L’acteur et réalisateur aux commandes de la franchise post-rocky revient avec le troisième creed. Et nous dévoile un nouvel action-hero, viril et zen. Nous l’avons rencontré pour un échange au sujet de la masculinité de demain. Interview sur le ring.
Après des années de crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 et d’interviews tristos via Zoom, les stars américaines sont de retour à Paris. Aujourd’hui, Michael B. Jordan est en promo express pour 48 heures, le temps de rencontrer la presse, d’assister à une petite avant-première sold-out au Grand Rex et de faire un petit coucou à Quotidien, l’émission de Yann Barthès. La vedette de Creed est descendue au Crillon, qu’« il aime bien », et tout le staff de la Warner est sur les dents. Michael a 90 minutes de retard, car il a probablement regardé avec ses potes dans la nuit la performance de Rihanna lors du Super Bowl. En attendant, les journaleux se vengent sur les viennoiseries du Crillon dans une hospitality room chauffée à 22°.
Aux États-Unis, Michael B. Jordan, né en 1987, est une énorme star, considéré comme « l’homme le plus sexy monde ». Qu’il présente le Saturday Night Live, joue dans les Black Panther ou qu’il prenne la relève de Sylvester Stallone en Rocky black dans les trois Creed, il cartonne, engrange des millions de dollars et déchaîne les passions au sein de la communauté noire. Gaulé comme un dieu grec, beau comme une gravure de mode (il ne s’appelle pas Adonis pour rien dans Creed), Michael B. Jordan est simplement magnétique à l’écran, et ce depuis la première saison de The Wire (Sur écoute) où il incarnait Wallace, inoubliable dealer de 14 ans. « Il fut le centre émotionnel de notre première saison », assure David Simon, showrunner de la mythique série. Depuis, on l’a vu dans d’autres séries comme Les Soprano ou Friday Night Lights, puis dans des films comme l’excellent Chronicle (2012), Fruitvale Station (2013) de son ami Ryan Coogler, un clip de Jay-Z et Beyoncé, Creed (2015) où il reprenait le flambeau de Stallone après la saga des Rocky, et bien sûr le triomphal Black Panther (2018) où il volait (presque) la vedette à Chadwick Boseman en incarnant le méchant Erik Killmonger. Et il revient dans Creed III (en salles), sa première réalisation, dans laquelle il incarne un champion de boxe au sommet de la chaine alimentaire, à la retraite, qui va être obliger de remettre les gants pour affronter un ami d’enfance, prodige du noble art qui vient de purger une lourde peine de prison. Michael B. Jordan est dans le business depuis longtemps. Il est pro jusqu’au bout des ongles, affuté comme un homme politique et a déjà tout entendu. Pas la peine de lui demander s’il est de la même famille que Michael Jordan (non). Son père s’appelle Michael A. Jordan et non, son fils ne s’appellera pas Michael C. Jordan. Mais il est bienveillant et semble encore s’emballer quand une question sort un peu de l’ordinaire. Quand il débarque enfin avec sa publicist et son garde du corps d’un beau gabarit, Michael est tout sourire. Il a la poignée franche, le sourire ravageur, il me gratifie d’un « I like your t-shirt » en voyant le visage de Malcolm X. Mais quand il estime que ses troupes font trop de bruit en ce début d’interview, il arrête mon iPhone et se lève pour imposer le silence total. Ça commence maintenant…
Vous êtes considéré comme « l’homme le plus sexy du monde », « l’un des plus grands acteurs du XXIème siècle » selon le New York Times. Ce n’est pas trop dur à porter ?
Michael B. Jordan : Avoir de grosses épaules, ça aide à porter tout ça… Non mec, je suis plutôt humble, je bosse, je monte une marche à la fois, vraiment. Je ne me retourne pas, je ne tiens pas vraiment compte de tout cela. C’est qui est le plus important, ce sont mes rôles et comment ils vont avoir un impact sur le public. Et surtout, et c’est primordial, comment mes films vont supporter l’épreuve du temps. Mais bon, c’est quand même sympa ces compliments…
Vous avez toujours voulu mettre en scène ? C’est facile de réaliser un film en short ?
C’est dur, car vous avez même parfois un protège-dents, les gants, et manipuler le combo avec des gants de boxe n’est pas toujours évident… Mais votre équipe est très importante, car vous dépendez des autres. Pour les scènes de boxe, honnêtement, c’est parfois plus facile, on est plus proche de l’action, je peux parler plus facilement aux acteurs. Si j’ai besoin de quelque chose de spécifique, je l’exécute moi-même devant la caméra, et j’obtiens le plan dont j’ai besoin. Mon désir de réalisation est venu au fil des années. Avoir travaillé avec tous ces metteurs en scène m’a donné envie de passer derrière la caméra. J’ai toujours eu envie de devenir caméraman ou directeur de la photographie, j’adore ces métiers, la lumière… En travaillant avec Ryan Coogler (le réalisateur de Fruitvale Station et du premier Creed, ndlr), j’ai vu quelqu’un qui me ressemblait, qui était jeune, et je me suis dit « Ok, je pourrais peut-être mettre en scène un jour ». Et ce désir s’est développé avec le temps. Mettre en scène et jouer, c’est vraiment une sensation extraordinaire. J’ai l’habitude d’être devant la caméra depuis des années, mais réaliser, c’est résoudre un nombre incalculable de problèmes. J’adore, c’est vraiment fun, et surtout, c’est un nouveau challenge pour moi.
« PARLER DE SES SENTIMENTS, DE SES ÉMOTIONS, DE SES FAIBLESSES, C’EST CE QUI FAIT DE VOUS UN HOMME. »
Était-ce important pour vous qu’Adonis Creed soit un individu viril, mais également équilibré et solide ? Seriez-vous d’accord pour dire qu’il représente une virilité dépourvue de masculinité toxique ?
Adonis est un héros plongé dans des situations dramatiques. Parfois, faire le bon choix n’est pas la chose la plus facile, mais je voulais surtout qu’il soit équilibré, bienveillant. Nous sommes tous façonnés par nos traumas de jeunesse, des expériences qui ont fait ce que nous sommes aujourd’hui. Et parfois, nous nous renfermons, nous n’évoquons pas ces traumas. Je joue ce personnage depuis neuf ans maintenant, j’ai un peu fusionné avec lui. J’ai traversé certaines épreuves de mon personnage, la culpabilité, le sentiment de ne pas mériter tout ce qui m’arrive, notamment. Qu’est-ce que fait de nous des hommes ? Parler de ses sentiments, de ses émotions, de ses faiblesses, c’est qui fait de vous un homme, loin des clichés de la virilité old school. Et ça, je voulais vraiment le voir dans mon personnage, sur l’écran, afin de toucher le plus large public. C’est comme cela que l’on fait avancer les choses, non ?
C’est la première fois que le méchant de la saga Rocky/Creed a une personnalité aussi complexe, qu’il est un vrai personnage, avec beaucoup de profondeur.
Je ne voulais surtout pas d’un gros méchant avec une moustache bizarre, je voulais un véritable antagoniste pour Adonis. Je voulais que le spectateur soit en empathie avec lui. Ce n’est pas parce que vous allez en prison que vous êtes obligatoirement mauvais. Damian doit se battre pour survivre quand il est enfin libéré. C’est un personnage complexe, mais la vie n’est jamais noire ou blanche, il y a beaucoup de zones grises. Et c’est ce gris que nous voulions explorer avec ce beau perso.
Dans ce rôle, Jonathan Majors est magnifique. C’est un « under dog » qui évoque souvent « Iron » Mike Tyson.
Jonathan est incroyable. Il a une force phénoménale, il est vraiment massif et on a eu beaucoup de chance de l’avoir pour le film.
Le personnage de Damian a passé une grande partie de sa vie en prison et il déclare à Adonis à un moment : « Tu es le seul noir qui habite ce quartier ». Que dit Creed des Afro-américains aux USA ? Peut-on l’envisager également comme un film politique ?
Non, pas comme un film politique. Quand vous êtes un homme noir aux États-Unis, vous avez une certaine perception du monde qui vous entoure et les autres ont également une certaine perception de vous. C’est dur d’être dans la peau d’un noir, mais en même temps, Adonis, qui est tout en haut de la hiérarchie sociale, ne renie pas ses origines, ni sa couleur. Je voulais explorer le monde d’Adonis, qui vit le rêve américain. Mais dans le film, on parle également de la jeunesse noire, des méthodes de la police, de sa brutalité, de la pauvreté, des préjugés… Tous les Afro-américains connaissent ces problèmes et ils sont dans le film. Ce môme qui a des problèmes avec la justice, on connaît tous cela, les stéréotypes qui nous collent à la peau, les préjugés, ça ne change pas. C’est notre histoire…
Vous avez joué dans deux séries mythiques : Les Soprano et The Wire (Sur écoute). On vous parle encore de votre personnage bouleversant, Wallace ?
Vous savez, dans la rue, on me crie encore très souvent : « Où est Wallace, où est Wallace ? ». C’est une réplique culte de la première saison. Les gens viennent me voir en me disant combien cette série a été importante pour eux. David Simon a beaucoup fait pour moi, lui et ses partenaires m’ont aidé à grandir alors que j’étais encore très jeune. J’ai eu beaucoup de chance de débuter ma carrière avec une telle série, une série qui traverse l’épreuve du temps, comme je vous disais tout à l’heure.
Comment aviez-vous été choisi ?
C’est la directrice de casting Alexa Fogel qui m’a repéré dès l’âge de treize ans. Je lui avais promis que je l’engagerais sur ma première réalisation. Et je l’ai fait pour Creed III ! À l’époque, j’avais fait un essai pour le rôle de Bodie, mais j’étais trop jeune (le rôle va échoir à son ami J.D. Williams, ndlr) et ils m’ont donné celui de Wallace. Mais bon, Wallace, c’est un grand rôle…
Vous êtes un vrai fan de comic books et vous avez tourné dans Chronicle, Fantastic Four, Black Panther. J’ai l’impression que vous seriez un Superman génial.
Oh, merci beaucoup.
Vous voudriez incarner Black Bolt (Flèche Noire), le souverain des Inhumains ?
(Son visage s’éclaire) Oh mec, c’est mon super-héros préféré, comment avez-vous deviné ?
J’ai un peu préparé cet entretien…
(Il se marre, me checke la main) J’ai tellement aimé lire ces comics. J’ai un peu bossé sur Static Shock pour DC, mais seulement comme producteur. C’est compliqué en ce moment avec les films de super-héros, le paysage des studios change constamment.
Vous êtes également un gros fan d’animation japonaise, et cela se ressent dans votre film, notamment dans le combat final de Creed III.
Merci. Les matchs de boxe sont à la fois une bénédiction et une malédiction. Il y a déjà eu huit autres films de la saga avant le mien. Je pense que parce que j’étais un peu coincé, cela m’a forcé à être plus créatif et à vraiment sortir des sentiers battus… J’ai voulu trouver une façon nouvelle de filmer la boxe. J’ai donc employé une caméra IMAX (format qui permet d’exposer des images d’une plus grande taille et d’une meilleure résolution que les pellicules conventionnelles, ndlr) pour immerger le spectateur dans l’image, pour apporter plus d’énergie. Bien sûr, les animes japonais eu une énorme influence sur ma façon de chorégraphier ces combats. La plupart du temps, les films live inspirés des animes ne sont pas très bons. J’aime beaucoup l’énergie des animes, et je voulais insuffler cette énergie dans Creed. Mais j’aime aussi leur philosophie sur l’amitié, les promesses, la différence, sur la façon de surmonter les obstacles…
Vous avez déclaré que Leonardo DiCaprio était votre acteur préféré. Vous pourriez lui donner la réplique ou tourner sous la direction de Martin Scorsese ?
Mec, j’adorerais. Ce serait juste phénoménal. Ils sont ultra-talentueux, ils sont dans le business depuis si longtemps, ils sont très sélectifs et font vraiment ce qu’ils veulent. J’adorerais bosser avec Leo, Martin Scorsese, mais aussi Bradley Cooper ou Meryl Streep. Ce serait… un honneur.
(La publicist qui chronométrait l’entretien intervient et lance un définitif : « Dernière question ». Michael susurre un timide « Je suis désolé ».)
Vous avez regardé le Super Bowl et Rihanna ?
C’était fantastique. J’ai adoré le show de Rihanna en lévitation et son incroyable interprète en langue des signes. Dans Creed III, ma fille, incarnée par la jeune Mila Davis-Kent, s’exprime avec la langue des signes. C’est important d’être plus inclusif, avec les spectacles ou les films. Merci mec, j’ai vraiment apprécié ce moment.
Creed III de et avec Michael B. Jordan
En salles
Entretien Marc Godin
Photos Ser Baffo