L’OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE DU MÂLE

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Hourra ! Longtemps sacralisé comme le maillon indéboulonnable de la chaîne sociale, l’homme se découvre aujourd’hui dispensable, accessoire – voire encombrant. Une chute de piédestal aux retombées réjouissantes… Champagne ?

Légende photo : PLASTIC-MAN_ Votre mec est-il en toc ? À en croire le Ken paumé incarné par Ryan Gosling dans le Barbie de Greta Gerwig, il semblerait que l’homme ait perdu en crédibilité. Il était temps.

It’s a Barbie girl, in a Barbie world… Un royaume où – dans l’interprétation ciné’ axée empowerment féministe de Greta Gerwig, du moins – les femmes ont le contrôle, tandis que les hommes sont relégués au statut d’auxiliaires. Résultat : Ryan Gosling, qui s’était fait connaître en défendant la veuve et l’orphelin avec son rôle « virilo-alpha » mutique dans Drive, se retrouve, quelque douze ans plus tard, à endosser le survet’ pastel d’un Ken à la ramasse, décidé à accompagner « Poupée Robbie » (qui n’a jamais sollicité d’aide, notons) dans son périple vers le « vrai monde ». Tout un symbole. Car selon Sarah, visionneuse enthousiaste des trailers du film, cela ne fait pas de doute : derrière les innocentes montagnes de kitsch, ce Barbie mouture girl power « brossera le portrait fidèle d’une société émancipée de l’idée périmée selon laquelle l’homme serait nécessaire ». Carrément ? « Ouais, carrément ». Bienvenue en 2023, les gars.

CHUTE DES PRIVILÈGES

Qu’il aura été long, le chemin, pour que des Sarah puissent annoncer en fanfare la péremption d’un sexe que l’on ne qualifie plus de « fort » que par dérision. « Nous sommes à un tournant », atteste Christine Castelain-Meunier, sociologue auteure de Les hommes aussi viennent de Vénus. « Durant des siècles, l’homme a été perçu comme l’engrenage essentiel au bon fonctionnement d’une société, parce que là où la femme s’affairait dans un espace domestique perçu comme négligeable, il était aux prises avec  “l’essentiel” que représentait la sphère publique ». Au point d’être érigé en « défenseur irremplaçable » de l’ordre et du bien commun, comme de « l’intégrité des territoires ». Une rhétorique de l’indispensabilité qui légitime l’autorité du pater familias depuis l’ère romaine…

Cette tyrannie domiciliaire va bon train jusqu’à ce que, patatras, la Révolution française pointe le bout de sa baïonnette. « Après le renversement de la couronne, l’homme perd certaines prérogatives juridiques sur la gestion de l’héritage. Puis, le siècle suivant, l’école publique obligatoire prend le relai du paternel dans le rôle de la transmission des savoirs ». Cette chute en domino des privilèges se poursuit jusqu’en 1907, date à laquelle les femmes décrochent le droit à disposer de leur salaire. Une avancée qui clôt définitivement le chapitre de « l’âge d’or » des maris. « Et pas de quoi pleurer ! », s’exclame Amel, aux yeux de qui l’argumentaire selon lequel chacun, et surtout chacune, devrait « se soumettre à l’homme parce qu’on aurait besoin de ses muscles pour protéger la patrie ou mettre du pain sur la table » est « quasi-préhistorique ». Cette réflexion économico-guerrière sur la valeur ajoutée 0 du mâle vaudrait-elle également sur le plan de l’intime ? « Là aussi, on se demande bien à quoi servent encore les mecs, sans déconner ». Outch.

GRANDE BASCULE

Il y a dix ans était voté le Mariage pour Tous, accompagné de l’ouverture à l’adoption pour les familles homoparentales. À l’époque des débats, plusieurs hordes de politiciens, psychologues et « spécialistes de la petite enfance » échaudés étaient montés au créneau en rappelant qu’hors du Père, point de salut. Grosso modo : arrachez aux enfants la figure paternelle dont dépend leur équilibre psychique, et craignez l’avènement d’une société monstrueuse. Pour peu, on sonnait les trompettes de l’Apocalypse. Toutes les études récentes démontrent pourtant que l’orientation sexuelle des parents n’a aucune incidence sur le bien-être des petiots. « Faut croire que la catastrophe annoncée n’aura pas lieu », se poile Alizé, dont la fille adoptée avec sa conjointe se porte « à merveille, merci bien ». Et d’ajouter, goguenarde : « En matière de famille heureuse comme d’épanouissement sexuel, on nous a bassinées avec l’idée que l’homme était une condition sine qua non – eh ben non, que dalle ! ».

La preuve par la statistique, côté ébats. Selon une enquête de l’Institut Kinsey révélée en 2015, les lesbiennes atteignaient l’orgasme dans près de 75 % de leurs rapports, contre 62 % pour les hétéros. « Pas de quoi s’étonner », commente Gwen Ecalle, sexologue et présidente de l’association Les Sexosophes. « Des siècles de conditionnement hétéronormatifs ont conduit à négliger le plaisir féminin au profit d’une sexualité phallocentrée sur l’éjaculation masculine. Heureusement, #MeToo, les vagues féministes et le mouvement sexpositif ont rebattu les cartes en mettant, notamment, en lumière les sexualités LGBT+ et l’orgasme gap ».

Piètre partenaire au pieu, dispensable pour l’économie du foyer comme pour l’éducation des enfants, l’homme serait-il révolu ? « Disons plutôt que la masculinité old fashion est reléguée au placard », temporise notre sociologue spécialisée dans les masculinités, Christine Castelain-Meunier. Et de se réjouir : « Puisque la figure de l’archétype viril devient obsolète, d’autres masculinités affleurent ». Dans cette « grande bascule », notre experte voit une « humanisation du masculin » articulée autour de la « démocratisation de l’intime, le partage des plaisirs et la répartition équitable des charges mentales ». Qui songerait à s’en plaindre ? L’homme archaïque est mort, vive l’homme !


Par
Antonin Gratien