MATERNITÉ, LE NOUVEL IDÉAL… MAMMA MIA !

STACY MARTIN - MARIE PAPILLON technikart

Plus égalitaire, plus réfléchi et moins rétrograde, le désir d’enfant vit-il son grand reboot ? Nos coverstars incarnent, dans le nouveau film d’Éloïse Lang, un couple rêvant d’un bébé. un objectif reinventé pour le XXIème siècle… prêtes pour des lendemains qui gazouillent ?

« Arrête tes conneries, tu vas vraiment arrêter la pilule ? ». Silence général à la table du resto. Emma avale la fin de son allongé et lève enfin les yeux vers nous. Elle confirme. Cet été, avec son mec, ils vont essayer de faire un bébé. Je m’étouffe avec ma clope. Comme personne ne se dévoue pour plaider en défaveur du projet, je me lance. De toute façon, ce ne sont pas les arguments qui manquent. Déjà, elle n’a que 22 ans. Sa période d’essai n’est pas reconduite, et surtout, son couple n’a pas encore franchi le cap des trois ans. Emma se marre et interrompt mon monologue. Sa décision est prise : elle veut un bébé. Peu importe son âge, son job ou même Guillaume, son mec, à fond dans le « projet papa ». Verdict : méga inconsciente ou grande maturité ?

Entourée de copines qui ne veulent pas d’enfant, Emma nous prend de court. Elle parle déjà de déco de chambre, de modèles de poussettes ou d’accouchement dans le bain. La main sur le ventre, les yeux rêveurs, elle s’imagine enceinte. Elle se veut confiante et parle du bébé comme s’il était né. Loin d’être rassurée, je m’incline. Son choix est fait de toute façon, et c’est le sien. Cette histoire me renvoie à mes propres doutes, mes craintes. J’ai toujours voulu être maman, cocher les triples cases de la maison de campagne, golden retriever et bambins dans le jardin. Manque de pot, le job à temps-plein, les méga-bassines et l’inflation sont passés par là entre-temps. Alors, un gosse… Vraiment ?

SACRO-SAINTE COUVÉE

#Childfree, #Nokids, #Ginks… Depuis quelques années, ces anglicismes sont apparus dans les bios, de Twitter à Bumble. Le message passé est clair : sans enfant, par choix. Et ils sont une majorité des 12-25 ans à se revendiquer de ce bord. L’IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) s’est penché sur le sujet et révèle dans une étude de 2022 que le premier motif du childfree n’est ni écologique, ni sociétale, c’est juste… une absence d’envie. Soit. Du côté des millennials, le choix semble plus complexe. Entre héritage passé de mode et luttes contemporaines, dur de faire le tri. Mais quand Chloé Chaudet, en 2021, publie J’ai décidé de ne pas être mère, ce manifeste trouve un certain écho dans les rangs de la Gen Y. Doit-on pour autant comprendre que les 25-30 ans ont eux définitivement balayé le family-dream ?

L’UNAF (Union Nationale des Associations Familiales) s’est posée la même question. Bilan ? Le bébé-groove n’est pas mort. Certes, la natalité a baissé en dix ans, mais le désir, lui, reste présent. Ce qui a changé, c’est notre regard sur la maternité. Ciao le rêve de la sacro-sainte couvée de huit marmots. On a balayé les schémas tradis pour les remplacer par de nouveaux modèles : maman solo, parents homos, famille recomposée, union libre… Des nouveaux cas de figure, dont la réalisatrice Éloïse Lang s’est emparée pour en faire le sujet de son film La Graine (à paraître le 3 mai sur Prime Vidéo). Cette réjouissante comédie romantique, aussi drôle que retorse, transporte le spectateur dans la vie d’Inès et Lucie. En couple, les deux jeunes femmes vont se rendre en Belgique et débuter leur parcours – du combattant – vers la PMA. Exemple parfait du schéma de famille non conventionnel où l’amour de deux femmes qui veulent vivre l’expérience de la maternité prime sur tout le reste. « On se déconstruit, puis on se reconstruit, explique Inès à Lucie, alors que leur couple est en crise. Mais tout ça, on le fait par amour. J’aime tellement une personne que j’ai voulu à tout prix qu’on fonde une famille. Le système nous a tellement écrabouillés que j’ai oublié qu’avant tout c’est l’amour qui nous portait dans cette quête. » À méditer.

« AUJOURD’HUI, LES FUTURES MÈRES SONT PLUS DÉCONSTRUITES, PLUS FLUIDES, MAIS AUSSI MIEUX PRÉPARÉES. » -CLÉMENTINE GALEY

 

Bien que fictif, ce témoignage n’est pas isolé. Depuis #MeToo, les femmes l’ont fait comprendre : les seules maîtresses de leur utérus, ce sont elles. Au-delà du désir d’être mère, la grande question revient à savoir « quand ? ». Rebecca Fitoussi, auteure du documentaire Maternité : le grand saut, nous a partagé son expérience : « La maternité arrive de plus en plus tard. Je suis devenue mère à 26 ans, j’ai eu le temps de m’occuper de moi. J’étais pleinement disponible pour la venue de mon bébé. » Son docu, (diffusé le 3 juin sur Public Sénat) retrace le parcours de quatre femmes, de la fin de leur grossesse jusqu’à la première année de leur enfant. « La maternité, c’est l’aventure d’une vie, la plus belle rencontre », maintient la réal.

mother power
MOTHER POWER_ Queen Riri et son ventre rond dans les pages du Vogue US (avril 2022), symbole de l’empowerment de la femme enceinte (à gauche) ; la campagne « I got it from my mom » (« Je le tiens de ma mère ») imaginée par la marque Coach pour la fête des mères 2022 (à droite).


Avoir un enfant et être capable de s’épanouir pleinement, c’est donc possible. Merci qui ? « Aujourd’hui les mères sont plus déconstruites, plus fluides, mais aussi mieux préparées, développe Clémentine Galey, créatrice du podcast Bliss Stories.
Elles composent avec leur époque, elles ne font pas l’autruche et foncent moins tête baissée vers un schéma familial classique. »

L’EMPOWERMENT DU VENTRE ROND

Mais tout n’est pas gagné. Ce que ces femmes partagent aujourd’hui, c’est surtout le besoin urgent de vérité sur le sujet. Pour celles qui viennent de familles où la maternité a toujours été présentée comme une croisière de plaisance, le choc est brutal. Le tort peut aussi venir du côté des réseaux sociaux, comme le pointe Clémentine Galey, de son côté : « On parlait de la maternité de façon très édulcorée, lissée, filtrée. Un catalogue de photos avec des InstaMoms qui se mettaient en scène. Petit à petit, en libérant la parole des mères, la stratégie de communication a changé. On s’est mis à montrer la réalité du corps qui change, la maison en bordel, le vomis de bébé, les cernes… ».

oh baby
OH BABY_ Place de l’homme ou schéma du couple, le bébé n’est plus l’affaire d’une seule femme. À gauche, Melvin Boomer dans Sage-homme (Jennifer Devoldere, 2023) ; à droite, Inès et Lucie dans La Graine (Éloïse Lang, 2023).


Un bon premier pas. La suite ? Repenser la place des messieurs dans le processus… Lucile Gomez, auteure et dessinatrice de la bande dessinée
Je veux tout et… un deuxième enfant (février 2023), le dit bien : « Quand le père retourne travailler très vite après l’arrivée du bébé, il se sent exclu de fait. S’il est présent dès le départ, il n’y a pas d’écart qui se crée. » CQFD. Résultat, la charge mentale échoit malgré tout souvent aux mamans. Il doit y avoir une prise de conscience des deux côtés… et les femmes doivent aussi apprendre à déléguer. Clémentine Galey le constate : « Les femmes prennent beaucoup de place à la naissance de l’enfant, on est control freak. On doit laisser les hommes se démerder, prendre la place. C’est un effort qui doit venir aussi des femmes. »

Mais alors égalité mère-père, une illusion ? Non, il faut y croire. Car c’est aussi une question d’intégration dans la société, sortir la femme de son rôle systémique de mère. Pourquoi la maîtresse appelle maman quand le petit à mal au crâne ? Pourquoi les rendez-vous pédiatres ne sont pris que par 10 % des papas ? Fabienne Lacoude, auteure de Daronne et Féministe (éd. Solar), nous explique : « Les métiers qui tournent autour de la petite enfance sont mal payés et défavorisés. Je n’ai jamais vu de campagne de communication qui indiquent “Plus d’hommes dans le care !” ».

Une chose est sûre, la maternité vit sa révolution. Un empowerment du ventre rond mis sur le devant de la scène par des figures fortes qui bousculent les codes trop longtemps restés en place. Rihanna, par exemple, a annoncé sa grossesse au Super Bowl en février, assurant un show inoubliable et démontrant la force de son corps. Elle a fait la couverture de Vogue US en mars, posant au premier plan tandis qu’ASAP Rocky tient leur bébé dans ses bras en retrait. Image de puissance et de protection incarnée par la chanteuse, coup de pied au statut fragile attribué à la mère et l’enfant. On ne subit plus son rôle, on le contrôle.

Hier soir, j’ai retrouvé Emma. Même resto, même table que le mois dernier, lors de sa grande annonce. Seule différence, cette fois-ci, l’alarme de son téléphone a sonné, elle a avalé sa pilule quotidienne, nous a regardé et dit : « Les filles, j’ai réfléchi ». Son désir de maternité ne s’est pas éteint, mais ses yeux se sont ouverts. Ouverts sur ce qu’être mère représente au-delà du bonheur premier. Elle l’aura son bébé, mais rien ne presse…


Par Fanny Mazalon