LE POINT PORCHER : MASCULINITÉ ? LA SCHIZOPHRÉNIE DE NOTRE SOCIÉTÉ

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À en croire l’économiste le plus fashion de France, vouloir à tout prix transformer des garçons sensibles en brutes épaisses nous coûtait un bras. Par souci financier, évoluons ! 

Dans son livre Le Coût de la virilité, l’historienne Lucile Peytavin calcule l’impact financier de la « masculinité toxique » sur notre société. La chercheuse estime ce coût à plus de 95 milliards d’euros par an en France. Selon ses dires, sa recherche a commencé lorsqu’au cours de sa thèse, elle tombe sur une statistique étonnante : 96 % de la population carcérale est composée d’hommes. Partant de ce chiffre, elle démontre comment les jouets, les jeux ou les films influencent les garçons en véhiculant des valeurs d’agressivité, de domination et de compétition. La conception par la société d’un héros aux attributs de puissance et de force aurait donc un impact sur notre définition du « vrai homme » et entraînerait les comportements toxiques qui vont avec. Cette analyse, que je trouve extrêmement pertinente, a fait écho à toutes les sottises que j’ai pu faire dans ma vie. À commencer par mes premiers points de suture. J’étais au centre de loisirs, j’avais sept ans et, pour impressionner une fille, j’ai voulu sauter par dessus un muret d’un mètre de haut dans les toilettes. Le sol était mouillé, j’ai glissé et je me suis ouvert la tête. Quelques années plus tard, vers mes seize ans, alors que la mode était aux coupes de cheveux avec dégradé américain (donc rasé à blanc sur les côtés), je me souviens la fierté que j’avais à arborer cette cicatrice qui était pour moi un attribut de ma virilité. Je me rappelle également avoir commencé à fumer à 17 ans « pour faire homme ». On était dans les années 1990 et il était possible de fumer quasiment partout, dans les couloirs de la fac, dans les cafés et dans les boîtes de nuit. C’était aussi le retour de la cigarette dans les films d’Hollywood, notamment ceux de Quentin Tarantino. Dans l’imaginaire, le bad boy fumait. Je n’aimais pas la cigarette, j’étais asthmatique mais j’avais tellement l’impression d’être plus viril avec ma clope au bec et mon whisky-coca au milieu du dance floor… À cette époque, je pensais être libre de mes choix. En réalité je n’étais qu’un pur produit des codes et stéréotypes de la masculinité de l’époque. La question est : pourquoi suis-je rentré dans le moule aussi facilement ? Pourquoi n’ai je pas eu la force d’esprit d’être à contre-courant ? Tout simplement parce que je voulais plaire…

« À 17 ANS, J’ÉTAIS ASTHMATIQUE MAIS J’AVAIS TELLEMENT L’IMPRESSION D’ÊTRE PLUS VIRIL AVEC MA CLOPE AU BEC. » 

 

L’ARRIVÉE DES MÉTROSEXUELS

Dans les années 2000, la masculinité a opéré un grand virage dans les grandes villes du monde. On y a vu apparaître un nouveau type d’homme qui s’épile, se met des crèmes et de l’anti-cernes, soigne son apparence et son alimentation. Le métrosexuel est né (terme inventé par le journaliste britannique Mark Simpson pour définir ces hommes des grandes villes qui s’approprient les codes gays et/ou féminins). Cette transformation de l’homme a entraîné de nombreuses questions et critiques notamment dans la presse féminine. On pouvait y lire les interrogations suivantes : « Des hétéros qui se pomponnent comme des minettes, est-ce ridicule ? » ou encore « Est-ce un concept marketing pour mieux vendre des produits cosmétiques ? ». L’arrivée du métrosexuel signait probablement la plus grande avancée de l’homme contre sa virilité toxique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait plus de société patriarcale et d’inégalité hommes-femmes. Cela veut dire qu’il y a avait une autre voie pour l’homme que celle de la virilité, et une forme de convergence entre l’homme et la femme dans l’esthétique des corps. Dommage que cette voie ait été questionnée, moquée, plutôt qu’encouragée. 

Notre époque marque un net retour de la virilisation et de la féminisation des corps notamment sur les réseaux sociaux. Les corps musclés pour les hommes, les formes féminines pour les femmes, les deux poussés à l’extrême. D’un côté, des hommes qui pratiquent intensément du sport et affichent leur corps sculpté sur les réseaux sociaux (les « spornosexuels » selon Simpson). De l’autre, des femmes aux formes quasi (ou complètement) surnaturelles à la Kim Kardashian, que toutes les starlettes de téléréalité à travers le monde tente de singer. Or, comme le rappelle le sociologue Pierre Bourdieu, ce travail psychosomatique de la virilisation ou de la féminisation des corps donne une apparente légitimité biologique aux phénomènes de dominations. C’est la conception binaire poussé à l’extrême, chacun ses attributs, chacun sa place. Heureusement, il y a encore des hommes comme moi qui refusent d’aller à la salle de sport. De nos jours, c’est un acte politique. Hasta siempre !


Par
Thomas Porcher
Photo Gianni Giardinelli