L’ÉTÉ DE TOUTES LES LIBERTÉS

En ces temps troubles, c’est la seule question qui vaille ! On nous l’a assez répété : il faut garder son masque, rester vigilant, ne plus faire la bise. Et pourtant, les regards s’échangent, les langues se délient et les corps s’effleurent… Été 2020 : allons-nous enfin jouir sans entraves ?

« Bisou ou coude ? » Depuis les premiers jours du déconfinement, c’est à chaque fois la même chose. Dès que je mets le pied dans un bar, – seul lieu de luxure encore passablement conservé – les degrés de rapprochement (pourtant déconseillé) s’intensifient à chaque étape de la soirée. Prenons vendredi dernier. Il est 19h00, je quitte le métro masquée, m’octroie un petit coup de gel histoire de, et m’installe en terrasse, tendant consciencieusement le coude à chaque nouvel arrivant de la tablée, une dizaine d’étudiants au maigre porte-monnaie. Vous vous en doutez, tout le monde zappe les précautions d’usage au bout du premier verre… Aurait-il suffi de deux mois enfermés entre quatre murs pour tous nous transformer en excités du bulbe sans foi ni loi ?
En face de moi, un jeune homme, 30 ans, appelons-le Daniel. Assis là, à quelques mètres de mon groupe d’amis, mon regard n’a de cesse de se poser sur lui. La faute à sa mâchoire carrée qu’il dévoile en ôtant son masque ? Ses cheveux bruns ébouriffés ? Ou encore à son parfait t-shirt en coton blanc très bien coupé ? Attrapée en flagrant délit. Il vient de me regarder.
Les heures passent, les bières s’accumulent, et une chaleur étouffante s’empare de ce rooftop de l’Est parisien. Vous aussi, vous la sentez cette chaleur timide qui s’empare pas à pas de nos soirées d’été alors qu’on la sait prohibée ? C’est à se demander si l’agrandissement des terrasses et autres soirées en plein air organisées pour nous espacer n’auraient pas l’effet contraire. Dernièrement, l’association DataCovid (en collaboration avec l’Ifop) révélait comment, début juin, seulement 37% des 18-24 ans se disaient soucieux d’éviter les regroupements…
Reprenons le cas de Daniel, – à qui je dois indirectement l’écriture de cet article – il s’approche de moi d’un pas décidé en fin de soirée. Je me retrouve donc dans un bain de foule à toucher l’épaule d’un bel inconnu qui me demande du feu avant de me proposer de le rejoindre, lui et ses potes, pour un « after » chez lui. Le respect des gestes barrières semble être le cadet de ses soucis…
Il est loin le temps où nous dévisagions avec dédain notre pauvre voisin de siège dans la ligne 1 qui portait son masque sous son nez, et qui se tenait un peu trop près. Hypocrisie ? Mémoire sélective ? Désir égoïste d’avoir le beurre, l’argent du beurre, le sable et les galets ? Bref, je m’en mordrai les doigts demain, c’est certain. Mais demain c’est encore loin.


CHOC ÉMOTIONNEL

Une question s’impose : pour quelle raison nous autres célibataires devenons d’ingrats chauds lapins, oubliant gestes barrières et bonnes manières, une fois la nuit tombée ? Pour éclairer ma lanterne, le philosophe Bernard Andrieu, prof à Descartes et auteur de l’essai Sentir son corps vivant (éditions Librairie philosophique J. Vrin, 2016), a bien voulu me répondre: « Il y a une réappropriation sensorielle qui s’opère chez la jeune génération, qui est la plus touchée économiquement par la crise. En étant, en plus, coincés sans pouvoir voyager à l’étranger cet été, il va y avoir chez beaucoup une volonté de se rendre étranger à eux-mêmes. De ce fait, sortir de sa zone de confort, quitte à se mettre en danger est assez coutumier. » Les faits observés autour de nous lui donnent raison : cet été sera-t-il le plus chaudard de ces dernières années ?

« CETTE CRISE VA CRÉER DE L’INVENTIVITÉ ÉROTICO-SOCIALE » — BERNARD ANDRIEU, PHILOSOPHE


Vous allez dire qu’on exagère. Pourtant, rappelez-vous. Au lendemain du 11 septembre, les New-Yorkais passaient leur temps à copuler aux quatre coins de la grande pomme. Vérité ou fantasme agrémenté par les journalistes ? Toujours est-il qu’un lien existe entre le contact physique et le choc émotionnel. Pour Frédéric Vincent, sociologue et psychanalyste (auteur de Geek Theory aux éditions Champs Elysées), « il y a une sorte de
résilience qui nous pousse à nous dire, “tant pis, je ne suis pas maître de ce qu’il se passe dans le monde actuel, mais je suis maître de choisir ma manière d’utiliser mon corps en touchant qui j’ai envie de toucher pour reprendre le pouvoir sur ma liberté” ». Traduction : après avoir été brimés dans nos libertés personnelles suite au confinement (et les restrictions en série qui s’en sont suivies) nous serions en train de courir vers une société où le corps se placerait au centre des enjeux pour reprendre la toute-puissance… Rien d’inédit selon Frédéric Vincent : « ce désir d’émancipation par le contact physique ne date pas d’hier. À vrai dire, il a déjà été vécu il y a une cinquantaine d’années avec mai 68… »

«FÉE CROQUER»_
Port du masque oublié : le secret open air a célébré l’arrivée de l’été début juillet pour n’en faire qu’une bouchée… (©Mariana Matamoros)


Comment réagirons-nous, libertaires menacés par une pandémie mortelle ? La liberté sensorielle pourra-t-elle s’emparer de nos petits corps, privés de teufs et autres festivités pour les défouler ? Et ce mood charnel peut-il survivre à l’été ? Flore Cherry, sexploratrice, journaliste et auteure du livre qui ne se lit qu’à une main L’écriture érotique, paru aux éditions de la Musardine, en est convaincue : « on va pouvoir mettre du piment dans nos vies déconfinées pendant un moment, mais ça ne va pas durer indéfiniment… Comme avec le sida dans les années 90, nous sommes dans une espèce de flou artistique qui nous empêche de définir la gravité de la maladie. On teste nos limites, les libertins retournent dans les clubs, les travailleurs du sexe retrouvent leurs clients, on se relance dans la chasse au dating… Mais le jour où des gens de notre entourage re-choperont le Covid, ça aura le don de tous nous calmer… »


RETOUR DU TOUCHER

En fouillant Internet, je découvre avec stupeur les premiers dommages collatéraux de ces derniers mois. Parmi eux, le « french kiss », complètement délaissé – y compris par les personnes en couple qui lui préfèrent le bisou sur la joue à 46 % (sondage Gleeden). Mi-figue mi-raisin, nous voilà replongés dans la situation complexe et contradictoire où nous nous touchons par nécessité – mais en faisant un minimum attention. Paumée, je me dirige vers Thérèse, gai luron de 31 ans, qui a toujours été avide de contact humain. « J’ai l’impression que cet épisode est en train de changer ma notion du toucher, sourit cette chanteuse/styliste. J’ai toujours été la nana hyper tactile qu’on rencontre en soirée, et je crois que ce trait de ma personnalité a simplement évolué. Inconsciemment ou par choix, je ne vais plus vraiment m’approcher du visage de l’autre mais vais plutôt favoriser les effleurements de zones improbables, comme les genoux, par exemple… » Tout me revient. Bernard Andrieu m’avait même confié, lors de notre entrevue, que la crise allait « créer de l’inventivité érotico-sociale. » Selon ce philosophe, il s’agirait même d’une « opportunité pour inventer un autre érotisme tactile que le toucher classique, et facile. Les massages, les autres parties du corps, le tantrisme, le virtuel, les objets… Après-tout, qui a instauré qu’il n’y avait que la mise-en-bouche de l’autre pour nous amuser ? » Cette question du neuro-philosophe résonnera tout l’été…
En espérant que vos mains soient bien lavées et vos masques bien accrochés, sachez-le : cet été marque le grand retour du toucher. Nul besoin que vous vous mépreniez. Il n’y a aucune volonté d’exempter les « soirées Covid 19 » initiées par nos amis américains dans l’unique but de relancer la pandémie dans le pays. Mais après des semaines, que dis-je, des mois d’attente, de slips humides, de baisers volés entre deux portes cochères… le summer of lust 2020 arrive enfin. Il sera beau, il sera chaud, et le toucher y sera célébré – voire réinventé. Qu’en pense notre ami Daniel, que nous rejoignons en after ? « Rassure-moi, t’as bien ton masque ? »


Par Carla Thorel

 

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Slip Francais Technikart

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PHOTOS : ANAËL BOULAY,  DA : ALEXANDRE LASNIER,
MUHA : ANTOINE L’HEBRELLEC ET JESSICA MAELLEYA,
MODELS : ELIZA KOVALSKI, ISAAK DESSAUX, ALEX VALENTIN
VIDÉO : GREG KOZO