Eh-oh ! Vous aussi, vous avez la vague impression de visionner un programme Gulli dès que vous allumez BFM ? L’économiste le plus branché de France nous éclaire sur la question.
À peine notre bronzage commence-t-il à s’estomper que nous avons déjà droit à la préparation de la nouvelle saison 2027-2032 de la télé-réalité Le Président. Dès fin août, Le ministre de l’Intérieur a tenté de fédérer ses troupes dans ce qui ressemble à un meeting de pré-campagne ; le ministre de l’Éducation a fait la une du JDD en montrant qu’il était capable de taper fort, le ministre de l’Économie, dans une pleine page dans Le Monde, a exposé sa capacité technique sur tous les dossiers du moment de l’inflation au climat, et l’ancien Premier ministre tente de nous expliquer dans un livre d’où viennent ses idées et ses valeurs.
Nous sommes en 2023, soit un an après l’élection présidentielle, et déjà chacun pense – visiblement pas qu’en se rasant – à la présidentielle de 2027. La course de chevaux est lancée. Il faut dire que pour exister, tous ces ministres qui sont dans le même gouvernement depuis 2017, qui ont soutenu et voté les mêmes réformes, qui ont fait campagne pour Emmanuel Macron en 2022, vont devoir avoir de l’imagination pour jouer leur propre partition. En même temps, la politique est devenue un concours de beauté où on se lance des petits pics pour alimenter la machine à buzz sans parler du fond. Que vont choisir ces prétendants au trône ? Se mettre dans la continuité du président Macron (Gabriel Attal et Bruno le Maire ont, me semble-t-il, plutôt ce profil) ou s’en éloigner (Gérald Darmanin et Édouard Philippe sont de ceux-là) ? Dans tous les cas, la nouvelle saison de la télé-novela El Presidente a déjà débuté et on est en droit de se demander si la fonction ministérielle est au service des Français ou de l’ambition de celui qui l’assure. Mais, soyons machiavélique, à quoi bon être ministre si ce n’est pas pour ensuite monter en grade…
DURS ET LOYAUX SERVICES
Désormais, faire de la politique, c’est s’assurer une carrière plutôt que de défendre des idées. Au commencement, il faut d’abord réussir des grandes études, au minimum Sciences Po Paris et pour les meilleurs l’ENA. Ensuite, il faut tenter de rentrer dans un cabinet ministériel comme conseiller et prendre sa carte au Parti. Puis, après quelques mois de durs et loyaux services, il faut se trouver une circo gagnable pour être élu député. À ce moment, pour beaucoup, c’est la découverte de la France profonde et de ses habitants. Heureusement, ils n’y resteront que deux, trois semaines avant l’élection et une journée par semaine ensuite. Après quoi, il faut tout faire pour être ministre. Nous avons de nombreux exemples, à gauche comme à droite, d’individus qui ont oublié leurs convictions (en ont-ils eues un jour ?) pour obtenir un maroquin. La liste est longue de gens (beaucoup trop longue pour tenir dans ce numéro, nous allons donc les épargner en ne les citant pas) qui ont critiqué des présidents, des politiques mises en place par ces présidents, jusqu’à ce qu’on leur offre un poste de Ministre pour qu’elle applique les dites politiques qu’elles critiquaient jadis. L’important, ce ne sont pas les idées et combats que l’on défend (comme on pourrait le croire) mais le poste que l’on obtient. La fin justifie les moyens. Il faut gravir les échelons comme on le ferait dans une boite du CAC 40. Cabinet, député, ministre et, ensuite, pourquoi pas, président de la République ? Les grandes études pour les bons postes, le tractage sans obtenir de postes pour les militants.
POLITIQUE CAPTIVE
On connait tous la célèbre phrase de l’ancien ministre Chevènement « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule ». Le problème, c’est qu’aujourd’hui, rares sont les ministres en désaccord avec la ligne de fond – elle n’intéresse personne d’ailleurs. Du coup, ils n’ont pas de raison de démissionner. Mais, en revanche, ils ouvrent toujours leur gueule pour ne rien dire de vraiment intéressant. On est donc constamment dans la petite phrase, le débat inutile, la polémique vaine, le buzz sur les réseaux sociaux qui va finir par se répandre dans les médias et ainsi de suite. La politique est devenue un cirque, mais ce cirque est encore possible parce que des gens – de moins en moins – s’y intéressent encore. La politique captive comme les épisodes d’un jeu de téléréalité, ou une course de chevaux ou bien encore un concours de Miss France. Il n’y a plus de réels débats d’idées. D’ailleurs qui lit encore les programmes à part moi ?
Par Thomas Porcher