ce que c’est que d’être dans cette émission et j’allais pouvoir aider. Mais j’y suis allée un peu à l’aveuglette.

Et comment l’émission a-t-elle été accueillie ?
En France, on a tendance à regarder le verre à moitié vide, à critiquer et faire des commentaires négatifs. Au lieu de dire « c’est vraiment super ce que vous avez fait ! », le Français va dire « j’étais sur que vous alliez vous casser la gueule, mais en fait c’est pas mal ! ». C’est malheureusement dans notre culture, et je suis moi-même comme ça. C’est ce qui fait notre réputation assez piquante ! Et de fait, quand la première saison a été annoncée, les fans étaient certains qu’on n’allaient pas être à la hauteur des Américains, car ils partaient du principe que nos artistes n’étaient pas assez doués et qu’en France on ne sait pas faire du show-business de ce niveau-là. D’autres, qui ne connaissaient pas, avaient des propos plus homophobes et fermés. Et en fait on a mis une claque à tout le monde ! On a réussi à faire comprendre qu’au lieu de supporter des artistes américains qu’on ne connaît ni d’Adam ni d’Ève, on pouvait se concentrer sur des artistes qui sont à quinze minutes de chez vous, et qui ont toujours été là.

Quelle sera la prochaine étape selon toi dans l’acceptation des cultures queers en France ?
C’est tout simplement qu’on ait de plus en plus d’alliés. Que le drag permette en tant qu’art de connecter les communautés et non pas d’être un art communautaire. En faisant passer des messages politiques sur scène, on arrive à faire bouger les choses en France. Notamment pour la transidentité. Que les personnes qui veulent changer de genre puissent être respectées, acceptées, célébrées mais aussi accompagnées dans leurs démarches. On a vraiment l’impression, parfois, de faire des pas en arrière. Et c’est l’histoire de notre civilisation, on ne peut jamais rien prendre pour acquis. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais la mission c’est déjà de ne pas perdre ce qu’on a gagné.

Dans l’aventure Drag Race, quel a été ton plus grand plaisir ?
Pour commencer, d’être dans une émission sans être éliminée ! C’était vraiment bien d’être à la tête d’un projet qui non seulement me rappelait ce que j’ai pu faire dans cette émission que je chéris tant, et aussi de pouvoir soutenir des artistes locaux qui le méritent et qui n’ont pas eu la chance de déménager aux États Unis comme j’ai pu le faire. De pouvoir vraiment briller dans leur pays.

Ce que tu en retiens ?
Quand on a fait la Saison 1, je ne savais pas du tout ce que ça allait donner. J’avais l’impression qu’on créait de l’or dans le noir, mais je ne pensais pas du tout que ça aurait l’impact que ça a eu. Ça m’a beaucoup touchée parce que j’étais très heureuse pour les queens, pour mon pays aussi car on allait de l’avant. Et pour moi personnellement car, même si je n’ai pas remporté la couronne de la version américaine, j’espère rendre mon pays et ma communauté fière. J’espère être l’activiste dont je rêvais. C’était un vrai accomplissement, j’ai très bien dormi après les premiers épisodes !

En quoi le drag français se démarque-t-il ?
Chaque pays a ses références, sa culture. En France, on a le cabaret. On a une culture très underground, très mode aussi. On a des artistes qui vont faire plus de micro, qui vont chanter live. C’est moins la culture du lip-sync et du grand écart comme aux États-Unis. Donc on a une approche de la performance et de la scène plus burlesque, cabaret et mode. Dans Drag Race France, on a réussi à faire une version qui est encore plus nationale que n’importe quelle autre franchise. On a notre jargon, notre dynamique. C’est ce qui fait qu’à l’international on est vu comme une franchise très intéressante.

nicky doll
TRIO ICONIQUE_
Le jury de choc de Drag Race France Saison 2 (de gauche à droite) : Daphné Bürki, Nicky Doll et Kiddy Smile.


Après Drag Race en tant que candidate, puis hôte, après ta nouvelle émission Les voyages de Nicky sur France Télévisions, après la musique, le mannequinat… quelle est la suite pour Nicky Doll ?
J’ai toujours eu une tête qui déborde d’idées. J’adore toucher à tout, par contre je fais toujours attention de bien faire les choses et de ne pas être un restaurant pour touristes avec mille plats différents à la carte. Il faut savoir quelles sont ses spécialités.

Tu as écrit un livre, Reines (éditions Hors Collection).
Oui, une sorte de recueil du drag français qui permet d’avoir une compréhension de l’histoire du drag, que ce soit à l’international ou en France, qui fait aussi un retour sur mon parcours et également des portraits d’artistes de la scène française qui montrent la polyvalence du drag. Quand on commence à diffuser un art, il faut faire attention que ce ne soit pas seulement les artistes diffusés qui en profitent, donc je mets en avant des candidats de Drag Race mais aussi beaucoup d’autres profils qui n’ont pas fait l’émission et qui méritent tout autant de briller. C’était très important pour moi. Avant de passer à la télévision on étaient tous des drag queens locales. Il y a des artistes queers, des drags queers et aussi un drag king !

On te retrouve sur la scène du Drag Race, Werq the World Tour qui passera le 10 novembre à l’Accor Arena ?
En plus du légendaire « Cabaret Club » qui est la tournée officielle de Drag Race France et qui se passe en ce moment, j’ai aussi été invitée par mes consœurs américaines pour faire partie du show Werq The World. J’y serai avec, peut-être, des invités de Drag Race France ! Et je performerai comme invitée d’honneur en plein milieu du show américain, donc c’est un honneur de pouvoir le faire dans mon pays, mais avec mes sœurs américaines. Et je n’ai jamais encore fait Bercy ! 

Entretien Jean-Baptiste Dotari
Photos Jean Ranobrac