MUSTANG : LES ROCKEURS DU MOIS

Mustang rock

Le trio le plus sous-estimé de France revient avec un album bien carrossé qui pourrait enfin le propulser à sa juste place : en pole position du rock hexagonal. 

Ils auraient dû être plus grands que les BB Brunes : pourquoi ce groupe, alors signé chez Sony, n’a-t-il pas tout cassé en 2009, à la sortie de l’excellent album A71 ? Très au-dessus de ce qui se fabrique au pays de Julien Doré, la musique de Mustang pouvait réconcilier les fans d’Elvis et d’Aphex Twin, de Roy Orbison et de Suicide. Les paroles étaient fines, Jean Felzine chantait divinement des titres qui auraient dû devenir des classiques à la Jacques Dutronc – « Je m’emmerde », « Le Pantalon », « Maman chérie », « Anne-Sophie », « C’est fini »… Le look suivait, avec ce leader charismatique à banane gominée et costumes bien coupés. Les trois amis étaient soutenus par une major, qui aurait pu les pousser sur le plateau de Ruquier, les jeter dans les bras de Nagui. Bref, toutes les planètes semblaient s’aligner. Et puis rien du tout : ils sont passés à côté du succès. Est-ce parce qu’ils arrivaient un poil trop tard pour surfer sur la vague du retour du rock ? Parce que, derrière leur look rétro, ils étaient trop avant-gardistes ? Parce que pondre du sous-Gainsbourg ringard aurait été plus porteur dans les médias malentendants ? À leur place, la variété chic et les rappeurs Auto-Tune ont élargi encore un peu leur épouvantable empire. Et douze années ont passé. 


Une merveille de pop macabre

Notre idée, ici, n’est surtout pas de s’acharner contre Benjamin Biolay. Mais quand même. Comment se fait-il qu’on en fasse le mètre étalon de la chanson française ? Qu’il passe pour un poète dans la presse féminine, où il prend si joliment la pose en bobo ténébreux ? Ce n’est pas parce qu’on tartine lyrique des pages et des pages de rimes indigestes qu’on est un bon parolier. Il faudrait l’envoyer en stage chez Jean Felzine, qui entre autres talents a l’art de la concision. Plus qu’un romancier bavard du XIXe siècle, il aurait pu être un moraliste laconique du XVIIe. La chanson « Memento mori », qui donne son titre à ce nouveau disque, est une pure merveille de pop macabre : on dirait Blaise Pascal se lançant dans un twist funèbre entre Memphis et Port-Royal. Jean Felzine, rockeur janséniste ? Il ne lui déplaît pas de rire, mais rappelons que Pascal était très drôle, et qu’il aurait sans doute rigolé en écoutant « Fils de machin », « Pole emploi/Gueule de bois » ou « Dissident », trois textes où Felzine fait parler sa veine plus satirique – sans être lourd, ce qui relève du miracle. Plus mélancoliques, les morceaux « Pas de Paris » et « Maison sur la colline » sont aussi réussis. Et cette voix ! Sur « Le Vin », Felzine prend carrément des intonations à la Morrissey. Tout cela monte à tête dès la première écoute, enivrant mieux que les piquettes de la pop France Inter. La musique est du même tonneau, bien arrangée, ciselée, jamais démonstrative ou surchargée façon Biolay (bis). Ça sort chez Prestige Mondial, une toute nouvelle filiale de Sony. L’heure de gloire a-t-elle enfin sonné pour Mustang ? À défaut de renommée internationale, la reconnaissance nationale ne serait que justice. 

Memento mori
Mustang  
(Close Harmonie/Prestige Mondial)


Par
Louis-Henri De La Rochefoucauld
Photo : ©Marie Planeille