MISE EN BUSH

bushmills

Qui eut cru que l’invitation au voyage se trouvait au fond d’un verre ? Une gorgée de Bushmills et les chemins de l’Irlande du nord s’offrent à vous, loin des confinements et des couvre-feux. Dépaysement assuré !

Paris, 5 rue Daunou (2ème arrondissement) il y a quelques semaines (je vous parle d’un temps…) : les néons de la devanture typiquement new-yorkaise du Harry’s Bar attirent les oiseaux jusque tard dans la nuit – à minuit 50 il est encore temps. Dans la salle obombrée, autour du comptoir vernis, on s’accoude et on sirote un Black Bush irlandais servit par un serveur vieille école en complet blanc. Un simple coup d’oeil alentour et l’on se croirait en plein cœur des Roaring twenties. Les boiseries des murs murmurent les secrets que s’échangeaient ici des Hemingway, des Sartre et des Blondin. Le patron nous raconte ce soir l’histoire du liquide doré qui gît au fond de nos verres : à pays légendaire, boisson légendaire. « Le Bushmills est un whiskey qui inspire et qui est très demandé », raconte avec passion Franz-Arthur MacElhone. « Mon patronyme vient d’un village à cinq minutes de la distillerie ». Il s’amuse de cette coïncidence, lui dont les origines sont écossaises. « Je baigne dans le whiskey depuis tout jeune. Mon grand-père me disait : le Bushmills est le plus écossais des whiskeys irlandais. » Ce fameux spiritueux serait-il le nouveau fédérateur de deux grandes patries du whiskey, longtemps rivales ?


Irish spirit

Les Irlandais sont plus avant-gardistes qu’ils ne le laissent paraître : dès le XIIIe siècle, le propriétaire du petit village de Bushmills, Sir Robert Savage, donnait à boire à ses troupes cette aquae vitae pour leur donner du courage – chacun ses héros et sa potion magique. De fait, le terme de whiskey lui-même (c’est à l’orthographe qu’on reconnaît un véritable whiskey irlandais) vient du vieux gaélique uisce beatha qui signifie littéralement eau de vie. L’histoire continue avec le gouverneur du comté d’Antrim, réputé pour sa Chaussée des Géants, qui obtint en 1608 du roi James Ier d’Angleterre une licence l’autorisant à distiller sur la côte nord-est irlandaise. En 1784, « The Old Bushmills Distillery » voit officiellement le jour. Depuis plus de 400 ans maintenant, les ouvriers – et les alambics – de la distillerie la plus ancienne d’Irlande fabriquent un whiskey à base d’orge maltée.

Pourtant, le parcours de la distillerie Bushmills n’est pas un long fleuve tranquille. Si leur whiskey connaît son âge d’or de 1880 au XXe siècle (il est l’heureux gagnant de la médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris en 1889), un incendie les force à ralentir la production en 1885 et la distillerie est entièrement reconstruite dans un style écossais (des cheminées de fours à malt en forme de pagode). Mais le succès de leur whiskey, rapidement devenu boisson nationale et massivement importé aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, ils le doivent aussi et surtout à un procédé de distillation unique en son genre. Au pays des Leprechauns, rien ne se fait comme ailleurs.


La part des anges

« Le whiskey est un rayon de soleil liquide », disait fort poétiquement le dramaturge irlandais Georges Bernard Shaw. Un constat qui se vérifie lorsque l’on regarde de près sa couleur et que l’on pique du nez dans la bouteille. En attestent les reflets de miel et de cuivre. Pour les férus de termes techniques, c’est dans l’alambic que tout s’opère : cet outil bien connu des lunetteux de laboratoires servait à l’origine à distiller les parfums. Mettez-y de l’eau et de l’orge, vous obtiendrez du whiskey. Easy. Mais chez Bushmills, on aime faire de bonnes choses, et les faire bien. C’est grâce à une triple distillation que le whiskey Bushmills se démarque par sa rondeur (« smooth » en dialecte local) et sa finesse.

Il ne suffit pas d’être né en Irlande pour s’appeler Irish whiskey. C’est une étiquette qui se mérite : il faut laisser le spiritueux mûrir dans des fûts de chêne pendant au moins trois ans et un jour (on sent une tendance). Pour la belle histoire, c’est durant cette période que les barils « paient leur part aux anges », en laissant s’évaporer environ 2 % de leur volume. Belle athmosphère là-haut… La genèse du whiskey Bushmills a donc tout d’un conte de fée bien trempé : des châteaux en ruine, l’alliage des quatre éléments et un élixir exaltant. On sait que l’on pourra toujours compter sur le barman du Harry’s Bar, sorte de Prométhée des temps modernes, pour nous offrir un accueil chaleureux les soirs d’hiver. Garçon ?

https://bushmills.com/intl/


Par Violaine Epitalon
Photo Arnaud Juherian

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.