MATTHEW WEAVER, DESIGNER PUNK : « NOTRE RÊVE ? FAIRE AIMER LA VOITURE DE DEMAIN »

Nissan Hyper Punk

En quelques années, Nissan s’est imposé comme l’un des leaders mondiaux de la voiture électrique. À la tête du Design Europe de l’entreprise nippone depuis 2020, Matthew Weaver, tout juste revenu de son voyage au Japon et en Chine, nous présente le futur d’une industrie en pleine mutation électrique. Power on.

Au Salon automobile de Tokyo, en octobre, Nissan a fait sensation avec la présentation de cinq concept cars (Hyper Urban, Hyper Adventure, Hyper Tourer, Hyper Punk, Hyper Force). Vos principales innovations ?
Matthew Weaver : La première chose que nous souhaitions faire, c’était de mélanger mondes numérique et physique, avec des éclairages et des décors aux couleurs et formes de l’intérieur de nos voitures. D’une manière générale, nous cherchons à repousser les limites de la voiture. Si l’on prend l’Hyper Tourer, les sièges réagissent en fonction de votre humeur, soit pour vous détendre, soit pour mieux vous engager sur la route. Autre exemple, l’Hyper Force mélange le monde du jeu et l’avenir de ce que pourrait être une supercar haute performance, avec une interface similaire à des plateformes de jeux vidéo. La voiture devient ainsi votre copilote pour vous amener à un meilleur niveau de performance.

Un favori parmi ces cinq modèles ?
L’Hyper Punk ! Nous travaillons à l’échelle mondiale, avec des équipes européennes et japonaises, mais pour ce modèle, nous avons plus particulièrement échangé avec le Japon. J’aime son côté trapu, sa forme polygonale, son style presque refroidi dans le marbre, mais qui brille comme un diamant. Et puis, l’univers du manga y est aussi très présent : la voiture analyse le monde qui l’entoure pour le transformer au sein d’une interface intérieure aux caractéristiques de cette culture. Ce modèle m’a beaucoup marqué.

En quoi l’IA modifie-t-elle votre rapport au design ?
On utilise différentes IA qui nous font gagner beaucoup de temps, et c’est une bonne chose. Elles permettent de faire plus rapidement ce que nous maîtrisons déjà. Mais je pense que la vraie question, c’est : L’IA peut-elle concevoir des choses auxquelles nous ne pensons pas ? Pour le moment, non. En vérité, je conçois les IA comme des avatars qui nous accompagnent et peuvent développer notre imagination et nos compétences.

Quelles sont les particularités du marché européen ?
Le défi européen est double : d’une part, c’est un petit espace, à échelle mondiale, mais c’est aussi un agrégat de cultures et de climats très différents ; d’autre part, il y a son histoire. C’est probablement ce qui fait de l’Europe le marché le plus unique. Nous sommes en concurrence avec des marques dont l’héritage est riche, et nous recherchons des clients qui ont un attachement familial et sentimental à celles-ci. En Chine, cette dimension a beaucoup moins d’ampleur – mais notre force est de travailler à la fois pour l’Europe, les États-Unis et l’Asie, et d’observer comment ces pôles fonctionnent.

Les Nissan X-Trail et Qashqai, sortis l’année dernière, affichent mille kilomètres d’autonomie. Une nouvelle génération de voitures électriques ?
Elles utilisent toutes deux la technologie « e-power », qui consiste à avoir un moteur électrique pour entraîner les roues et un moteur à combustion pour générer de l’électricité en temps réel. Cette technologie est née au Japon, pour le modèle Nissan Note. La force de l’e-power est de fournir les sensations de l’électrique et de son accélération rapide, sans avoir à être anxieux d’épuiser la batterie de la voiture. C’est une nouvelle génération de voitures qui offre des expériences de conduite originales, qui plaisent beaucoup au Japon, et dont on pense que l’efficacité va également plaire en Europe.

Vous entrez chez Nissan en 2001. En 2020, vous succédez à Mamoru Aoki, à la tête du Nissan Design Europe (NDE). Quel est son héritage et quel sera le vôtre ?
Aoki était un grand designer qui a travaillé sur de nombreuses voitures de légende des 80’s et 90’s. Mais son héritage n’est pas que matériel, j’ai été marqué par son état d’esprit et sa sagesse. Quant à moi, j’espère qu’il est trop tôt pour en parler ! Ce que je sais, c’est que l’équipe du NDE aime innover – et c’est aussi ce que j’aime : créer et surprendre.

En 2018, vous avez dirigé Infiniti, la division haut-de-gramme de Nissan. En quoi cette expérience a-t-elle fait évoluer votre conception du design ?
C’était très formateur d’être dans la même entreprise, mais au sein d’une division complètement différente. Certes, les outils étaient presque les mêmes, mais il m’a fallu, en quelque sorte, recadrer mon esprit pour définir de nouvelles perspectives. L’innovation et la finition des produits haut de gamme vous poussent à aller plus loin.

En 2022, Nissan lance sa propre écurie de Formule E. En quoi les innovations dans ce domaine peuvent-elles faire évoluer l’ensemble de la marque ?
C’est l’efficacité de ces voitures qui est importante pour nous, en particulier pour la récupération de l’énergie. En Formule E, l’énergie du freinage est utilisée pour recharger les batteries de la voiture. J’ai passé beaucoup de temps avec la team, on a notamment conçu l’« Ariya Single Seater » ensemble, un concept car pour étudier le futur esthétique de la voiture électrique. Mais, ce qui m’a particulièrement bluffé avec la Formule E, ce sont ses différences avec la Formule 1. C’est tout simplement un changement de priorité pour performer différemment.

La voiture du futur selon Nissan ?
J’aime notre X-Trail. Mais, vous savez, notre rêve, c’est de faire aimer la voiture de demain. Elle sera sûrement électrique, mais ce que je veux voir, ce sont des voitures de caractère. L’avenir est là, selon moi.

Cette voiture sera punk ?
Exactement. Les voitures, désormais, sont des appareils électriques, nous allons donc vouloir nous identifier à elles, qu’elles représentent notre propre caractère. Je suis également curieux de voir l’évolution des crossovers. C’est une grande tendance depuis vingt ans, dont la réussite du Nissan Qashqai est un bon exemple. J’attends avec impatience de voir quels modèles deviendront viraux. Je n’ai pas de boule de cristal, mais je crois fondamentalement que l’évolution du « packaging » (c’est-à-dire de l’agencement des pièces les plus encombrantes d’une voiture, ndlr), va ouvrir des perspectives qu’on ne peut pas encore imaginer aujourd’hui, mais qui auront du sens demain.

 

Par Alexis Lacourte